Deux erreurs qui créent la suspicion

Deux erreurs qui créent la suspicion

Francis Ghilès, Le Monde, 23 mars 2001

HABIB SOUAÏDÏA, avec son livre La Sale Guerre(La Découverte, Le Monde
du 3 février), a versé une pièce importante au dossier de la guerre
civile algérienne. Les accusations que porte cet ancien officier sont
extrêmement graves. Pour êtres crédibles, les faits relatés par
l’auteur doivent être au-dessus de tout soupçon. Toute erreur
entacherait la crédibilité de l’exercice.

Deux exemples, dont je puis témoigner, sèment le doute sur la
fiabilité des faits que décrit l’auteur. Il assure (page 127) que le
général Boutighane a été « éli- miné »parce qu’il était partisan
d’une « réconciliation avec les islamistes », ce qui expliquerait qu’il
n’eût pas bénéficié de gardes du corps. J’ignore si le général était
partisan d’une telle réconciliation, ce dont je suis sûr c’est qu’il
a toujours refusé toute protection, estimant que le risque zéro
n’existait pas. C’était un homme simple, respecté de ses hommes et
des officiers qui travaillaient sous ses ordres. Le meurtre a eu lieu
alors que, sorti de l’Amirauté, il s’était arrêté, comme il le
faisait quotidiennement dans le même magasin, pour acheter du lait
pour sa fille adoptive.
Cette régularité dans ses habitudes en faisait donc une cible très
facile.

Souaïdïa relate aussi (page 57) l’attaque dont le siège du
Commandement des forces navales (CFN) à l’Amirauté fut l’objet dans
la nuit du 12 au 13 février 1992 et lors duquel la Sécurité militaire
(SM) soupçonna certains élèves officiers et officiers de la Marine
nationale, dont l’élève officier de deuxième année Abdelhak Djenouat,
qui se spécialisait dans la filière électronique et qui faisait
partie de la promotion de 1990, la première qui permit aux élèves
officiers de ce qui était alors l’Ecole supérieure navale, l’ESN, de
se spécialiser, de complicité avec les attaquants.

L’auteur ajoute que ces mêmes personnes, dont Djenouat, avaient été
arrêtées, fin 1991, par la SM qui les soupçonnait de sympathies
islamistes et relâchées quinze jours plus tard, ce qui leur permit de
participer à l’incident du février suivant. La vérité est autre.
L’attaque de février visa la base navale d’Alger, qui se trouve à
quelque 800 mètres du CFN, les deux étant séparées par le petit port
de pêche de la capitale. Il est étonnant qu’un officier affecté à des
rondes régulières au centre d’Alger se trompe ainsi. Djenouat n’a pas
été arrêté en 1991, mais en 1994, quand il était sous-lieutenant,
pour ne plus réapparaître, ce qui rend au moins sa rencontre avec
l’auteur, à la prison de Blida, vraisemblable. C’est un autre élève
officier, Kamel Abdelhamid, qui fut arrêté en 1991. Il fut relâché
quelques jours plus tard et continua sa carrière normalement.

Ces deux erreurs sont peut-être minimes, mais elles s’ajoutent à
d’autres qui ont été signalées par des sources crédibles : elles
contribuent ainsi à alimenter une suspicion plus large sur la
véracité des faits rapportés par Souaïdïa.

Francis Ghilès est journaliste.

 

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