Enquête sur la gestion des déchets hospitaliers

Enquête sur la gestion des déchets hospitaliers

La bombe à retardement

Par :Nissa Hammadi, Liberté, 7 octobre 2009

Un enfant, non autorisé à pénétrer en compagnie de ses parents à l’intérieur du service de réanimation, déambule dans les allées de l’hôpital. Très vite, il s’approche d’un amas de déchets, se saisit d’un ballon de transfusion et tente de le gonfler. Le reste du sérum descend dans sa bouche. Des femmes de ménage, qui travaillent pieds nus, des chats fouillant les poubelles, des seringues usitées dans des bouteilles d’eau minérale vides, des déchets de soins transportés dans des brouettes, des berceaux, des tracteurs, brûlés à ciel ouvert ou laissés en état jusqu’au pourrissement. Ce sont là, quelques scènes observées dans nos hôpitaux algérois. Une catastrophe pour l’homme et pour l’environnement à l’heure où la grippe aviaire et le virus H1N1 (grippe porcine) se propagent à une vitesse alarmante dans le monde.

Les déchets d’activités de soins sont constitués d’objets pointus, tranchants, de sang, de produits chimiques, pharmaceutiques, radioactifs, de tous les placentas et autres déchets anatomiques humains, correspondant à des fragments humains. Une mauvaise gestion de ces déchets expose toute personne qui s’en approche à des risques d’infection, d’être contaminée par différents virus, à des blessures en sus des dégâts occasionnés à l’environnement, notamment par la contamination des sols, des ressources hydriques et de l’air. La filière d’élimination des déchets d’activités de soins n’est ni organisée, ni structurée, ni sécurisée dans l’ensemble de nos établissements hospitaliers. Toutes les actions menées jusque-là se sont avérées défaillantes, obsolètes.
Nos déchets médicaux subissent pratiquement le même sort que les ordures qui sortent de nos maisons. Contrairement à ce qu’affirment les directeurs d’établissement hospitalier du secteur public aussi bien que les responsables de structures privées, des quantités énormes de déchets d’activités de soins à risque (Dasri) finissent dans la décharge publique de Oued-Smar où l’on a pu voir des seringues, des poches de sang, de sérum, des compresses et autres matériels utilisés dans nos structures de santé. Pourtant qui mieux que nos praticiens de la santé savent que 20% des déchets médicaux sont considérés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme une source à risque, susceptibles de propager autant des microorganismes pathogènes que des produits chimiques dangereux. Autant le dire, les producteurs de déchets à risque ne se sentent aucunement responsables de cette situation qui se traduit sur le terrain par une absence de matériel adapté pour l’élimination des Dasri, par l’absence de consommables répondant aux normes et donc par une non-application de protocole. En août 2006, le ministère de la Santé décide de mener son enquête sur les filières de déchets en confiant cette mission à un groupe de médecins et inspecteurs de la santé, à leur tête le professeur Soukehal, chef de service épidémiologie de l’hôpital de Béni-Messous.
Cette étude a concerné 47 wilayas pour un total de 95 établissements hospitaliers. Le constat est ahurissant : seulement 26% des établissements hospitaliers recourent à l’usage unique (non tissé) du linge, notamment au bloc opératoire, augmentant ainsi le risque des infections nosocomiales. Les tenues jetables sont disponibles sur le marché algérien, mais leur prix demeure relativement élevé à cause des taxes douanières de 30% auxquelles elles sont soumises.
Les locaux de stockage n’existent que dans 1 établissement sur 3. 29,4% des structures hospitalières possèdent des locaux de stockage intermédiaires dans le service et 25,2% possèdent des locaux de stockage intermédiaires en dehors du service. Pour ce qui est des zones de regroupement extérieures aux services, 68% des établissements déposent des sacs de déchets à même le sol, 26,3% disposent de niches à ordures en dur ouvertes, 16,8% des niches à ordures fermées, 26,3% des conteneurs métalliques ouverts et 23,1% possèdent des conteneurs métalliques fermés. Autres chiffres alarmants : 41% des établissements hospitaliers ont des tas d’ordures à même le sol et 12,6% possèdent des zones de regroupement extérieures, 26,3% ont des points d’eau à côté des zones de regroupement contre 25,2% qui ont des zones de décharge sauvages. Pour ce qui est du mode de transport de ces déchets, évitons de verser dans les chiffres pour se contenter de dire que les sacs de déchets sont traînés à la main, transportés dans des chariots de fortune, des tracteurs avec remorque, des brouettes… sans qu’aucune précaution ne soit prise pour la protection du personnel qui semble ignorer tout du risque, puisqu’on observe souvent un travailleur assis sur les déchets de soins entassés dans la remorque d’un tracteur.

