Bouteflika: «La loi sur les hydrocarbures nous a été imposée»

Bouteflika à propos de l’avant-projet de loi sur l’énergie

«La loi sur les hydrocarbures nous a été imposée»

Par Faouzia Ababsa, La Tribune, Jeudi 24 février 2005

C’est à partir de la même salle où la décision de la nationalisation des hydrocarbures a été annoncée de manière solennelle et officielle par le défunt président Houari Boumediene que son ancien ministre des Affaires étrangères et actuel premier magistrat du pays s’est adressé, hier, aux travailleurs de manière particulière et à l’ensemble de la population de manière générale.C’était à l’occasion d’une double commémoration. Celle du 49e anniversaire de l’UGTA et celle du 34e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures.C’est d’ailleurs la première fois qu’un chef d’Etat algérien descend à la maison du Peuple depuis le décès de Houari Boumdiene. Cette occasion n’a pas été celle des échanges de congratulations pour Abdelaziz Bouteflika. Le contexte y est tout autre même si sa présence à l’ex-foyer civique avait une autre signification pour les syndicalistes qui se sont remémorés les fastes années 1970. Ainsi, après avoir inauguré, en compagnie de Abdelmadjid Sidi-Saïd, du chef du gouvernement et du président de l’APN, la stèle commémorative érigée dans le patio de la maison du Peuple au nom de Abdelhak Benhamouda, assassiné le 28 janvier 1997 en haut des escaliers de la centrale, le président de la République a fait son entrée dans la salle qui s’est avérée exiguë pour contenir l’assistance.A telle enseigne que ceux qui n’ont pas pu y accéder ont eu droit à suivre l’allocution du chef de l’Etat à partir d’un écran géant installé en bas. Le président de la République débutera son intervention par un retour à l’histoire qui a marqué les années 1970 et les décisions prises quant à la nationalisation des hydrocarbures et des mines. Il sera d’ailleurs agréablement surpris, ému même de voir un travailleur brandir une photo de l’époque le montrant avec Houari Boumediene et Belaïd Abdeslam. Il remercia l’ouvrier d’avoir su préserver l’image. «Quand je pense qu’à un certain moment, on faisait en sorte que je n’apparaisse pas dans ce genre de photo et qu’on découpait mon visage, je suis aujourd’hui ravi de vous voir la brandir.» Une déclaration qui incita le détenteur de l’image à la lui offrir. Ce pan de l’histoire qui constituait un grand cap pour l’avenir du pays revisité, le président de la République abordera les autres phases traversées par le pays et les crises qui l’ont secoué et qui le secouent encore. Il expliquera à l’assistance, composée également des membres du gouvernement, que la nationalisation des hydrocarbures répondait à un contexte précis, celui de la décolonisation complète après une longue guerre de libération. Pour le chef de l’Etat, qui ne tarira pas de critiques sur la gestion du pays après la mort de Houari Boumediene, aujourd’hui le monde a changé et nous ne pouvons plus continuer à vivre en autarcie. «Le socialisme a échoué chez nous, même si nous avons réussi de grandes réalisations. Celui-ci a réussi aux Emirats arabes unis.» Un pays très riche qui a su exploiter ses ressources pour le bien de la collectivité. «Je tiens donc à le rappeler fermement ici, la gestion socialiste de l’économie a fait son temps, notre pays ayant eu à satiété son lot d’expériences qui l’ont suffisamment renseigné sur la vitale nécessité d’un changement qui sera certes sans précipitation mais qui se fera assurément sans hésitation aucune.»Et comme le contexte dans lequel il intervenait était lié aux hydrocarbures, le président de la République a rappelé à l’assistance que la veille, le Conseil des ministres avait adopté l’avant-projet de loi relatif à ce secteur. Il laissera entendre que ce n’est pas de gaieté de cœur que les pouvoirs publics ont recouru à la libéralisation. «Je n’ai rien à vous cacher et je suis venu pour vous tenir le langage de la vérité : la loi sur les hydrocarbures nous a été imposée.» Toutefois, ce n’est pas le Coran. Si elle réussit sur le terrain, on la renforcera. «Si l’économie nationale tire profit de l’application de cette future loi, nous la renforcerons et dans le cas contraire, nous la remettrons en cause», dira-t-il non sans rendre hommage à l’UGTA qui a fini par donner son feu vert parce qu’elle a «justement compris les enjeux». D’ailleurs, dira M. Bouteflika, «je ne reconnais que l’Union générale des travailleurs algériens». L’hôte de la centrale syndicale ne parlera pas uniquement des hydrocarbures. Il abordera de manière générale toutes les réformes économiques. A commencer par celle de l’agriculture. A ce sujet, il ne manquera pas de dénoncer ceux qui sont dans les hautes sphères de l’Etat ou qui ont occupé des postes de responsabilité. «En achetant les terres agricoles, ils ne pouvaient ne pas dire qu’ils ignoraient la loi. Ils seront traduits en justice avec les agriculteurs qui leur ont vendu les terres.» Le président de la République s’en prendra également à la gestion médiocre des entreprises, dont l’autonomie décidée a beaucoup plus servi aux gestionnaires pour dépenser l’argent à tout-va qu’au développement de l’outil de production. «Nous n’avons pas d’économie. Nous devons notre survie au pétrole», dira-t-il. Ce qui est pour lui inconcevable. Il annoncera par ailleurs que la justice demandera des comptes à tous ceux qui ont dilapidé l’argent. «Nous n’épargnerons personne», dira-t-il. A propos des privatisations, le président de la République ne reculera pas. «Nous allons aider les opérateurs privés et renforcer ce secteur, comme nous aiderons les entreprises publiques qui ont de l’avenir.» Les entreprises déficitaires seront soumises à la privatisation ou au partenariat. L’orateur donnera les exemples de partenariats conclus qui ont réussi, à l’image de celui avec Ispat. Mais il rassurera les travailleurs. «Je ne réglerai aucun problème au détriment des travailleurs, de la création d’emplois ou de la modernisation. Je m’y engage.» Enfin, Abdelaziz Bouteflika plaidera pour la conclusion d’un pacte économique et social pour la stabilité du pays mais aussi pour l’élaboration d’une charte de la citoyenneté. Il ne terminera pas son allocution sans inviter l’assistance à la vigilance mais aussi à fournir des efforts et à se retrousser les manches.

F. A.