Un officier révèle la «sale guerre»
Un officier révèle la «sale guerre»
Elio Comarin, RFI, 8 Février 2001
Pour la première fois depuis le début du conflit, un militaire algérien ose briser un tabou : dans un livre publié par La Découverte, il raconte la «sale guerre» menée par larmée algérienne contre les maquis islamistes, et surtout comment des commandos spéciaux de lANP (Armée nationale populaire) nhésitent pas à se déguiser en «barbus» pour semer la terreur.
«Jai vu des collègues brûler vif un enfant de quinze ans. Jai vu des soldats se déguiser en terroristes, massacrer des civils. Jai vu des colonels assassiner, de sang-froid, de simples suspects. Jai vu des officiers torturer à mort des islamistes. Jai vu trop de choses». Pour la première depuis de début de la «deuxième guerre dAlgérie», il y a près de dix ans, un ancien officier des forces spéciales de larmée algérienne raconte ce quil a vu et ce quil a fait, au cours de ce quil appelle «la sale guerre», de 1992 à 2000.
Dans un livre-témoignage publié le 8 février par les Editions La découverte, le lieutenant Habib Souaïdia montre aussi le désespoir des soldats algériens contraints à des actes de barbarie sur dautres citoyens algériens. Selon léditeur, François Gèze, il sagit du «premier témoignage, à visage découvert, dun officier ayant vécu au jour le jour la sale guerre. Il lève le voile sur lun des tabous les mieux gardés du drame algérien : le fonctionnement interne de larmée algérienne». Le lieutenant précise lui même quil sétait engagé volontairement dans les rangs de larmée en 1989, mais, ajoute-t-il : «jétais loin de penser que jallais être un des témoins de la tragédie qui a frappé mon pays».
Dans sa préface, le juge italien Ferdinando Imposimato écrit que ce livre «apporte un ensemble précieux de notification de crimes avec des indications précises de noms, de lieux et de dates qui peuvent servir de base à des actions pénales des victimes ou de leurs familles, y compris devant des tribunaux de pays européens». Selon le juge, lUnion européenne «devra exiger du gouvernement algérien qu son aide soit conditionnée à lenvoi sur place dune commission internationale apolitique dexperts, chargés détablir les faits sur les violations des droits de lhomme et leurs auteurs, quels quils soient».
Les dollars du pétrole attisent la guerre des clans
Dans ce livre le lieutenant Souaïdia décrit par le détail le «cycle infernal» dans lequel est désormais engagée lAlgérie. Il raconte notamment comment, après avoir été muté en 1994 à Lakhdaria – une région déjà très «islamiste», située à près de cent kilomètres dAlger – il a accompagné des officiers des services anti-terroristes, tous déguisés en «barbus», qui ont kidnappé une demi-douzaine de personnes soupçonnées dêtre proches des islamistes. Avant de les assassiner peu après. «Depuis mon arrivée (à Lakhdaria), jai vu au moins une centaine de personnes liquidés Des gens quon arrête, quon torture, quon tue et dont on brûle les cadavres», a-t-il précisé, avant dajouter qeu «souvent, les militaires effectuaient des opérations en étant drogués».
Ce témoignage intervient au moment où dautres violences sont signalées. Les 6 et 7 février dix-sept personnes ont été tuées, notamment dans la région de Laghouat (à 400 km au sud dAlger) mais aussi près de Tizi-Ouzou, en Kabynie, où des islamistes ont été tués dans le maquis montagneux et boisé de Sidi Ali Bounab.
Dautre part, on a appris fin janvier que lAlgérie a réalisé un excédent commercial de plus de 10 milliards de dollars en 2000, grâce à la hausse du pétrole. Des milliards de dollars inattendus qui ne peuvent quattiser la «guerre secrète» que semble opposer les différents «clans» militaires qui dirigent véritablement le pays.