Les affrontements à Tizi Ouzou et Bejaia ont connu, hier, une escalade dangereuse

Les affrontements à Tizi Ouzou ont connu, hier, une escalade dangereuse

 

Malik Boumati, La Tribune, 18 juin 2001

Les affrontements entre gendarmes et jeunes manifestants ont connu hier une escalade dangereuse. En l’absence des éléments de la CNS, les gendarmes ont investi les rues de Tizi Ouzou avec un acharnement inouï. Les habitants des quartiers, voisins du groupement, ont été choqués par le comportement des éléments de la gendarmerie qui n’hésitent devant rien quand il s’agit de malmener la population, puisqu’ils ne se contentent plus d’affronter les jeunes émeutiers. Munis de poignards et de barres de fer, ils n’agissaient pas comme le leur requiert la loi en tant que forces de l’ordre.Des centaines, voire des milliers de grenades lacrymogènes ont plu sur la ville des Genêts lors des affrontements qui ont eu lieu dans plusieurs endroits de la ville. Les gendarmes, qui ont reçu un renfort de quelques dix fourgons cellulaires, provenant de Freha, ont semblé être impuissants devant la détermination des jeunes émeutiers à en découdre et ce, depuis le début des affrontements aux alentours de 9h30. C’est ce qui explique peut-être leurs méthodes à la limite de la sauvagerie, particulièrement hier et dans la soirée de samedi dernier. En effet, comme samedi dernier, les éléments de la gendarmerie en action sur l’avenue Abane Ramdane, voyant un des leurs blessé, ont commencé à lancer des pierres et des grenades lacrymogènes à tort et à travers, ciblant beaucoup plus les balcons que les jeunes manifestants. Des dizaines de foyers touchés par les «émeutiers-gendarmes» dont les bureaux régionaux des quotidiens installés au quartier Bâtiment bleu, à savoir la Tribune, Liberté, le Soir d’Algérie et l’Expression. Ils pousseront le bouchon plus loin en saccageant tous les locaux commerciaux qui ne sont pas protégés par des rideaux métalliques. Même le siège de l’Office des publications universitaires, sis à l’intérieur d’un quartier, n’a pas été épargné par ceux qui sont censés faire appliquer la loi. Pis encore, ils se permettront même de s’attaquer à des ambulances qui évacuaient des blessés ou des malades. Un particulier, qui évacuait un blessé à bord de son véhicule de marque Atos, a subi le même sort. Dans l’après-midi, les provocations et les actions ne s’arrêteront pas. Aux environs de 14h00, les gendarmes, après avoir investi la cour du quartier Bâtiment bleu, attraperont un jeune de 15 ans qui subira l’inimaginable. Après des coups de crosse de fusil ; lance-grenades lacrymogènes, et des coups de pieds à la tête et à l’abdomen, la dizaine de gendarmes qui s’est acharnée contre lui, lui écarteront les jambes et lui assénèrent quatre à cinq coups de pieds aux parties génitales. Il n’a pu s’en sortir que parce qu’il a fait le mort. En outre, en plus des propos haineux et racistes que proférait à l’endroit des émeutiers et des familles l’un des gendarmes qui arborait l’emblème national, façon de traiter les jeunes de séparatistes, au moment où un autre filmait la scène de la terrasse du groupement. La violence des éléments de la gendarmerie redoublera d’intensité quand ils verront des manifestants, à leur tour, arborer l’emblème national, revendiquant ainsi leur algérianité pleine et entière. «Nous sommes des assassins. Vive les Arabes», lanceront certains gendarmes à l’adresse des émeutiers qui scandaient «gendarmes assassins», ce qui est considéré comme une autre provocation par les jeunes et les riverains qui pensent aussi que l’absence des CNS n’a qu’un seul sens : le pouvoir cherche à accentuer la répression. D’ailleurs, d’aucuns pensent que les gendarmes vont s’introduire dans les foyers durant la nuit. Ce qui est réellement appréhendé par les riverains.

