Le sale procès dune « sale guerre »
Le sale procès dune « sale guerre »
Par Nasr Eddine Lezzar, Avocat, Le Quotidien d’Oran, 26 septembre 2002
Le verdict du Tribunal de Paris, sur laffaire Nezzar-Souaïdia, est prévu pour le 27/09/2002. Les diatribes médiatico-judiciaires de dignitaires algériens devant un juge français investi, par on ne sait quel artifice, dune mission de juger et dévaluer des décisions de haute politique algérienne à une phase critique dune histoire tourmentée.
La couverture médiatique et la chronique judiciaire ne nous permettent pas de comprendre comment et pourquoi une plainte pour diffamation contre un officier poursuivi, substantiellement, pour avoir imputé, à tort, à larmée algérienne dêtre impliquée dans des massacres de civils, est-elle arrivée, en empruntant de multiples raccourcis, à un débat sur des faits historiques dune autre nature et non justiciables.
Devait-on vérifier si les massacres de Bentalha avaient été l«oeuvre» de larmée ou celle des terroristes ou bien devait-on évaluer larrêt du processus électoral ? Répondait-il à une nécessité de sauver et le pays et la République ou bien découlait-il dune manoeuvre désespérée dun système en quête de durée et déternité ? La question est pertinente mais le problème dans ce procès nest pas là.
Le passage, par associations didées ou de faits, dun jugement de diffamation au procès dun processus politique, est-il un dérapage contrôlé ou une extrapolation aux objectifs inavoués ? La plus rassurante des thèses, qui sauvegarde ce qui nous reste de dignité, est que le procès vient déchapper à ceux qui lont initié. Mais la qualité et la stature des témoins présentés, aussi bien par la partie civile que par la défense, augurent que les protagonistes voulaient dépasser et outrepasser le dossier Souaïdia et la diffamation, qui se trouve ainsi réduite au rang de prétexte.
La plainte et le procès, qui devaient aboutir à faire condamner un officier, accusé davoir insulté larmée algérienne, en lui imputant des faits dont elle navait pas été coupable, ont mué, on ne sait par quels artifices et tournures, en un débat de haute politique.
A-t-on voulu vraiment en arriver là ?
Comment a-t-on pu accepter que les plus hauts représentants de lEtat algérien se retrouvent comptables de leurs actes devant un juge étranger ?
Le jeu en valait-il la chandelle ?
Autrement dit, le désir de voir Souaïdia condamné pour diffamation, était-il un objectif suffisamment important – et pour qui et pour quoi – pour quon accepte lembarras et lhumiliation de voir défiler les plus hauts représentants de la souveraineté algérienne comparaître, pour convaincre un juge français de lopportunité de décisions historiques hautement stratégiques pour la vie ou, plutôt, pour la survie de la nation ?
Les dividendes politiques ou historiques dun verdict de condamnation méritaient-ils pareil spectacle offert par les protagonistes ?
La condamnation – peu probable – de Souaïdia pour diffamation méritait-elle, si toutefois elle était acquise, que lEtat algérien rende des comptes devant une justice étrangère ?
Il me semble, quand même, difficile de croire que qui veut la fin veut les moyens – ceux qui souhaitaient voir Souaïdia condamné avaient accepté le paiement du prix.
Ce livre méritait-il un procès ?
Ne nécessitait-il pas plutôt un débat salvateur pour exorciser les doutes et les suspicions de toute nature et de tout ordre ? On ne se défend pas contre un livre par un procès mais par un autre livre, des débats et des mouvements dopinion.
Une action et des procédures judiciaires ne peuvent être que réductrices dun débat contradictoire, au cours duquel, et seulement au cours duquel, lhonneur de larmée sera défendu et lavé.
La justice française ne peut accueillir de façon efficiente et efficace ce débat exotique. Ses juges nont ni la mission ni la capacité de chercher et de dire la vérité et lhistoire. Ils ne peuvent se substituer ni aux historiens ni aux politiques ou aux journalistes, historiens de limmédiat.
