Des années de disette à l’horizon

Des années de disette à l’horizon

El Watan, 5 mai 2014

Cette contribution se veut une invitation à une prise de conscience des menaces sérieuses qui pèsent sur l’avenir de la nation algérienne.

Chaque Algérienne et chaque Algérien doit intérioriser la réalité des menaces qui pointent à l’horizon, sur lui et ses enfants.
Cela fait des années que plusieurs avertissements sur l’avenir de l’Algérie ont été portés à l’attention des citoyens et des autorités concernées par voie de presse, sans prise en compte sérieuse. Aujourd’hui, je propose cette analyse rigoureuse et scientifique à travers le portail essentiel de financement des activités de l’économie et de l’Etat que sont les hydrocarbures.
L’Algérie jouit d’une aisance financière confortable dans ses relations avec le reste du monde, puisque son stock en réserves de devises déposées à l’étranger couvre autour de trois années d’importations.

Mais son économie demeure, plus que jamais, vulnérable, dépendante et volatile. Le crépuscule de la rente en provenance des hydrocarbures et aussi celui de la prédation s’annoncent à l’horizon. Il est inscrit dans une politique budgétaire très fortement expansionniste et laxiste, au moment même où le pays enregistre une baisse tendancielle de la production et une augmentation notable de la demande nationale en énergie, ce qui débouche sur une forte baisse des exportations d’hydrocarbures. Ces exportations en volume, qui ont enregistré une baisse de 25,6% entre 2006 et 2011, ont connu une autre baisse de 10% en 2012 par rapport à 2011.

Malgré cela, nous enregistrons une augmentation importante et fatale dans le court terme des dépenses budgétaires financées sur la fiscalité pétrolière. Effectivement, le prix d’équilibre budgétaire du baril est passé de 34 dollars en 2005 à 115 dollars en 2011 et 130 dollars en 2012. Mais si ces prix d’équilibre étaient inférieurs à ceux réalisés dans les exportations algériennes jusqu’en 2009, ils ont commencé à être dangereusement supérieurs à ceux-ci à partir de 2010. En effet, les prix à l’exportation enregistrés entre 2010 et 2012 étaient respectivement de 80, 113 et 111 dollars, alors que les prix d’équilibre du budget se situaient respectivement à 88, 115 et 130 dollars, nécessitant le recours au Fonds de régulation pour financer le déficit budgétaire.

Quel a été le comportement des autorités budgétaires après ce renversement de situation dans les recettes ? Loin de toute rationalité, bon sens et gestion pragmatique de l’économie du pays, ce comportement s’est caractérisé par plus de laxisme et une fuite en avant, puisque le budget de fonctionnement de 2011 était en augmentation de 47% par rapport à celui de 2010. C’était une façon d’acheter au prix fort la paix sociale et d’augmenter le cercle des courtisans après les événements de janvier 2011. Pis, cette augmentation était de 23% en 2012 par rapport à 2011 !

Ainsi et paradoxalement, lorsque les prix des hydrocarbures à l’exportation ne suffisent pas pour couvrir les dépenses budgétaires, on se comporte avec plus de laxisme que lorsqu’ils étaient supérieurs aux prix d’équilibre ! On peut s’attendre à une importante augmentation des dépenses budgétaires en 2014 pour les besoins de vendre les résultats de l’élection présidentielle d’avril ! Dans ce cas et pour maintenir les équilibres budgétaires, il faudrait un prix de baril utopique de 190 dollars en 2016 !

Comment dès lors financer les déficits, lorsque le Fonds de régulation aura été, à coup sûr, très vite épuisé ? C’est une situation qui touchera certes les prédateurs en réduisant leurs rentes, mais elle n’épargnera pas le reste de la population qui devra vivre avec des prix non subventionnés, des politiques sociales restrictives à l’école, à l’hôpital, à la retraite… ainsi que des réalisations d’infrastructures en diminution importante. Les populations feront face aux pénuries de marchandises sur le marché, induites par la baisse drastique des importations et notre inquiétante dépendance alimentaire, véritable talon d’Achille de notre sécurité nationale.
Bien entendu, d’aucuns vont vite avancer l’argument de l’exploitation du pétrole et du gaz non conventionnels, gaz de schiste notamment. Qu’en est-il ?

Cette exploitation n’aura de sens que si elle s’inscrit dans une stratégie de transition énergétique bâtie sur un système équilibré et durable que procurent les sources d’énergie renouvelables : solaire, conversion d’hydrogène, etc.Cette transition énergétique demande du temps et de l’argent et doit toucher l’offre, c’est-à-dire les nouvelles sources de production d’énergie, et la demande, c’est-à-dire un nouveau modèle de consommation qui implique un nouveau choix de société ! Il serait hasardeux pour l’avenir de la nation de remplacer l’utilisation des ressources non renouvelables par d’autres ressources non renouvelables, sans l’inscrire dans une stratégie globale de développement nouvelle !

