Les économies arabes dans le rouge

Baisse du prix du pétrole et instabilité politique

Les économies arabes dans le rouge

El Watan, 14 novembre 2016

Le FMI a débloqué une aide au vu du déficit budgétaire de l’Etat égyptien, équivalent à 11% du PIB, alors que celui de la balance des paiements est de 7,5% du PIB.

L’Egypte, l’un des pays les plus peuplés du Monde arabe, est confronté à une grave crise économique doublée de troubles sociaux. Très dépendant de ses importations, le pays fait face à une pénurie de devises étrangères, sur fond de ralentissement des revenus tirés du canal de Suez et de la chute du tourisme depuis que le soulèvement populaire de 2011 qui a fait fuir de nombreux visiteurs et investisseurs étrangers.

Les réserves de devises ont ainsi diminué de plus de la moitié depuis 2011, passant de 36 milliards de dollars avant la révolution à 16,5 milliards en février dernier, et ce, malgré les aides apportées ces deux dernières années par les puissantes monarchies du Golfe, qui se sont élevées à quelque 20 milliards de dollars.

La pénurie de devises étrangères a fait exploser les prix, provoquant des pénuries de sucre, de riz, d’huile, de lait infantile ou encore de médicaments. La semaine dernière, la Banque centrale égyptienne a décidé de laisser flotter librement sa monnaie, provoquant une dépréciation de 50% par rapport au dollar. La décision de la Banque centrale s’inscrit dans le cadre des réformes liées à l’obtention d’un prêt pour soutenir l’économie égyptienne.

La croissance en berne

Plus de deux mois après la signature d’un accord préliminaire, le FMI a lancé vendredi dernier une bouée de sauvetage à l’Egypte en lui accordant une ligne de crédit de 12 milliards de dollars. Une aide nécessaire au vu du déficit budgétaire équivalent à 11% du PIB et de celui de la balance des paiements qui est de 7,5% du PIB. Une première tranche dudit prêt va être immédiatement débloquée, mais les autres versements restent conditionnés à l’application de mesures d’austérité impopulaires.

Sous la pression du FMI, le gouvernement égyptien a déjà lancé un douloureux programme de réformes, qui prévoit notamment une baisse drastique des subventions publiques, qui représentent 7,9% des dépenses de l’Etat, allouées notamment à l’électricité et au carburant. A cela s’ajoute l’instauration d’une TVA et le gel des emplois de fonctionnaires.

L’obtention de cette nouvelle ligne de crédit intervient dans un contexte des plus difficiles pour le gouvernement, confronté au risque de manifestations de masse dans un pays où 27,8% de la population vit sous le seuil de pauvreté et où l’inflation atteint 14%, selon des chiffres officiels. Arrivé au pouvoir après la destitution par l’armée de l’islamiste Mohamed Morsi en 2013, le président Abdelfattah Al Sissi a dû monter au créneau pour défendre des réformes «difficiles mais inévitables».

Fin 2012, le FMI et l’Egypte avaient conclu un préaccord pour un prêt de 4,8 milliards de dollars assorti de réformes économiques. Mais les discussions avaient été interrompues quelques mois plus tard, en pleine vague d’instabilité politique dans le pays qui a abouti à la destitution de Mohamed Morsi par l’armée en juillet 2013. La croissance économique du pays — qui est aussi parvenu à obtenir 6 milliards de dollars de financements en faisant appel aux marchés financiers — reste par ailleurs morose et devrait ralentir à 3,8% cette année, contre 4,2% en 2015, d’après le FMI.
Hocine Lamriben

Baisse du prix du pétrole et instabilité politique dans plusieurs pays arabes

Les saoudiens découvrent l’austérité

Le passage du baril de 100 à 40 dollars a poussé l’Arabie Saoudite à réduire ses dépenses dans un contexte social difficile, qui a vu le taux de chômage partir en flèche.

Avec un quart des réserves mondiales de pétrole et premier producteur Opep, l’on croyait l’Arabie Saoudite prémunie contre la crise due à la chute des prix de l’or noir amorcée à partir de 2015 suite à un pic historique de hausse des cours sur les marchés internationaux en 2014. Le déficit budgétaire du royaume wahhabite, dont les revenus dépendent à 90% des hydrocarbures, s’est établi l’année dernière à 89,2 milliards d’euros.

