La presse d’Alger s’interroge sur les massacres

L’assassinat de quatre Russes ranime le débat

La presse d’Alger s’interroge sur les massacres

Baudouin Loos, Le Soir de Bruxelles, 10 janvier 2001

Quatre ressortissants russes, fonctionnaires d’une entreprise de phosphate, retrouvés morts, assassinés, lundi dans la région d’Annaba : il y avait près de cinq ans que les étrangers avaient cessé d’être la cible du terrorisme en Algérie. Le retour de cette forme de terreur suit un mois de décembre très sanglant au cours duquel de nombreux attentats et massacres collectifs ont déjà mis à mal la politique de « concorde civile » lancée en 1999 par le président Bouteflika.
Le renforcement de la capacité de nuisance des groupes armés à l’occasion de la « concorde » ne fait pas de doute. Pourtant – nouveauté -, même la presse algérienne francophone dominée par les « éradicateurs » (qui ne jurent que par l’élimination physique des islamistes radicaux) offre désormais des analyses plus fines de la situation.
Ainsi, « Le Matin » observait mardi que le « message » de la recrudescence du terrorisme était non seulement « l’échec de la « concorde civile » sur le plan interne, mais, plus loin encore, des efforts du président à présenter l’Algérie sur la scène internationale comme étant un pays où « nos amis étrangers peuvent circuler librement sans nul besoin de se faire escorter ». Le meurtre des Russes survient au moment où le gouvernement vient de mettre l’accent sur la nécessité de relancer le processus de privatisation (…). Ce qui signifie attirer davantage de partenaires étrangers ». Une analyse partagée par « Liberté »…
« Des milieux nourris aux monopoles »
L’officiel « El Moudjahid », contrôlé par Bouteflika, avait publié le 19 décembre un article extraordinaire après un massacre de lycéens, qui, tout en ménageant l’armée, fustigeait « ces milieux d’activistes nourris au sein par les monopoles, le trabendisme (trafics) et l’économie souterraine, qui n’ont pas d’autres moyens de maintenir leurs privilèges qu’en passant au terrorisme, à la violence et à la destruction, à répandre une peur panique parmi les investisseurs et à tenter d’imposer auprès de la communauté internationale l’idée entretenue d’une Algérie instable ».
Avec le temps, donc, il ne reste plus guère de monde pour se contenter de condamner les « terroristes islamistes barbares », même s’ils restent actifs. L’idée, souvent développée à l’étranger, d’une lutte entre « clans » du pouvoir, surtout celui de Bouteflika tentant de se défaire de l’emprise des cercles de décideurs de l’armée, fait son chemin. Ainsi, « Le Jeune Indépendant » écrivait-il le 24 décembre que les victimes du terrorisme et, au-delà, la majorité des Algériens « sont de vulgaires figurants d’une opération de redéfinition des règles de cohabitation entre l’armée et la présidence ».
Alors que les allusions au pouvoir nocif et occulte de l’armée demeuraient jusqu’ici rares et dangereuses, voici, pour apprécier l’évolution, ce que publiait le pourtant très éradicateur « El Watan » le 7 janvier : « Pourquoi a-t-on laissé la horde barbare s’acharner sur les paysans et les montagnards ? (…) En fait, il apparaît de plus en plus clair qu’il n’existe pas une volonté réelle d’en finir avec l’islamisme armé. Cette absence de détermination est directement liée aux nombreuses contradictions qui opposent les clans au sommet du pouvoir. (…) Les enjeux sont immenses : qui, des deux camps (Bouteflika ou les autres décideurs) sera bénéficiaire des privatisations ? Qui mettra la main sur les secteurs les plus juteux de Sonatrach (compagnie nationale des hydrocarbures) ? Qui s’appropriera au dinar symbolique les restes des entreprises étatiques ? Qui accaparera les millions d’hectares de terres agricoles ? Voilà, en réalité, pourquoi meurent mensuellement des dizaines d’Algériens (…) ».
Les vraies questions commencent à être posées en Algérie.·

© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001

 

 

 

algeria-watch en francais