M. B.

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«Le pouvoir veut pousser à une radicalisation extrême»

 

Par Lakhdar Siad, La Tribune, 18 juin 2001

L’APW de Tizi Ouzou a adopté, hier en session extraordinaire, une résolution portant sur les deux mois d’événements tragiques qu’a connus la région et sur la répression de la marche de jeudi dernier. Les derniers événements de la Kabylie et d’ailleurs ne sont pour l’APW de Tizi Ouzou qu’un autre épisode de cette logique «de guerre de clans au sommet de l’Etat qui règlent leurs comptes par assassinats et massacres de populations [qui] vise en réalité à étouffer les aspirations démocratiques du peuple algérien par l’instauration d’un climat de terreur à l’effet de pérenniser ce régime mafieux, dictatorial et illégitime». Pour l’APW, dans la même déclaration, le courage de la jeunesse algérienne, qui «défie la mort en bravant tous les dangers», a «fait paniquer le pouvoir à tel point qu’il a actionné tous ses relais politico-médiatiques pour tenter de dévoyer cette révolte populaire qui s’inscrit dans la durée». Ainsi est-il mentionné : «Benhamouda, Nahnah et Djaballah véhiculent à travers le territoire national des discours haineux, régionalistes, extrémistes et diviseurs pour tenter de dresser des Algériens contre d’autres Algériens.» Pour ces élus de Tizi Ouzou, le discours de Bouteflika à propos de ces émeutes de Kabylie n’est que «discours versatile, manipulateur et plein de contradictions […] soufflant tantôt le chaud tantôt le froid […] selon l’humeur de ses différents auditoires». D’autre part, ils dénoncent «les commanditaires qui ont ordonné les expéditions punitives d’éléments d’un corps d’élite déguisés en gendarmes ou en CNS pour passer à tabac des citoyens». En tout et pour tout, le pouvoir, par cette «situation de confusion qui s’inscrit dans la logique de complication de la crise, [vise] à pousser les populations à une radicalisation extrême». Enfin, l’APW est «convaincue que la crise algérienne est éminemment politique et lance un appel en direction des forces démocratiques et sociales du pays ainsi qu’à la communauté internationale à conjuguer leurs efforts pour imposer au pouvoir un processus de démocratisation, seule issue de sortie de crise».

L. S.

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Après la marche sabotée de jeudi dernier

A Béjaïa, rien ne va plus

 

Par Karimene Toubbiya, La Tribune, 18 juin 2001

Depuis samedi soir, la situation à Béjaïa est très préoccupante.Les jeunes manifestants, de retour d’Alger, ont été accueillis par des provocations multiples de la part des unités de CNS. Ces derniers ont cassé le pare-brise d’un bus transportant des jeunes. Ils ont passé à tabac six adolescents qui se trouvaient sur leur passage. Enfin, le cortège pour l’enterrement des deux victimes de l’accident mortel entre une voiture de police et une moto transportant deux jeunes a été attaqué à coups de grenades lacrymogènes. Il n’en fallait pas plus pour remettre la ville à feu et à sang.Les forces de l’ordre se sont repliées à l’intérieur de la wilaya et des deux tribunaux de la ville. Tous les autres quartiers ont été livrés aux émeutiers qui ont de nouveau exprimé leur rage en incendiant et saccageant de nombreux édifices publics. La maison de la culture a été brûlée à cent pour cent ainsi que la direction de wilaya des impôts, le dépôt SNTA, le dépôt Sonatrach, les deux agences CNAN, la direction régionale de la BNA et le siège de l’EDIPAL. Au quartier El Khemis, la gendarmerie a été assiégée. Au niveau de la wilaya, 4 bureaux du cabinet du wali ont été incendiés dont celui du secrétaire général.Les manifestants ont tout fait pour calmer les émeutiers et les dissuader à mettre à sac l’hôtel des Finances et l’ONCV. Pour cela, ils ont affiché leurs portraits sur les murs de la ville. A Amizour, les émeutiers ont incendié le tribunal durant la nuit de samedi dernier. Celui d’Akbou a subi le même sort. Le siège de l’ONM y a été incendié. A Sidi Aïch, des cambrioleurs ont été poursuivis par des habitants. Des rumeurs faisant état de renforts des forces de sécurité de retour d’Alger, où ils étaient en mission ce jeudi, ont circulé. Ainsi que des rumeurs sur une pénurie de gaz lacrymogène qui «autoriserait» de nouveau l’utilisation de balles réelles. Malgré la situation très confuse, les délégués des quartiers ont réussi à rétablir le calme hier pour permettre aux candidats au BEF de se concentrer.

K. T.

 

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