Le tri des déchets non effectué à la source
Dans nos structures de santé, on constate également une méconnaissance de l’emballage adapté à la collecte des déchets de soins à risque. On peut trouver des sacs non fermés, éventrés, de vieux seaux, de bidons de récupération, des cartons… Les supports normés n’existent pas dans les services. Le tri n’est pas effectué à la source. En effet, le premier geste de prévention consiste normalement à mettre les déchets tranchants et piquants comme le bistouri, la seringue montée, le tube de sang, les embrases à glycémie, l’agrafe, etc. dans des conteneurs à usage unique, étanches et fermés de couleur jaune portant le pictogramme universel (risque infectieux).
Pour les déchets mous tels que les compresses, le coton, les gants, les masques, les sondes, les poches à perfusion, les pansements, etc., ils doivent être mis dans des cartons rigides, doublés de sacs de plastique et remplis impérativement pour éviter leur éventrement. Ces contenants ne doivent à aucun cas traîner par terre. L’entreposage, le transport et la destruction de ces déchets doivent se faire selon les normes. Est-ce que c’est le cas chez nous ?
Dans 42% des services, le stockage des déchets de soins se fait dans les salles de soins, dans d’autres dans les sanitaires, sur le rebord des fenêtres, derrière la porte ou sous l’escalier. Une anarchie règne dans le domaine. Dans 68% de nos hôpitaux, le personnel travaille à mains nues. Pis, on dispose d’un matériel d’incinération installé dans l’enceinte même des hôpitaux, complètement dépassé et hors normes européennes. Des brûleurs obsolètes, polluants et nocifs pour les malades hospitalisés, pour le personnel de l’hôpital et pour l’environnement. Une installation et une organisation en totale contradiction avec les textes de loi en vigueur autour de cette question.
Il faut savoir que les incinérateurs à l’intérieur de l’hôpital sont bannis dans la majorité des pays dans le monde, notamment parce qu’ils ne fonctionnent pas correctement, dans des conditions techniques et économiques acceptables, à cause du traitement discontinu, de températures trop basses et de l’absence de traitement des fumées ou d’un entretien défaillant. Il faut savoir également que certains déchets sont à exclure du traitement par incinération comme les sels d’argent, les produits chimiques utilisés pour les opérations de développement, les produits chimiques explosifs, à haut pouvoir oxydant, les déchets mercuriels, les déchets radioactifs…
Dans notre pays, 30 établissements des 95 concernés par l’enquête ont un incinérateur à l’intérieur et 65 un “brûleur”. La plupart ne sont pas en état de fonctionnement. 45% d’entre eux sont carrément en panne. Ceux qui fonctionnent ont une capacité de traitement qui varie entre 2 kg/heure et 520 kg/heure. Alors que le volume des déchets de soins chez nous reste élevé : 1 kg par lit et par jour. Les Dasri éliminés par les centres d’hémodialyse représentent, quant à eux, 2 kg par séance. Soit 6 kg de Dasri par malade et par semaine contre 900g/kg par accouchement.
Plus de la moitié des incinérateurs et des brûleurs n’ont pas d’indicateur de température visible. Dans son instruction du mois août 2008, le ministre de la Santé établit un tableau sombre de la situation en s’en prenant aux responsables des établissements hospitaliers qui, selon lui, “à tous les échelons se désintéressent du problème. Aucune mesure concrète n’est prise pour sécuriser cette source de risques”. Le ministre rappelle “le principe fondamental qui stipule que le producteur de déchets est responsable de leur élimination, consacré par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Je vous rappelle que les déchets d’activités de soins de par leur nature, sont à l’origine de nombreux risques à chaque étape de leur élimination, depuis leur production jusqu’au traitement final”. Presqu’une année après la mise en vigueur de cette instruction, les choses n’ont pas changé, sans qu’aucune sanction ne soit prise à l’encontre des contrevenants aux textes de loi autour de ce dossier sensible.


Professeur Soukehal, épidémiologiste, chef de service à l’hôpital de Béni-Messous

“On nous impose une technologie dépassée, qui n’a plus cours en Europe”

Par :Nissa Hammadi

Il fait la chasse aux microbes et aux déchets à risques infectieux dans nos hôpitaux. Chargé de mener une enquête pour le compte du ministère de la Santé sur les filières d’élimination des déchets d’activités de soins, il revient avec un constat des plus terribles.

