Les Algériens craignent de dénoncer la corruption

Une étude de la ligue algérienne de défense des droits de l’homme

Les Algériens craignent de dénoncer la corruption

El Watan, 14 décembre 2011

L’enquête, réalisée sur un échantillon de 1600 personnes, démontre que 85% des Algériens croient que les hauts fonctionnaires bénéficient de l’immunité.

Près de 52% de l’échantillon craignent d’être impliqués pendant l’instruction, ce qui est synonyme de frein empêchant de révéler des faits de corruption. L’autre raison reste l’absence de documents avec plus de 43%. La même question indique que 17% sont gênés d’être traités de délateurs.

En cas de connaissance d’une affaire de corruption ou de dilapidation des deniers publics, 46% des interrogés l’exposeront à l’opinion publique (presse, associations, société civile), près de 37% à l’autorité judiciaire (procureur de la République, police, gendarmerie) et 30% à l’autorité administrative (ministère de tutelle, hiérarchie, direction). 82% des interrogés pensent que la corruption est un crime et 15% estiment que c’est un délit.

Au niveau de la justice, 85% pensent que les peines prononcées dans les affaires de corruption sont légères et 14% considèrent qu’elles sont sévères. Sur ce point, Mostefa Atoui, coordonnateur national de la cellule de lutte contre la corruption de la Laddh, souligne que «la loi 06-01 devrait être développée». «Comment se fait-il que l’auteur de dilapidation des deniers publics est condamné à 10 ans de prison, et pour bonne conduite, il est libre au bout de 5 ans, avec à la clé des milliards», s’interroge-t-il. De son avis, «ceci encourage l’impunité».

Par ailleurs, 31% de l’échantillon supposent que les poursuites judicaires dans les affaires de corruption se déclenchent sur dénonciation, plus de 31% sur la base d’articles de presse et 30% de lettres anonymes. Intitulée «Le citoyen face à la corruption», l’enquête a touché 24 wilayas sur 48, à savoir Jijel, Saïda, Skikda, Annaba, Constantine, Médéa, Ouargla, Oran, El Bayad, Boumerdès, Tipasa, Aïn Témouchent, Ghardaïa, Chlef, Laghouat, Batna, Béjaïa, Biskra, Blida, Bouira, Tlemcen, Tiaret, Tizi Ouzou, Alger et Djelfa. Un formulaire comportant neuf questions a été envoyé aux représentants de la Laddh qui, eux-mêmes, l’ont proposé comme réponses à plusieurs citoyens au niveau de leur localité. 56,4% des citoyens approchés sont âgés entre 18 et 40 ans. Les fonctionnaires constituent plus de 50% de l’échantillon.

Le fonctionnaire qui a inspiré la Laddh :

Un fonctionnaire d’une entreprise publique a inspiré la Laddh pour réaliser l’enquête. Témoin d’une affaire de corruption, ce commis de l’Etat a porté plainte contre sa direction. Une fois devant le procureur de la République, il s’est retrouvé «victime».

La direction est restée aux commandes, sans être inquiétée, tandis que le fonctionnaire en question a été licencié de son poste. Sans assurance, sans indemnités, il est chômeur depuis 3 ans.
Quant au procureur chargé de l’affaire, en l’espace de trois années, il n’a pas avancé d’un iota, selon Moumen Khelil, secrétaire général de la Laddh.

Mehdi Bsikri


Les représailles sont monnaie courante

Le problème majeur de la corruption en Algérie se trouve au niveau des institutions», assène Mostefa Atoui, coordonnateur de la cellule, avant de déclarer : «Tayeb Belaïz dit que la justice est indépendante. Il lance même un défi. Nous lui prouverons que la justice est instrumentalisée.»

Face à l’immobilisme des institutions, de la société civile et des partis politiques, la Cellule nationale de lutte contre la corruption et la protection des deniers publics (CNLCCPDP) va, à travers l’étude réalisée par ses soins, lancer un travail de sensibilisation.
M. Atoui affirme que «la Laddh souhaite donner une voix au citoyen pour le sortir de l’anonymat et le protéger». En second lieu, poursuit-il, «nous voulons participer au renforcement de la législation en la matière». Plus loin, le conférencier n’hésite pas à qualifier la passivité de l’Etat de «responsable de la prolifération de la corruption» à toutes les échelles de l’administration. Selon lui, «la dernière hausse des salaires, la rémunération des députés et sénateurs, l’octroi aux jeunes de crédits Ansej sont autant d’exemples similaires à la corruption, puisque le but recherché est de gagner la paix sociale».

«L’absence de volonté politique du gouvernement traduit l’encouragement de ce fléau», assène-t-il. Et d’indiquer : «Des enfants de membres de la Commission nationale de prévention et de lutte contre la corruption ont plongé dans des affaires de malversation. En plus, la composante de cette commission a été nommée par le gouvernement et personne ne représente la société civile.» Pour sa part, maître Bouchachi explique : «N’importe qui peut s’adresser à la Laddh. Ce que nous pouvons réaliser à notre niveau, ce n’est qu’une fois que le dossier prouve un cas de corruption, nous alertons le procureur de la République territorialement compétent. De cette manière, nous pouvons protéger le citoyen.» Toutefois, «les instances internationales peuvent être sollicitées si, localement, les conclusions de la justice ne sont pas satisfaisantes», ajoute M. Bouchachi. Il souligne : «L’Algérie a ratifié des conventions et accepté le droit de regard de ces instances (…) Nous ne demandons ni l’aide des Etats-Unis ni celle de la France.»

Mehdi Bsikri