Un argumentaire pervers

UN ARGUMENTAIRE PERVERS

par M.Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 15 août 2013

On ne sait pas si M. Chakib Khelil dit vrai sur le fait qu’il n’a pas la «nationalité américaine». La chose semblait «établie» depuis des années et le ministre n’avait pas jugé utile de démentir les écrits sur ce sujet. On ne sait pas non plus si sa «disponibilité» à comparaître devant la justice algérienne n’est pas de la frime. Par contre, on peut dire que dans sa contre-offensive médiatique à travers plusieurs entretiens dans des journaux algériens, il a développé le système de défense « ministériel» le plus classique et le moins convaincant. Cet argumentaire est trop simple pour être vrai dans le système «réel» algérien.

Le ministre, explique-t-il, n’octroie pas des marchés, ce sont les dirigeants des entreprises qui le font. On est parfaitement dans le jeu du formel et de l’informel qui font la dangereuse «spécificité» du système algérien. Qui peut en effet imaginer qu’un directeur d’entreprise publique – même de Sonatrach – puisse refuser de signer dans le sens d’une préférence que son ministre de «tutelle» peut exprimer de mille et une manières ? Dans le cas algérien, quand les dirigeants d’entreprise «tombent», ils découvrent que la protection présumée qu’ils ont ne joue pas. Ils ont en général tendance à dire la vérité : ils ont obéi à leur ministre. Cela ne minimise en rien leur responsabilité légale, bien entendu. Après tout, on ne le dira jamais assez, le patron d’une grande entreprise publique a toujours la latitude de démissionner plutôt que d’obéir et se mettre dans l’illégalité.

Quand on arrive à ces hautes fonctions, on peut présumer qu’on a des compétences suffisantes pour ne pas crever de faim et gagner correctement sa vie. Dans l’histoire des entreprises publiques algériennes, il y a eu des patrons qui ont été injustement mis en cause et ont servi de bouc-émissaire. Mais il y a eu aussi des patrons qui ont commis des actes indélicats en toute connaissance de cause, non pas seulement par «obéissance» mais aussi par ambition et par intérêt. Dans ce système spécifique, ils sont très clairement le maillon faible. Ils ne sont pas réellement autonomes pour les grandes décisions – et les contrats lourds en font partie – mais ils sont formellement «seuls» responsables au plan légal.

C’est très clairement à ce système où les directeurs d’entreprise font office d’amortisseurs et de fusibles que fait référence Chakib Khelil dans son argumentaire. Il n’est pas le premier. On peut rêver qu’il soit le dernier. Mais cette façon, presque hautaine, de dire que lui «fait de la politique» et «s’occupe des intérêts supérieurs de la nation» et non de «gestion», est trop éculée pour être moralement et politiquement acceptable. Mais – et c’est ce qui est le plus perturbant -, elle peut passer devant la justice. «Formellement», le ministre de l’Energie n’est pas le patron de Sonatrach et donc si des contrats douteux sont conclus, il n’y est pour rien ! Les apparences sont sauves. En réalité, à moins d’un changement réel du système de gouvernance, la solution ne peut être qu’individuelle : démissionner plutôt que d’obéir à quelque chose d’illégal. C’est la seule manière de contrer un système pervers. Ne pas accepter de «jouer». Dire non !