Les tribunaux sont trop étroits pour les débats historiques…
Le débat judiciaire et ses mécanismes sont inadaptés à laccueil de débats larges, complexes et profonds. Ils ne peuvent, au cours dune instance aussi rapide et réduite, établir la vérité des faits de grande échelle.
Par ailleurs, cest une tentative de simplification coupable dune tragédie, qui continue à produire ses morts, à lheure où nous écrivons, que dessayer de la circonscrire dans les limites dune décision de jurisprudence. Je ne sais pas lequel aurait été plus bénéfique ou néfaste – cest selon – à larmée algérienne ? Un procès, au cours duquel elle a dû déballer le linge sale dune «sale guerre», devant une juridiction étrangère ou un débat audacieux devant le peuple algérien ?
Le procureur de la République du Tribunal de Paris na finalement rien requis contre Souaïdia. Sa position est très logique, la loi et lordre public français ne sont ni en question ni en cause. Le parquet français dissimule mal sa position de se décharger dun dossier, somme toute embarrassant, ce qui était aisément prévisible.
Ce réquisitoire, dune neutralité malveillante, contraste diamétralement avec celui prononcé contre le général Aussaressès, poursuivi pour apologie de crimes de guerre. Il aurait terni lhonneur de larmée française, en lui imputant des faits dont elle serait innocente.
Rappelons que léditeur du livre incriminé dAussaressès a été, lui, condamné. Cet arrêt, certes contestable et contesté, fera-t-il jurisprudence pour les juges en charge du dossier Souaïdia ?
Ni les parquets ni les juges ne sont liés par leurs précédents.
La justice française ne va, sans doute, pas condamner Souaïdia pour des raisons aussi bien juridiques que politiques. Attendre, dune justice française, la défense de larmée algérienne ressort de la pure naïveté. Le retrait du parquet, qui exprime la position officielle (française), laisse face à face ou renvoie dos à dos les protagonistes dans un débat algéro-algérien. La France a (déjà) eu lopportunité historique de banaliser les morts algériennes…
Si tant est que les faits révélés dans le livre de Souaïdia sont faux, le délit de diffamation est la moindre des accusations possibles. Cette qualification est une autre banalisation de faits autrement plus grave. Cet immense procès aura été perverti et ramené à une simple dispute autour dintérêts civils. Ceci est une autre banalisation.
Lexamen, sur le plan technique, des procédures et des règles de compétence juridictionnelle (règles qui permettent au tribunal géographiquement compétent de juger tel ou tel fait), permet dapprendre, sans difficultés particulières, que le dossier pouvait être du ressort de tribunaux algériens civils ou militaires. Le choix de la justice française ne correspondait, sans doute, donc pas à un impératif juridique. Les motivations sont dune autre nature.
La justice française rendra probablement un verdict dans lequel et avec lequel elle se lavera les mains dune affaire gênante. Elle prononcera, au mieux, une amende et des réparations, comme pour le livre dAussaressès et condamnera, peut-être, les uns ou les autres aux dépens. Elle refusera, peut-être, de trancher car les faits et leurs jugements ne sont pas justiciables et échappent à lappréciation du droit. On criera alors au déni de justice. Mais il semble que le tribunal parisien a été convié à un débat, dont la nature et les dimensions lui échappent. La justice française a refusé et refuse de juger les siens pour les crimes commis en Algérie. Elle se rétractera, sans nul doute, dans une neutralité appropriée ou douteuse, quon risque de lui faire valoir comme un précédent. Je me demande, au passage, si des généraux ou des officiels français auraient accepté de comparaître devant des juges algériens pour des faits commis en Algérie.
La justice française nest point coupable, le péché originel a été de la saisir…
Les initiateurs de ce procès voulaient moins une peine pour un auteur quune scène pour des acteurs. Le forum a été malheureusement mal choisi.
Un bon procès ; un mauvais forum.