Le passage du baril de 100 à 40 dollars l’a poussé à réduire déjà ses dépenses dans un contexte social difficile qui a vu le taux de chômage partir en flèche. Pour une population habituée à la rente providentielle, c’est un drame. Les Saoudiens vont ainsi goûter à l’austérité qui annonce une série de mesures difficiles à supporter socialement, tel l’arrêt des subventions sur les carburants et l’électricité et l’instauration de la TVA. Le pays n’est pourtant pas en faillite avec des réserves qui dépasseraient les 670 milliards d’euros, selon des chiffres donnés par le site web de France info.

L’Arabie Saoudite veut certainement prévenir une année de disette si les cours du pétrole restent en l’état en 2017. Si les Saoudiens rêvent d’une remontée des prix après la dernière réunion informelle des pays producteurs à Alger, en attendant la prochaine rencontre de Vienne sur laquelle l’Opep fonde tous ses espoirs, celle-ci tardera, selon les prévisions de beaucoup d’experts, à venir. Car elle dépend moins du gel de la production que d’autres facteurs que les pays producteurs ne maîtrisent pas, comme le recul de la croissance chinoise.

L’Arabie Saoudite, dont l’effort de guerre au Yémen s’avère des plus coûteux, paie aussi le prix de la violation des accords de Doha en refusant de respecter les niveaux de production limités qui auraient pu, un tant soit peu, maintenir les prix du pétrole à un niveau respectable. Le royaume wahhabite, qui a cru compenser la chute des cours de l’or noir en enfreignant les accords de l’Opep, a vite été rattrapé par la crise.

Comme les pays vivant de la rente pétrolière, il s’est retrouvé avec un déséquilibre budgétaire qui ne cesse de se creuser. Et rien ne dit que les lendemains seront meilleurs pour les Saoudiens. La Coface énumère plusieurs causes : «La consommation domestique croissante d’énergie, un fort taux de chômage des nationaux, la fragilité de la gouvernance assombrissant le climat des affaires et un environnement géopolitique instable.»

Réformes douloureuses

Selon des données publiées par la même source, le gouvernement, qui a revu à la baisse la politique des subventions induisant une augmentation de 50% du prix de l’essence à la pompe, entend bien passer à la vitesse supérieure en lançant un train de réforme avec un «large chantier de privatisations qui devrait inclure l’ouverture du capital du monopole pétrolier Aramco ainsi que la mise sur le marché de terrains publics». Mais rien n’est moins sûr pour redresser une situation porteuse de risques de déstabilisation sociale.

L’Arabie Saoudite doit aussi attendre la providence des marchés internationaux de l’or noir. Selon la Coface, dans sa dernière note de juillet 2016, «la baisse des recettes d’exportation n’a été que faiblement compensée par la contraction des importations qui ont décru de 14 %». «Les IDE pourraient, eux aussi, ralentir en raison de la perte de confiance des investisseurs suite à la dégradation de la note du pays par plusieurs agences de notations.»
Said Rabia


Le Koweït face au gouffre du déficit

Le gouvernement, qui prépare la tenue des élections législatives anticipées dans quelques jours, doit faire face à la réticence du peuple koweïtien aux mesures d’austérité.

La forte dépendance au pétrole a mis le Koweït dans une situation précaire après la chute des cours. A l’instar d’autres monarchies du Golfe, le Koweït a été contraint d’adopter des mesures d’austérité, dont la libéralisation des prix du diesel et du kérosène, ainsi qu’une augmentation des prix de l’essence.

Le Koweït est dans l’obligation de prendre plusieurs autres mesures d’austérité, qui s’ajoutent aux efforts de cet émirat pour réduire ses dépenses publiques et augmenter ses revenus non pétroliers dans le but de diversifier son économie. La presse locale cite, entre autres mesures pour réduire la dépense publique, l’augmentation des prix de l’eau, de l’électricité et de l’essence, du kérosène et autres carburants, ce qui a conduit en octobre dernier à la dissolution du Parlement et à la convocation d’élections anticipées pour le 26 novembre afin d’éviter que la crise politique ne dure.

