Tapis rouge pour Schlumberger

MARCHÉS DE SONATRACH

Tapis rouge pour Schlumberger

Le Soir d’Algérie, 27 septembre 2012

Après avoir arraché un marché d’un montant dépassant les 341 millions de dollars, pour des prestations de logging et de testing, la société de services pétroliers, Schlumberger, est parvenue, au cours de la semaine dernière, à décrocher un autre contrat qui la place à la tête des sociétés sous-traitantes de Sonatrach et de ses partenaires en Algérie.
Cette fois-ci, la société franco-américaine a bénéficié d’un contrat d’acquisition sismique 3D, dans le cadre du programme 2012-INA, dans le périmètre d’In Aménas pour le montant de 23,95 millions de dollars. Du coup, les experts constatent que Schlumberger a gagné, en une semaine, le tiers de ce qu’elle a totalisé depuis 2008.

Les enjeux de la 3D

En dépit de la concurrence des Chinois et même celle de CGG Veritas (qui revient en Algérie après 15 ans d’absence), Schlumberger reste à la tête des contrats relatifs à l’acquisition sismique 3D en Algérie. Auparavant, la société parvenait à conclure des marchés de moyenne envergure, ne dépassant pas le seuil de quelques dizaines de milliers de dollars, mais c’est en 2012 que cette entreprise a obtenu des marchés dépassant 55 millions de dollars en comptabilisant encore celui arraché en mars, portant sur l’acquisition sismique 3D sur le champ de TFT pour le montant de 31, 36 millions de dollars. A cette allure, Schlumberger est en passe de dominer le marché algérien sur le segment des relevés sismiques. D’autant plus que, durant la période 2012-2016, Sonatrach prévoit un programme global comprenant la réalisation de 53 949 km de profils sismiques 2D et 93 468 km2 de profils sismiques 3D. Par sa vision actuelle, Sonatrach met en jeu des milliards de dinars et le plus gros de ces prestations est sous-traité par les sociétés étrangères alors que les compétences nationales sont de plus en plus écartées. Il est à se demander comment, en 1976 sous le régime socialiste de Boumediène, les relevés sismiques 2D étaient réalisés par des cadres algériens et que l’intervention étrangère n’était sollicitée qu’en cas de doute ou d’écarts sur les résultats alors qu’en 2012, en dépit de tout l’effort consenti dans le domaine de la formation, Sonatrach considère qu’il faut chercher les prestations de 3D chez les sociétés étrangères et dépenser ainsi des millions de dollars qui auraient pu servir à la construction de nouvelles structures de formation et au recrutement des meilleurs experts du monde.

L’ombre de Chakib Khelil

En fait, la prospérité des entreprises étrangères au détriment des potentialités nationales est le fruit d’une stratégie destructrice engagée par Chakib Khelil et consolidée par l’inertie de l’équipe actuelle. Car, si les faramineux contrats sont dénoncés par les puristes du protectionnisme économique, on considère quelque part qu’il s’agit presque d’un mal nécessaire. Quand Schlumberger a décroché, la semaine passée, des marchés de l’ordre de 241 millions de dollars, des experts ont vite fait de tirer la sonnette d’alarme non pas contre la société étrangère mais plutôt pour attirer l’attention sur la filiale de Sonatrach, chargée des services aux puits, les mêmes que propose Schlumberger. L’ENSP (l’Entreprise nationale de services aux puits), qui est censée constituer une force de frappe pour Sonatrach, dans les prestations de services aux puits, est disloquée aujourd’hui dans un schéma organisationnel paralysant et les opérations de partenariat dans lesquelles elle s’est engagée semblent devenir un lourd fardeau. C’est là où réside le génie de Chakib Khelil. L’ENSP a été créée en août 1981, dans le cadre de la restructuration du secteur des hydrocarbures, lorsque l’actuel ministre de l’Energie occupait un poste de vice-président à la Sonatrach. Par conséquent, il est censé connaître toute l’importance de son activité et le rôle qu’elle doit jouer dans les équilibres de Sonatrach, à l’instar de l’ENTP et de l’Enafor. Aujourd’hui, l’activité du groupe ENSP est dominée surtout par celle de ses filiales constituées en association avec des sociétés étrangères :
– HESP : une filiale créée en 1999 entre l’ENSP et Halliburton Energy Service. Elle a pour principale activité, la réalisation d’opérations de diagraphie au niveau des puits verticaux et horizontaux.
– BJSP : une société mixte créée en 1986, en association avec BJ Services, une compagnie internationale de droit américain. Cette filiale a pour missions principales, la cimentation, la stimulation, le coiled tubing.
– BASP : une seconde filiale créée en 2003 par Chakib Khelil, entre l’ENSP et Halliburton. Elle a pour vocation la conception, la fabrication et la régénération continue des fluides de forage pétroliers.
– MESP : société mixte, créée en 1998 par le groupement MESP avec MEDES (société italienne, spécialisée dans le traitement des rejets pétroliers). En 2003, ce groupement a été transformé en filiale où l’ENSP gère 49%, alors que l’italienne MEDES dispose de 51% de l’ensemble des actions.