Le défi est énorme.D’abord, trouver de nouvelles sources énergétiques pour satisfaire la demande nationale ainsi que de nouveaux moyens de financer les importations de marchandises et le budget de l’Etat. Ensuite, réussir la transition énergétique par la décentralisation de l’énergie comme source de bien-être de proximité, créant ainsi une société stable, indépendante, équilibrée et une occupation optimale du territoire. Aussi, l’exploitation de ces nouvelles sources d’énergie comme un moteur de développement technologique de pointe, maîtrisé par les compétences nationales. Si nous n’avons pas d’inquiétude sur les ressources en pétrole et gaz de schiste en place, leur exploitation technique et économique est loin d’être tout de suite à notre portée et tout autant rassurante. Il faut noter le déclin rapide de la production de ce type de forages en vertical et en horizontal. La production de la deuxième année d’exploitation ne représente plus que 30% de celle de la première année. Celle de la troisième année 20%.

Autrement dit, à partir de la troisième année, ces forages ne produisent que moins du cinquième de la production de la première année. Ces données, puisées dans la réalité de l’expérience des pays qui exploitent déjà cette technologie, font qu’à la place d’un forage vertical actuel, il faut réaliser plusieurs forages verticaux et horizontaux. Or, le coût d’achat de ce type de forage est au moins cinq fois plus élevé que celui des forages verticaux actuels.Il reste ensuite la contrainte technologique la plus importante, celle de la disponibilité incertaine à la vente de ce type de forages.Il faut s’attendre, en effet, une fois leur utilisation généralisée à travers le monde, à ce qu’il faille produire une quantité importante de ces forages. L’industrie ne pourra pas y faire face à la cadence voulue, d’où le renchérissement prévisible des prix de vente et les longues listes d’attente de la livraison.

Sur le plan économique, lorsque l’Algérie sera capable de dépasser la contrainte technologique de production, ces nouvelles sources d’hydrocarbures seront exploitées dans une grande partie par des pays à technologie plus avancée que nous, en Europe, en Amérique et en Asie. Les produits pétroliers seront ainsi disponibles partout dans le monde, notamment dans les pays qui achètent notre production actuelle en hydrocarbures conventionnels. Il faut bien noter qu’il est quasiment impossible d’entrer dans une politique équilibrée de couverture totale des besoins énergétiques par les gaz et pétrole non conventionnels sans maîtriser la fabrication des forages au niveau national.Avec une offre importante mise sur les marchés par la plupart des pays, les prix de vente seront bas alors que les coûts de production seront, pour le nôtre, fort élevés. En entrant dans les hydrocarbures non conventionnels avec une offre mondiale abondante, on se situe dans la logique de l’autosuffisance dans le meilleur des cas. Le prix du gaz en 2012 aux Etats-Unis se situait autour de 2 dollars, alors que le coût de production était d’environ 5 dollars.

Où trouver donc pour notre pays les ressources pour financer les importations alimentaires et le budget de l’Etat, qui ne peuvent aller qu’en augmentation sans une refondation fondamentale de notre économie ? La rente ne sera plus là ! Les importations de biens et services sont passées de 11,92 milliards de dollars en 2001 à 65,5 milliards de dollars en 2013, auxquelles il faut ajouter près de 8 milliards de dollars de rapatriement de bénéfices ! Soit une charge totale annuelle, en 2013, de 73 milliards de dollars sur la balance des comptes courants dont le solde est certes positif, mais est tombé de 20 milliards de dollars en 2011 à 2 milliards de dollars en 2013 et passera fort probablement au négatif après !

Nous sommes bien installés dans l’étape d’amenuisement de la rente !Continuer à gérer l’économie nationale avec la gabegie et le laxisme actuel, c’est l’hypothèque sur l’avenir de la nation ! Il faut dans ce cas, et avec la certitude des chiffres qui ne mentent pas, se préparer aux années de disette qui se dessinent à un horizon pas lointain !
Aujourd’hui, notre pays ne peut plus continuer à vivre d’espoirs sans cesse reportés et notre peuple ne doit pas être maintenu dans l’ignorance quant aux lendemains douloureux qui le guettent. La reprise en main de notre destin ne peut être différée plus longtemps. Alors, engageons-nous, tous, la main dans la main, pour faire face à ces menaces par la construction d’une Algérie gagnante et tournée vers l’avenir. C’est le moment de penser à nos enfants ! Ayons simplement le courage de nos rêves et ayons foi en nous-mêmes.
Dr Ahmed Benbitour : Ancien ministre