Liberté : Une mauvaise gestion des déchets d’activités de soins entraîne des risques très graves pour la santé et l’environnement. Or, nous constatons carrément chez nous une non-gestion des déchets hospitaliers. Pourquoi ?
Professeur Soukehal : La notion de “déchets” en milieu de soins doit d’abord être cernée avant de parler de gestion de ces déchets. Est considéré comme déchet “toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire”. Dans un établissement de soins (santé publique ou privée), la problématique liée à la gestion des déchets d’activités de soins est devenue complexe et n’a pas été correctement prise en compte tant au plan législatif qu’au plan technique. Si au plan de la prise en charge thérapeutique des maladies, de grandes avancées ont été réalisées, au plan de la prévention et de la prise en charge des déchets d’activités de soins (DAS), tout reste à faire. Les DAS représentent tous les déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif, dans les domaines de la médecine humaine mais aussi de la médecine vétérinaire. Il est tant d’ouvrir ce grand dossier de la prise en charge des déchets d’activités de soins à risque qui portent atteinte à la santé de l’homme ainsi qu’à l’environnement : cette prise en charge nécessite la mise en œuvre de procédures, de protocoles et modes opératoires qui doivent intégrer l’ensemble des obligations législatives et réglementaires. Cette démarche, obligatoire pour les professionnels de santé et pour les établissements de soins s’inscrit dans le cadre d’une démarche qualité globale qui protège l’environnement et maîtrise le risque infectieux et toxique. La réalisation de cette étude nationale sur les déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) instituée par la décision ministérielle de août 2006, montrant ainsi tout l’intérêt porté par les pouvoirs publics à ce problème de santé publique. Cette enquête a mis en évidence une non-gestion totale de cette filière aussi bien dans les structures de santé relevant du secteur public que du secteur privé.

Vous avez mené, pour le compte du ministère de la Santé, une étude sur le sujet et vous revenez avec un constat effarant. Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé ?
Le terme “déchet” n’est pas connu et reconnu et le principe universel du “pollueur payeur” n’est pas appliqué. Les producteurs de déchets à risques ne se considèrent pas responsables des déchets qu’ils produisent.
Ceci se traduit sur le terrain par une absence d’un matériel adapté pour l’élimination des Dasri, par l’absence de consommables répondant aux normes, et par voie de conséquence par non-application de protocole. Face aux maladies émergentes et réémergentes, la gestion du risque infectieux est inexistante.

Quelle est l’efficacité du matériel disponible d’incinération de ces déchets ?
Le constat réalisé à travers notre enquête a été double. Les résultats obtenus portant sur l’élimination des déchets d’activités de soins ont montré que le matériel d’incinération installé dans l’enceinte même des hôpitaux est en contradiction même avec la loi. Ce matériel est constitué de brûleurs obsolètes, polluants et dangereux pour les malades hospitalisés, pour le personnel de santé qui exerce dans l’établissement, pour les visiteurs, les riverains et pour l’environnement urbain. Leur installation in situ n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact sur l’environnement et cette installation n’est pas en conformité avec les textes. Pour rappel, dans toute l’Europe, tous les incinérateurs pour déchets d’activités de soins, quelle que soit leur technologie, n’existent plus dans l’enceinte des établissements de santé. Ils ont été externalisés et unis en activités dans le cadre d’usine d’incinération industrielle de déchets ménagers, d’activités de soins et des déchets industriels. En Algérie, nous imposons encore dans le cadre de la prévention, une technologie dépassée, obsolète qui n’a plus cours en Europe car cette technique ne fait que transformer le Dasri en Drct. La réforme hospitalière doit s’inscrire dans le cadre d’une démarche qualité englobant le préventif, le curatif, le suivi et le palliatif.

Est-ce que tous les hôpitaux en sont dotés ? Et qu’en est-il du traitement des déchets des structures privées de santé ?
Notre enquête a montré qu’en plus du caractère obsolète du matériel en place, 45% de ce type de matériel est en panne ; constatant par-là même une non-gestion du risque infectieux au niveau des déchets d’activités de soins dont le volume quotidien élevé est en moyenne de 1 kg par lit et par jour. Dans cette moyenne s’inscrivent les Dasri éliminés par les centres d’hémodialyse qui représentent 2 kg par séance, soit 6 kg de Dasri par semaine et les services de maternité qui éliminent 900g/kg de Dasri par accouchement (le placenta est un Dasri). Le secteur privé n’a pas encore pris en compte cet aspect lié aux déchets d’activités de soins, et leur élimination se fait sans respect de l’écologie hospitalière de l’environnement et sans respect des normes imposées par la réglementation en vigueur.