Le Koweït, qui compte 4,3 millions d’habitants, dont trois millions d’étrangers, a prévu pour l’exercice en cours un déficit de 29 milliards de dollars, le premier depuis 16 ans d’excédents. Le pays a accumulé environ 600 milliards de dollars (539 milliards d’euros) qui ont été investis par le fonds souverain Kuwait Investment Authority aux Etats-Unis, en Europe et en Asie.

Les dépenses, qui ont triplé à des niveaux record entre 2006 et 2015, principalement pour les salaires et les subventions, ont été réduites de 15% lorsque les prix du brut ont perdu 60% de leur valeur. Pays membre de l’Opep, le Koweït, avec une production de 3 millions de barils par jour, a en conséquence accusé un déficit budgétaire de 13,7 milliards d’euros en 2015/2016. Sans mesures d’austérité, le gouvernement ne pourrait même pas payer les salaires des fonctionnaires, qui représentent plus de la moitié des dépenses publiques.
R. S.


La Tunisie en «état d’urgence économique»

Secteur important de l’économie de la Tunisie, le tourisme est presque agonisant. Les recettes de cette activité ont enregistré au cours des neuf premiers mois de l’année en cours une baisse de plus de 8% par rapport à la même période de 2015 (une autre année catastrophique), selon des chiffres officiels.

Du 1er janvier au 31 septembre, la Tunisie a enregistré quelque 730 millions d’euros, contre 800 millions à la même période de 2015. Soit une baisse de 8,4%, d’après des données publiées sur le site du ministère du Tourisme. La chute atteint 34,1% si l’on se rapporte au neuf premiers mois de 2014, avant les attaques djihadistes contre le musée du Bardo et sur une plage de Sousse, en mars et juin 2015. Attaques qui ont fait 60 morts, dont 59 touristes étrangers.

Selon le rapport de suivi de la situation économique en Tunisie de la Banque mondiale, rendu public en avril dernier, il est indiqué, concernant l’année 2015, que le taux de chômage reste élevé à 15,4%. La dette publique a atteint 52% du PIB. Récemment, le ministre de l’Investissement, Fadhel Abdelkefi, a estimé que la Tunisie est en «état d’urgence économique» du fait notamment d’une croissance inférieure à 1,4% en 2016.

Ceci dit, la Tunisie est contrainte à entreprendre des réformes pour convaincre les institutions financières internationales à débloquer des aides pour la relance économique. Mais la puissante centrale syndicale UGTT a un autre avis. Elle a annoncé, le 17 octobre, son rejet «catégorique» du projet de loi de finances 2017 approuvé le 14 du même mois par le gouvernement, qui table sur une reprise de la croissance à hauteur de 2,5%, mais aussi sur un gel, pendant au moins un an, des salaires dans la Fonction publique.

La centrale syndicale dit en outre n’avoir pas senti de la part du gouvernement de «véritable volonté de lutter contre la corruption et la contrebande et de faire face à l’évasion fiscale». Elle «fait porter au gouvernement et à toutes les parties qui le constituent la responsabilité d’une déstabilisation sociale».

Des propos qui pourraient alimenter la contestation sociale, alors que Tunis se prépare à organiser une conférence internationale pour l’investissement les 29 et 30 novembre. Président du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG qui recense notamment les mouvements sociaux à travers le pays, Abderrahmane Hedhili a récemment averti que la Tunisie traversait une période délicate : «Aujourd’hui, dans les quartiers populaires, nous avons le même profil qu’en 1984», lors des émeutes du pain.

Et de constater : «Les gens ont la mémoire courte. Aujourd’hui, on n’a pas l’impression que le gouvernement prend toutes ces questions au sérieux.» Dans un pays marqué par de multiples crises depuis sa révolution en 2011, la paix sociale constitue un défi majeur pour le gouvernement. La Tunisie a signé en mai un nouveau plan d’aide de 2,6 milliards d’euros sur quatre ans avec le Fonds monétaire international (FMI), et promis de mettre en œuvre une série de réformes délicates. Et la France s’est engagée, en janvier 2016, à apporter un milliard d’euros d’aides sous forme de prêts.
Amnay idir