L’Europe lance sa guerre préventive du gaz

Elle joue la concurrence entre fournisseurs

L’Europe lance sa guerre préventive du gaz

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 18 juillet 2009

Un programme de défense avancé. C’est le nouveau plan gaz de l’Europe, multiplier les infrastructures, organiser une riposte communautaire aux crises et jouer la concurrence entre fournisseurs.

Les Européens sont traumatisés par les crises récurrentes du gaz de 2006 et du début de cette année qui avaient vu la Russie, suite à un litige avec l’Ukraine, arrêter purement et simplement – en plein hiver ! – les livraisons du précieux fluide. Le différend sur les quantités prélevées par l’Ukraine sur les livraisons à l’Ouest européen avait entraîné un arrêt brutal des livraisons suscitant l’angoisse et la colère chez les clients transis de la puissante Gazprom. Les débats, parfois enflammés, au Parlement européen sur la fiabilité russe ont conduit la Commission européenne à proposer un programme de renforcement des moyens communautaires de stockage et de répartition du gaz pour parer à d’éventuelles crises du gaz à l’avenir. Le nouveau plan de garantie de la sécurité énergétique devrait entrer en vigueur en 2014 au plus tard. D’ici à cette date, les Etats membres devront s’assurer que leurs infrastructures sont suffisamment diversifiées pour prévenir et atténuer les conséquences d’éventuelles ruptures d’approvisionnement. L’objectif étant de faire face à l’éventuelle carence de leur principale source d’approvisionnement durant une durée de 60 jours de temps glacial.

La Communauté européenne déclarera une «Urgence communautaire» si elle perd plus de 10% de ses importations gazières ou en cas de crise nationale dans l’UE, suivant les nouvelles règles proposées par l’exécutif européen. Dans ce cas, les pays de l’UE devront faire preuve de solidarité pour assurer un flux continu au travers de leurs frontières. A fin septembre 2010, les pays de l’UE soumettront leurs projets de diversification de leurs réseaux et de réponse aux situations d’urgence.

Dans son communiqué daté du 16 juillet, la Commission insiste aussi sur son propre rôle dans la coordination des actions durant les crises et sur l’instauration de mécanismes afin que les Etats membres accordent leurs efforts. Le communiqué ne précise pas les mesures concrètes destinées à atteindre cet objectif. Selon des spécialistes des questions énergétiques, l’UE envisage la création de nouveaux terminaux de regazéification du GNL, des entrepôts souterrains et des gazoducs supplémentaires destinés à échanger des quantités de gaz entre pays membres…

 

Des terminaux, des entrepôts… en attendant l’évitement de la Russie

Selon les experts, le plan européen est purement transitoire et démontre un certain scepticisme devant la mise en service rapide des gazoducs Nabucco ou South Stream qui pourraient réduire effectivement sa dépendance au gaz russe. Il n’est pas inutile de noter que la publication de ce programme intervient au lendemain, littéralement, de la signature d’un accord politique à Ankara relatif au projet de gazoduc Nabucco. Le pipeline, dont l’entrée en service est prévue – hypothèse optimiste – à 2014, pourra transporter 31 milliards de mètres cubes de gaz par an à partir d’Asie centrale et devrait coûter environ 8 milliards d’euros.

Le projet de gazoduc Nabucco lancé en 2002, dans le but de réduire la dépendance énergétique des pays de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie, est entré dans une phase nouvelle avec la signature lundi 13 juillet d’un important accord politique en Turquie. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, présent à Ankara, a pu rencontrer les partenaires au projet ainsi que les deux fournisseurs potentiels, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan. Malgré la satisfaction apparente des participants à la cérémonie de signature, de nombreuses questions restent en suspens sur la capacité des fournisseurs à développer leurs gisements.

Des alternatives sont d’ores et déjà envisagées, notamment les champs du nord de l’Irak ou même ceux de l’Iran malgré l’ostracisme « nucléaire » dont ce pays est l’objet. Les Européens sont d’ailleurs divisés sur la question de la sécurité énergétique et de l’évitement de la Russie. Les Allemands engagés aux côtés des Russes sur le projet North Stream, destiné à contourner l’Ukraine via la mer Baltique, estiment que la rationalité industrielle, au niveau des entreprises, doit jouer un rôle primordial en cas de crise. Les autorités européennes ne devant intervenir, selon Berlin, qu’en cas de situation « exceptionnelle ».

Russie contre Algérie, contre Qatar…

Les enjeux sont d’importance, le gaz étant appelé, notamment pour des raisons de protection de l’environnement, à assumer une part croissante de la consommation européenne de combustibles fossiles. Derrière le discours sur la sécurité des approvisionnements, l’intention première de l’UE est de mettre en concurrence le maximum de fournisseurs possibles. La diversification élargie est en effet le moyen le plus efficace de maintenir la position dominante du client dans une stratégie commerciale destinée à exercer une pression permanente sur les prix. Les déclarations du commissaire européen à l’énergie sont parfaitement limpides à cet égard. Interrogé sur la possibilité que le gaz algérien, qui devrait venir sur le marché européen par le gazoduc «TSGP» qui part du Nigeria, puisse remplacer le gaz russe, Andris Piebalgs a écarté cette possibilité et a rappelé que l’Algérie couvre «déjà» 10% des besoins de l’UE. Au sujet du Qatar, autre producteur très important, le responsable européen a montré l’intérêt de la Commission: «C’est un pays vers lequel nous regardons». L’UE souhaite porter ses importations de l’Emirat de 7,5 milliards de m3 actuellement à 30 milliards de m3. On le voit, la priorité à la sécurité des approvisionnements est inséparable de la logique de mise en concurrence des fournisseurs.