Le drame dans la politique de gestion de ce groupe réside dans le fait que Sonatrach soumet l’ENSP à la concurrence avec des multinationales qui sont déjà présentes dans son capital. Le groupe public devient alors partenaire et concurrent de ses propres associés. A titre d’exemple, l’ENSP, qui est actionnaire avec Haliburton dans les filiales Basp et Hesp, se retrouve en concurrence avec Haliburton-mère dans des appels d’offres lancés par Sonatrach. Du coup, l’ENSP est obligée de négocier sa survie et ses parts de marchés notamment sur les activités de logging, de testing et de cimentation où l’agressivité des sociétés étrangères fait valoir des technologies qui n’arrêtent pas de progresser et mettre la société algérienne au bas du classement sur les offres techniques. Schlumberger et Haliburton sont les premiers concurrents de l’ENSP sur les segments de son activité. Alors, on est en droit de poser des questions sur l’opportunité de poursuivre le partenariat avec ces sociétés étrangères. Suivons ces chiffres : en 2010, l’ENSP a réalisé un chiffre d’affaires de 8,9 milliards de dinars pour un résultat net de l’ordre de 1,82 et 1,2 milliard d’investissements. Comparés aux chiffres des années précédentes, les indices de l’ENSP font peur. Très peur. Car, ils témoignent d’une régression inquiétante et des perspectives sombres. Pour le commun des lecteurs, il faut simplifier les chiffres pour dire que l’ENSP, censée constituer l’épine dorsale de Sonatrach, réalise aujourd’hui une performance inférieure à celle de Mobilis.Idem pour la société Mi- Algeria où Sonatrach détient 40% du capital social. Inconnue des Algériens, cette société, qui a été créée du temps de Chakib Khelil en partenariat avec une firme américaine, a semé la confusion dans les milieux pétroliers en Algérie. Car, on ne savait plus où commençait Mi- Algeria et où se terminait Mi-Swaco. Et même lorsque Louisa Hanoune a dénoncé les pratiques de cette entreprise (Mi-Swaco), lors de son passage à l’ENTV en date du 28 janvier 2008, Chakib Khelil ironisait en rétorquant que la présidente du PT cherche à devenir la porte-parole de l’UGTA. Mi-Swaco et l’autre face de la même médaille, Mi-Algeria, occupent une place prépondérante sur une activité privilégiée des services aux puits, qui aurait pu être dévolue à l’ENSP s’il existait une réelle volonté de la remettre sur scelle.

