Le coup de Nezzar

Le coup de Nezzar

Le Matin, 11 juillet 2002

Le procès du régime militaire, celui qui a placé hier Ahmed Ben Bella comme façade civile, comme celui qui a intronisé Abdelaziz Bouteflika en tant qu’effigie pratique n’est donc pas la spécialité des caricaturistes de la presse indépendante. Les précurseurs de la révolution armée algérienne savent être plus cruels envers les décideurs de ce pays que ne le feraient Hic ou Dilem. C’est pourquoi l’armée, dans sa grande détermination à vouloir coûte que coûte « défendre son honneur », commet un péché de fébr
ilité : elle veut seulement protéger l’orgueil de ses chefs actuels quand le débat porte sur la nature du régime tout entier, dans son itinéraire, dans sa substance comme dans sa relation avec le pouvoir civil. Le général Mohamed Lamari peut à loisir se défendre d’avoir « confisqué l’indépendance », il n’en reste pas moins le descendant d’une hiérarchie militaire qui l’a fait, elle, il y a quarante ans, qui a décidé d’un coup d’Etat en juin 1962 et qui a avorté l’élan démocratique de la société, donnant l
a possibilité à des clans de prendre possession d’un Etat que les millions de Ouzegane et de Zamoum ont libéré par le sang. Quand le commandant Azzedine reconnaît qu’il eût fallu décider du multipartisme à l’Indépendance et que le Président Bouteflika mène le pays à la dérive, ce n’est rien d’autre qu’une sévère mise en cause du régime militaire passé et présent faite par un libérateur de ce pays. Aussi les plaintes qu’engageront les généraux contre la presse nationale et contre les auteurs de livres calo
mnieux n’étoufferont pas la question principale : la responsabilité des militaires dans le déclin national. Il est trop tard pour retourner aux casernes. Il fallait y rester en 1962. L’urgence aujourd’hui n’est pas d’abandonner une société livrée à l’intégrisme islamiste et aux mafias diverses, mais de préparer un vrai retour au pouvoir civil en aidant à rebâtir l’édifice démocratique tel qu’il aurait dû être monté à l’Indépendance. Cela dit, et au risque d’indigner encore quelques lecteurs, je suis de ce
ux qui pensent que le procès Nezzar-Souaïdia fut un coup réussi pour l’armée : l’abcès est crevé. Les militaires algériens se sont expliqués, dans une capitale occidentale et par l’intermédiaire d’avocats français, sur la nature anti-intégriste de leur stratégie. Leurs contradicteurs se sont exprimés, les vérités ont été dites sur janvier 1992 comme sur la torture ou sur les exactions. C’est fait : les généraux algériens ont levé « l’hypothèque Milosevic ».
J’apprends, en écrivant ces lignes, que le ministère de la Défense nationale a lancé deux nouveaux procès contre Le Matin. Passer à la barre juste après Souaïdia, quel manque de pot !

M. B.