Démission du président du CNES

Démission du président du CNES

Différend sur le Pacte national de croissance

El Watan, 5 mai 2005

La démission de Mohamed-Salah Mentouri, annoncée avant-hier, de son poste de président du Conseil national économique et social (CNES) a surpris même les membres de la direction de cette institution consultative.

Ce départ, qui intervient à deux semaines de la tenue de la 26e session du CNES, prévue les 22 et 23 mai, est à expliquer, selon des sources proches de la présidence du CNES, par la détérioration des relations entre Mohamed-Salah Mentouri et le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Selon une source informée, si les rapports entre le CNES et l’Exécutif étaient bons au temps de Smaïl Hamdani et Ali Benflis, ils se sont dégradés avec l’arrivée d’Ahmed Ouyahia au gouvernement. Mais la goutte qui a fait déborder le vase est liée à l’élaboration du Pacte national de croissance ou ce qui est appelé maintenant le Pacte national économique et social. Cette idée avancée par Mentouri en 1996 vise à fédérer les forces socioéconomiques afin d’aller vers une politique garantissant la stabilité et la croissance économique du pays. Pour la prochaine session, le CNES a programmé, outre le rapport de conjoncture, le débat sur ce pacte. « Je pense qu’on ne veut pas que le CNES touche à ce sujet. On veut qu’il soit traité dans le cadre des tripartites et les bipartites », a affirmé notre source. Pour rappel, la minitripartite tenue jeudi dernier au Palais du gouvernement entre Ahmed Ouyahia, Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l’UGTA, et le patronat avait mis en place quatre groupes de travail, dont un préparera le pacte. « C’est le point culminant du différend entre le CNES et l’Exécutif », ajoute la même source. Les désaccords entre le désormais ex-président du CNES et le chef du gouvernement ne sont pas limités à ce point. « Mentouri a refusé que l’institution qu’il dirige soit la caisse de résonance du gouvernement. Le CNES a critiqué, sur la base de données claires, la politique du gouvernement. Ce qui n’est pas du goût d’Ouyahia », nous a-t-on déclaré. A titre d’exemple, les résultats du Programme de soutien à la relance économique (PSRE), lancé en 2001, ont été jugés « mitigés » par l’institution de M. Mentouri. « La persistance des principales revendications liées aux salaires, aux logements… est le résultat de l’absence d’une stratégie profonde dans le Plan de relance économique », a indiqué le CNES dans son dernier rapport. Le gouvernement, dans le bilan du PSRE publié sur son site, s’est montré satisfait des réalisations de ce plan. « Même Benachenhou l’avait critiqué », précise aussi notre source soulignant que le président de la République a pris acte des recommandations du CNES. Pour preuve, « le chef de l’Etat a annoncé lui-même le lancement du Plan complémentaire de soutien à la relance économique (PCSRE) ». Il l’a fait dans la transparence, contrairement au PSRE », clame la même source. Cela pour infirmer l’existence d’un malentendu entre Abdelaziz Bouteflika et Mohamed-Salah Mentouri. Le Président, faut-il le rappeler, a procédé depuis son investiture à la dissolution des institutions installées par Liamine Zeroual durant la période transitoire, sauf le CNES. Le CNES affirme encore notre source n’a pas de différend avec l’Office national des statistiques (ONS). « Il ne produit pas de chiffres. Il travaille sur la base de ceux communiqués par l’ONS », martèle-t-on. Concernant le renouvellement du bureau du CNES, cette source a rappelé que M. Mentouri a appelé à maintes reprises au renouvellement, « mais le blocage vient toujours de l’Exécutif ». « Seuls le Président et le chef du gouvernement peuvent introduire un changement », conclut-elle. Sollicités, hier, par nos soins pour avoir des réactions et connaître les raisons ayant poussé M. Mentouri à rendre son tablier, certains membres du CNES semblent ignorer les dessous de cette affaire. Salah Djenouhat, vice-président de cette institution, a déclaré qu’il ignore les raisons ayant incité Mentouri à la démission. « Je n’étais pas mis au courant par le président. Je ne sais pas pourquoi il a démissionné. J’étais absent lors de la dernière réunion du CNES tenue le 2 mai dernier et je ne sais pas ce qui s’est passé », déclare-t-il. Mustapha Mekidech, un autre expert du CNES, actuellement à l’étranger, ne savait pas que le président avait démissionné. « Je suis à l’étranger et je ne peux faire aucune déclaration », a-t-il lancé. Même chose pour le secrétaire général de la Fédération nationale des retraités (FNTR) et membre également du CNES, Abdelmadjid Azzi. Le CNES est une institution composée de neuf groupes sociaux : l’UGTA, UNPA, patronat privé et public, l’organisation des commerçants et les associations à caractère social, les collectivités locales, l’administration centrale, les membres nommés par le Président et les représentants de l’émigration.

Madjid Makedhi


Démission de Mohamed-Salah Mentouri du CNES

« Je ne peux trahir mes principes »

En démissionnant de son poste de président du CNES, Mohamed-Salah Mentouri estime avoir pris une décision « conforme » à ses principes et à ses convictions.

Cela veut dire, selon lui, que face à la volonté de plus en plus manifeste du gouvernement de vouloir mettre au pas une institution qui a sauvegardé jusque-là un espace d’expression démocratique, il n’y avait pas d’autre alternative. « Le CNES dérange quelque part, ce n’est un secret pour personne. C’est la raison pour laquelle on a tout fait pour le réduire au silence », nous dit le président démissionnaire. Très conscient de sa prise de position éminemment politique, M. Mentouri souligne qu’une tension quasi permanente était entretenue par le gouvernement pour empêcher le CNES de faire son travail : dire la vérité, par les chiffres et les statistiques viables et vérifiables, sur l’état de notre économie. Apparemment, cette vérité ne plaisait pas beaucoup aux décideurs, notamment au chef du gouvernement, qui voulaient que, même en tant qu’organe consultatif, le CNES devait rentrer dans les rangs. « Mes principes ne me permettent pas de travestir la réalité. »« C’est contraire à mes convictions. Je crois que le gouvernement ne mesure pas les conséquences de sa démarche à vouloir tout stériliser dans ce pays. » En tout cas, avec les pressions exercées sur le CNES pour le rendre « inoffensif », il a la certitude que les espaces d’expression qui donnent un autre son de cloche ne sont pas « les bienvenus ». Du côté du CNES, l’heure est à l’amertume née de cette perspective de voir une institution aussi dynamique, qui a habitué les citoyens à une lecture vraie de l’état des lieux sur les plans économique et social, se transformer en véritable caisse de résonance. « Le gouvernement ne veut plus avoir affaire à des rapports objectifs publiés dans la presse. Il veut que tout soit confidentiel. » Alors le CNES a-t-il terminé sa mission ? Pour M. Mentouri, la balle est désormais dans le camp d’Ouyahia. Mais personne ne se fait des illusions sur l’aspect qu’il revêtira après le départ de ce dernier.

A. Merad