Le système Haddad, ou comment imposer une dîme sur les grands projets

Le système Haddad, ou comment imposer une dîme sur les grands projets

Abed Charef, Maghreb Emergent, 24 juillet 2017

De révélation en fuite, le système Haddad apparait au grand jour : une immense nasse qui permet au patron du FCE de percevoir une dîme sur tous les grands marchés.

Le Président du FCE, M. Ali Haddad, a réussi à mettre en place un système d’une redoutable efficacité, pour capter une véritable rente sur les grands marchés publics. Tirant profit de sa proximité avec le centre du cercle présidentiel, le patron de l’ETRHB s’incrustait dans les projets d’envergure, en faisant jouer ses relations. Seul ou avec des partenaires publics, privés ou étrangers, quand l’envergure du contrat le dépassait, il imposait sa présence, parfois au détriment de l’efficacité économique, selon les révélations faites depuis qu’il est tombé en disgrâce.

La descente aux enfers de M. Haddad avait été révélée lorsque le nouveau Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, l’avait discrètement fait inviter à quitter la salle lors d’une cérémonie officielle, il y a deux semaines. M. Haddad a tenté de riposter, en organisant un front avec les organisations patronales et l’UGTA, mais il semble qu’il n’avait pas compris les signaux émis par le pouvoir. Depuis, les révélations se multiplient sur ses affaires, et les institutions et entreprises multiplient les mises en demeure concernant ses chantiers.

La boulimie de Ali Haddad l’avait poussé à s’intéresser à de multiples secteurs, comme la construction, les travaux publics et l’hydraulique. Selon les fuites organisées par le Premier ministère, qui lui a déclaré la guerre, et des informations révélées par différentes institutions, M. Haddad a réussi à accaparer plus de quatre milliards de dollars de marchés, dont beaucoup accusent des retards considérables, en raison de ses faibles capacités de réalisation et de la difficulté d’organiser le management de marchés dans lesquels il était le pivot.

Impunité

L’homme bénéficiait, en plus, d’une véritable impunité. Aucun ministère, ni institution ou établissement n’osait le rappeler à l’ordre, de peur de déplaire au cercle opaque auquel il appartenait, et dont il tenait sa puissance.

Des documents parvenus à la presse indiquent que son entreprise, l’ETRHB, a bénéficié de près de quatre milliards de dollars de marchés. Sur la multitude de contrats obtenus, 26 enregistraient un retard « criant ». Certains datent de 2010, et n’ont toujours pas été achevés. L’essentiel de ces marchés se situe dans les BTP, son secteur de prédilection : routes, autoroutes, voies ferrées, ports, etc. Mais M. Haddad est aussi très présent dans le secteur de l’hydraulique, secteur longtemps géré par l’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, lui aussi tombé en disgrâce.

Méthodes banales

Le mode opératoire de M. Haddad était d’une grande banalité, avec quelques variantes connues. Il s’associait avec des partenaires étrangers, pour qui sa présence était une garantie d’obtenir le marché. Sa présence était supposée faciliter les procédures, lever les multiples obstacles et accélérer les financements bancaires si nécessaire.

Pour d’autres projets, il travaillait seul, avant de sous-traiter une partie des travaux. Bien qu’il soit difficile d’évaluer la part assurée par sa propre entreprise, il lui était facile de naviguer dans une zone grise, alors que la loi n’autorise la sous-traitance que pour une part limitée dans chaque projet.

Complaisance

L’entreprise de M. Haddad percevait des avances pour la réalisation des projets. Mais depuis que les langues ont commencé à se délier, il apparait que les sommes perçues, variables d’un projet à l’autre, seraient supérieures à ce qu’autorise la loi. Sur des marchés s’élevant globalement à 426,98 milliards de dinars, 91 milliards « ont été versés avant l’entame des travaux », selon des documents parvenus à la presse.

Ce modèle suppose qu’il suffisait à M. Haddad de signer des contrats, pour percevoir des avances. L’entreprise ne travaillait pas sur ses fonds propres. « M. Haddad était connu pour cette méthode : il se contentait de l’installation des chantiers », selon un ingénieur qui a travaillé sur de nombreux chantiers.

Où allai cet argent ? M. Haddad était considéré comme un des principaux financiers de la campagne du président Bouteflika de 2014. Il avait poussé vers la porte de sortie l’ancien président du FCE, Rédha Hamiani, pour s’emparer de l’organisation et l’arrimer au président Bouteflika. Ensuite, il en a fait un centre de pouvoir et de partage de la rente des marchés publics.

Fuite de devises et projets à l’arrêt

Selon des révélations de la presse, M. Haddad a aussi acquis des biens à l’étranger. Il aurait ainsi acheté un hôtel de haut standing à Barcelone pour 70 millions d’euros. Le gouvernement a aussi fait savoir qu’il dispose d’informations précises sur les exportations illicites de devises et sur les biens achetés par les oligarques algériens en Europe.

Fait aggravant aux yeux de l’opinion, la présence de M. Haddad parasitait de nombreux projets. Ainsi, a-t-il réussi à s’imposer comme partenaire dans le projet du grand port du centre, près de Tipaza, qui a déjà pris une année de retard sur le calendrier prévu. Les partenaires chinois du projet ont exprimé leur embarras, et l’un d’eux a même annoncé son retrait de ce projet phare. Le Premier ministre a laissé entendre que la participation du groupe Haddad au projet allait être revue, pour lui permettre de démarrer.