Quelles actions faut-il mettre en œuvre immédiatement pour minimiser les risques ?
Afin de maîtriser les différents risques induits par les déchets d’activités de soins, il convient de mettre immédiatement en œuvre, un programme de gestion des risques dans tous les établissements de santé. Les risques principaux induits par les déchets se caractérisent par le risque physique (en particulier coupures et piqûres accidentelles), le risque biologique (risque infectieux et risque de contamination), le risque chimique-toxique, le risque radioactif, le risque éco-toxique et enfin le risque de violation du respect de la vie privée du patient ou des travailleurs de la santé. Faire face à ces risques, c’est organiser les filières des DAS dans le respect des procédures tant au niveau des couleurs de chaque filière avec conditionnement dans un emballage de couleur biohazard pour les Dasri et répondant à la norme NFX 30-500 et NFX 30-501. Emballage de couleur rouge pour les Drct (déchets à risques chimique et toxique), emballage de couleur verte pour les organes et pièces anatomiques reconnaissables. Emballage noir pour les déchets assimilés à des ordures ménagères (Daom), emballage transparent pour les déchets radioactifs pour le biohazard radioactif. La filière d’élimination doit se décliner autour de 5 axes pratiques parfaitement codifiés. Le tri à la source qui est obligatoire et qui permet de séparer les catégories de déchets et de les constituer dans la filière spécifique. L’entreposage qui doit obéir à des règles précises. Le transport qui doit être adapté au transport des matières dangereuses par route. Leur destruction in situ dans le respect de l’écologie hospitalière et leur élimination ultime.

Quelle sera la solution pour l’avenir ?
À l’heure actuelle, un intérêt important est manifesté par des techniques intra-hospitalières qui permettent de déclasser les déchets d’une classe de danger élevé vers une classe de danger moins élevé. Ainsi, les Dasri sont stérilisés, transformés, modifiés dans leur apparence afin de les transformer en Daom. Cette technique fait appel : – Au procédé Ecodas : il comprend un équipement qui permet de stériliser les Dasri par la vapeur d’eau et de les broyer afin de les transformer en Daom inoffensifs. – Au procédé Sterigerms comprend un équipement qui permet de stériliser les Dasri par la chaleur (stérilisation thermique) et de les compresser afin d’en réduire le volume et transformer les Dasri en une galette inoffensive qui sera éliminée dans la même filière que les Daom. Tous les aspects liés à l’écologie hospitalière seront ainsi préservés. Les Drct, il s’agit pour l’essentiel des déchets de laboratoires et de pharmacie et une grande partie se présente sous forme liquide, leur élimination ne peut se faire que dans des établissements classés au titre “des installations classées”, leur traitement ultime ne peut être qu’externalisé.

 


M. Touhant Jalel, inspecteur praticien, à propos de la dernière instruction ministérielle

Elle instaure le système de banalisation des déchets

Par :Nissa Hammadi

Le ministre de la santé, de la population et de la réforme hospitalière a instruit, en août 2008, les professionnels de la santé de réorganiser la filière d’élimination de déchets d’activités de soins dans les meilleurs délais. Presqu’une année après, qu’en est-il ? M. Touhant Jalel inspecteur praticien revient sur le contenu de cette directive : “L’instruction du 04/08/2008 a instauré l’obligation de prendre en charge la gestion des déchets d’activités de soins par les établissements de santé. Elle définit le tri, le stockage et le traitement des déchets d’activités de soins, parle des emballages qui doivent être aux normes européennes et insiste sur le fait que le traitement des Dasri (déchets d’activités de soins à risques infectieux) doit être écologique en préférant la banalisation sur l’incinération in situ qui est très dangereuse pour l’homme et l’environnement.” Pour ce qui est des incinérateurs dont disposent nos établissements à ce jour, il affirme qu’“ils sont obsolètes par rapport aux normes internationales”, quand ils ne sont pas en panne. En effet, M. Touhant nous déclare que “l’étude faite en 2006 sur 95 établissements montre qu’environ 45% des incinérateurs sont en panne et le reste fonctionne en discontinu.” Le secteur privé, soit sous-traite avec des hôpitaux ou rejette ces Dasri dans les décharges publiques. “Sur le terrain, nous observons un regain d’intérêt avec l’achat de quelques équipements. Mais seule une autre étude peut nous donner des informations plus fiables sur le changement de comportement sur cette gestion”, conclut M. Touhant.