Droit de préemption

Mi-Algeria, interface de Mi-Swaco et partenaire de Sonatrach, a vu son capital social changer de mains. Schlumberger a récemment acquis l’intégralité des actions en circulation de Smith International, détenteur du capital de Mi-Swaco et donc d’une partie du capital de Mi-Algeria. Du fait de cette transaction, Schlumberger gère cinq entités : Services pétroliers Schlumberger, WesternGeco, M-I Swaco, Smith Oilfield, et Distribution. Le groupe a aussitôt annoncé des synergies avant impôt et après coûts d’intégration d’environ 160 millions de dollars en 2011 et de 320 millions en 2012. Autrement dit, une politique hautement agressive sur les marchés pétroliers des pays émergents. C’est le cas pour l’Algérie où le groupe

chlumberger opère désormais avec ses trois facettes : Schlumberger, Mi-Swaco (Mi-Algeria surtout) et WesternGeco, une société spécialisée dans les relevés sismiques 3 D, déjà engagée dans une intéressante course récemment lancée par l’Association Sonatrach/Cepsa. Sonatrach aurait pu s’opposer à cette transaction de fusion entre Schlumberger et Smith International et exercer le droit de préemption sur Mi-Algeria, tel que stipulé dans la loi de finances complémentaire de 2009. Mais rien n’a été fait dans ce sens, car la direction de Sonatrach était alors préoccupée plutôt par l’achat des actions de Djezzy (Cf. ses déclarations à ce sujet). Quant à lui, le ministre de Sonatrach, Youcef Youcefi donne l’impression d’être terrorisé par l’idée de changer une quelconque décision prise antérieurement par Chakib Khelil. Mi-Algeria ne constitue pas seulement un capital social qui change de portefeuille, mais une entité qui est devenue importante dans l’activité de Sonatrach, affirment les experts. En 2010, le rapport de Sonatrach faisait état d’un chiffre d’affaires de Mi-Algeria de l’ordre de 7,8 milliards de dinars et un résultat net de l’ordre de 1,01 milliard de dinars. Le bilan de 2011 n’a pas encore été publié par Sonatrach. En revanche, le commun des comptables est en droit d’imaginer d’ores et déjà le bilan de Mi-Algeria pour l’exercice 2012 et les bénéfices qui seront réalisés par Mi-Swaco et, de facto, Schlumberger : le 10 janvier dernier, cette société a «cartonné » dans les activités de forage et de workover avant de bénéficier d’un autre contrat en mai, avec une enveloppe globale de plus de 16,6 milliards de dinars. Avant même la fin de l’exercice 2012, Mi-Algeria acquiert ainsi un plan de charge supérieur à celui de l’ENSP qui est censé constituer l’axe de l’effort principal du groupe Sonatrach. Quand cette même Sonatrach évoque dans son PMT (programme à moyen terme 2012-2016) le forage de 799 puits d’exploration, dont 86% en effort propre, on devine aisément l’ampleur de l’activité et les opportunités qui se présentent aux sociétés étrangères. Avec très peu d’investissements, ces sociétés accèdent au marché algérien sans grand effort. Car, Sonatrach empêche l’évolution de ses propres filiales et même quand elle les propose au partenariat, c’est toujours la partie étrangère qui en tire le plus de profits. Conflit d’intérêt Face à la passivité de Sonatrach par rapport à toute cette problématique, on évoque l’incompétence de l’équipe qui gère le groupe et surtout l’ingérence de sa tutelle. Tout le monde sait que l’actuel P-dg de Sonatrach ne décide rien sans l’aval de son ministre. A son tour, le ministre est dépassé par la célérité des événements et ne dispose plus de l’énergie nécessaire à la gestion de Sonatrach. En outre, dans l’histoire de Schlumberger et Sonatrach, on évoque un conflit d’intérêt fortement réprimandé par les lois de la République. Ceux qui savent tous ses contours se taisent. Ceux qui sont en mesure de témoigner se tournent plutôt vers les vertus de l’omerta. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une logique de comptabilisation des sommes amassées par Schlumberger et ses tentacules, mais plutôt dans celle d’un amer constat des filiales de Sonatrach censées assumer les mêmes tâches assignées à ces sociétés étrangères.
Mokhtar Benzaki