Faux amis et vrais voyous

Faux amis et vrais voyous

Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 13 mai 2004

L’Algérie a besoin d’une immense mise à niveau. Mais trop occupée par le cadeau pétrolier, elle oublie l’essentiel.

L’Algérie bouclera l’année 2004 avec des réserves de change s’élevant à quarante milliards de dollars. Avec une année pluvieuse, annonciatrice d’une bonne récolte en céréales, ce qui signifiera un allégement de la facture alimentaire, le pays a tout pour être heureux.

A cela s’ajoute une baisse prévisible des actes de terrorisme, avec le retour imminent de centaines de membres de groupes armés bénéficiaires de la «concorde nationale», prêts à déposer les armes en contrepartie du pardon de l’Algérie officielle.

Et, pour couronner le tout, le pays a la bénédiction de la France, dont le Président Jacques Chirac s’est empressé de se déplacer à Alger pour féliciter Abdelaziz Bouteflika, et la bénédiction, encore plus impressionnante des Etats-Unis, qui ne tarissent plus de louanges sur la démocratie algérienne. Le secrétaire d’Etat adjoint américain William Burns est, d’ailleurs, attendu à Alger, aujourd’hui, pour confirmer cette appréciation américaine selon laquelle l’Algérie n’est pas concernée par le fameux document sur la réforme dans le monde arabe, le pays étant considéré comme largement en avance dans ce domaine.

Dans ce tableau idyllique de la situation interne et externe du pays, l’apport de l’Algérie reste cependant mineur. La pluie et la hausse des prix du pétrole sont des données totalement indépendantes de la volonté des autorités algériennes. Le pays n’a pas eu, non plus, d’influence sur le 11 septembre et ses répercussions au niveau international. Il s’est contenté d’en tirer certains dividendes politiques, sans plus. Comme il continue à pomper du pétrole et à encaisser des dollars, sans savoir quoi en faire.

A tous les niveaux, le pays s’est ainsi contenté de regarder les choses se faire, de subir les événements et d’attendre que le vent tourne. Le prix a été effrayant quand la conjoncture était défavorable. Et quand la conjoncture s’est retournée, l’Algérie ne se retrouve pas dans de meilleures conditions, contrairement à ce que laisse entrevoir un tableau superficiel de la situation.

Car le pays a besoin d’une sorte de «mise à niveau» gigantesque, qui reste un chantier totalement inexploré. Dans tous les domaines, le retard enregistré est immense, et s’aggrave, de jour en jour. Les secteurs essentiels de la vie politique, économique et sociale sont concernés, alors que d’autres déficits se creusent dans des domaines relativement préservés, jusque-là.

Sur le terrain de la représentation politique, il suffit de suivre ces fermetures d’APC, au quotidien, pour se rendre compte du décalage total, entre les citoyens et leurs représentants supposés. Les députés, de leur côté, vont voter un programme de gouvernement sans penser, un seul moment, à ce qu’en penseraient ceux qui sont supposés les avoir élus.

Dans le domaine économique, l’aveu d’Abdellatif Benachenou est terrible. Il a décidé de confier dix milliards de dollars aux banques, tout en soulignant que celles-ci ne sont pas suffisamment outillées pour agir en opérateurs économiques.

Il s’agit d’une nouvelle injection massive d’argent dans une économie non performante, encadrée par des outils obsolètes, en espérant que cela finira pas donner, un jour, des résultats.

Lorsqu’il faudra faire les comptes, personne ne sera, évidemment, comptable de toutes ces sommes littéralement jetées sur le marché. Les choix ainsi faits apparaissent d’autant plus anachroniques que l’Algérie semble refuser de tirer profit de sa propre expérience. Elle a tenté le rééchelonnement, fait l’expérience de l’attentisme, observé les effets dévastateurs du réajustement décidé de l’extérieur, testé les approches approximatives, mais ne se décide pas à en tirer les leçons.

En économie comme en politique, elle n’arrive pas à se convaincre de la nécessité de la seule solution viable: doter le pays de nouveaux instruments de gestion, en mesure de transformer l’argent en richesse, de changer l’Algérien en citoyen, et de faire de l’homme politique un mandataire responsable devant ceux qui lui ont confié son mandat. Et, de quelque manière qu’on retourne la question, cette réponse ne peut avoir qu’un seul contenu: la démocratie.

A défaut d’y aller, le pays se retrouvera dans quelque temps dans une situation peu brillante. Est-il besoin de rappeler que le boom pétrolier du début des années 80 a duré cinq ans à peine, et qu’il a été suivi d’un terrible retournement de situation? Si la situation se retourne avant que le pays ne se dote d’instruments performants de gestion, on se rendra compte, dans quelques années, que les félicitations françaises auront simplement préparé le terrain à un transfert massif de ce pactole dont dispose aujourd’hui le pays, et que les éloges américaines auront servi à acheter des silences coupables sur la Palestine et l’Irak et à huiler la machine à transférer l’argent vers les entreprises américaines.

Et l’Algérie apparaîtra, alors, sous une nouvelle image: celle d’un enfant gâté qui a reçu un cadeau, le jour de l’Aïd, mais que de petits voyous le lui ont volé, avant de l’abandonner en pleurs.