Boycotté par le groupe des «6»

Boycotté par le groupe des «6»

Bouteflika a fait un discours ambitieux mais ambigu

Par Rabah Iguer, La Tribune 28 avril 1999

Photo d’El Watan

C’est devant un Zeroual visiblement heureux de quitter ses fonctions que Abdelaziz Bouteflika a prononcé son discours d’investiture. Une intervention de circonstance certes, mais dont la gravité a transparu symboliquement au moins par l’absence des six ex-candidats. Ces derniers ont décliné, pour des raisons que tout le monde sait, l’invitation de participer à la cérémonie présidentielle et donc à la fête du nouveau président de la République. Fatalement, donc, «le Président de tous les Algériens» ne s’est adressé qu’à une partie de leurs représentants. A un personnel politique et partisan, certes acquis à sa candidature puis à son élection, mais dont on ne sait encore rien des comportements qu’ils auront face à son programme ainsi que, pour résumer, sa façon de gérer les affaires du pays. Un champ politique, entre autres, marqué par la suspicion et les tranchées «morales» qu’ont creusées des années d’affrontement, souvent déloyal, entre le pouvoir et l’opposition. C’est-à-dire entre ce qu’il représente désormais et une force politique «innocente» par la force de n’avoir jamais été associée, excepté durant le discutable exercice parlementaire de certains de ses représentants, à la gestion des grands dossiers. A commencer par celui concernant le redéploiement des courants politiques non pas suivant des scénarios préventifs de la part d’acteurs de l’ombre, mais par la décantation que suppose la concurrence démocratique: celle de l’urne souveraine. Entre les deux, une «garde politique», qui, installée suivant les soins très politiques du service du protocole juste devant le pupitre où il a prêté serment, était là pour l’applaudir mais pour lui rappeler aussi ses engagements. En tant que candidat dont les vertus du consensus leur reviennent concrètement, mais aussi en tant que leader d’une majorité gouvernementale qu’il a vu naître de l’extérieur. Et causer tant de soucis à celui qui, avant d’y renoncer, devait être son père spirituel en 1995: l’heureux Zeroual qui rentre chez lui après six ans de bouleversements dangereux. A cette coalition de partis, le président de la République devait hier certainement songer. Surtout penser, après l’euphorie du succès, qu’il est le produit d’une connexion dont il faut dès aujourd’hui gérer les incidences ainsi que les lourdes contradictions. La remarque est pour l’instant valable beaucoup plus pour le MSP et Ennahda -les islamistes de la coalition- dont l’audience, au risque de se figer davantage en appareils politiciens, dépendra très bientôt des dividendes réels qu’ils doivent attendre de leur soutien à Bouteflika. Devant, rappelons-le, un champ politique qui a révélé à l’occasion de la campagne des présidentielles d’autres ressources et potentialités hors de l’influence du président de la République. Et dont, bien sûr, il va falloir tenir compte. Dans une langue recherchée, qui, dans des conditions comme les nôtres, n’est pas le meilleur moyen de décrypter les vrais messages, Abdelaziz Bouteflika n’a cependant pas, du moins semble-t-il, manqué de traduire cette situation ambiguë. Le passage de son discours sur le nécessaire rétablissement de l’autorité de l’Etat touchait fatalement, et non sans paradoxe, les partis de la majorité et en particulier le RND d’Ahmed Ouyahia. Car s’il y a un enseignement à tirer, et il l’a, semble-t-il fait, de ces élections, c’est bien celui concernant le décalage entre le pouvoir central et institutionnel avec les démembrements de l’Etat, une contredynamique dont le président sortant et l’alternance -à laquelle ont appelé hier Zeroual et aujourd’hui Bouteflika- ont souffert.

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