Les révoltes en Kabylie vues par le Quotidien d’Oran, 30 avril 2001

Les révoltes en Kabylie vues par le Quotidien d’Oran, 30 avril 2001

Les raisons d’un divorce annoncé

Le RCD pourrait se retirer… d’ici 48 heures après la réunion du Conseil national du parti. Le chef du RCD s’est ménagé un petit délai de réflexion où il conservera un pied dans le gouvernement tout en ayant mis un pied dehors.

Le temps de prendre la mesure des enseignements et des suites que donnera le pouvoir à la sanglante révolte des jeunes en Kabylie. Un pied dehors pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Kabylie où les slogans élevés par les émeutiers ne laissent aucun doute sur leur appréciation hostile et négative de la présence du RCD au gouvernement de la coalition.

Un pied dehors qui pourrait revenir en arrière dans l’hypothèse où le pouvoir sauterait le pas en annonçant des mesures d’apaisement dont une officialisation de Tamazight qui paraît, à travers le discours distillé à la télévision par les notables de la région, une option possible. Bouteflika, revenant sous la pression des évènements sur son fameux «jamais», le RCD pourrait en tirer une justification pour demeurer au gouvernement et même suggérer que c’est sa menace de se retirer qui a finalement pesé.

Mais, il s’agit d’un scénario quelque peu rose, le pouvoir ne voulant sans doute pas donner l’impression de céder à la pression de la rue, de crainte de faire des émules dans les autres régions du pays où les demandes économiques et sociales sont aussi fortes que dans la région de Kabylie. Or, l’ampleur même des pertes humaines pèsent sur le choix du RCD. Il ne peut continuer à être au gouvernement que si le pouvoir fait une concession essentielle sur Tamazight.

Cela semble improbable dans l’immédiat bien que le silence sidérant du pouvoir puisse permettre de conjecturer et d’élaborer tous les scénarios possibles.

Le divorce du parti de Saïd Sadi avec la coalition gouvernementale paraît presque inéluctable. Dans sa conférence de presse, hier, on était loin du Saïd Sadi qui faisait des remontrances aux journalistes qui ne voyaient pas, selon lui, les aspects modernistes de la démarche du président de la République.

Dans ses cyber-chroniques mensuelles sur le site du RCD, il n’était pas avare de critiques à l’égard de Bouteflika mais il lui concédait toujours la qualité majeure d’être sur une option moderniste de «rénovation nationale et démocratique» qui justifiait la présence au gouvernement. La révolte des jeunes en Kabylie qui n’hésitent pas à conspuer le RCD en l’associant au pouvoir a réduit à néant cet échafaudage.

Ou du moins, elle l’a rendu politiquement indéfendable auprès des habitants d’une région qu’il était censé représenter dans les «dosages» chers au pouvoir. Et un tel départ peut troubler quelque peu un pouvoir qui tient, ne serait-ce que formellement, à assurer un équilibre régional au sein de l’exécutif. Il reste que la révolte de la jeunesse en Kabylie montre, on ne peut mieux, à quel point ces «dosages» sont artificiels.

Dans le fond, le divorce pourrait être consommé car il arrange les deux parties. Le RCD sortirait d’une présence au gouvernement qu’il n’arrive plus – même tardivement – à «justifier moralement». Le pouvoir espérant – mais n’est-ce pas trop tard? – que le RCD puisse reconquérir du terrain en Kabylie où seul le FFS, avec des difficultés immenses, paraît garder encore une capacité à peser sur les esprits. Or le pouvoir semble avoir en horreur d’avoir le parti de Hocine Aït Ahmed comme principal interlocuteur. Une attitude qui est également un des aspects de la tragédie actuelle. Le pouvoir peut-il se permettre de choisir toujours ses opposants et ses interlocuteurs?

K. Selim

Après plusieurs jours d’émeutes

Tizi-Ouzou enterre ses morts

Un semblant d’accalmie a été constaté à travers l’ensemble des villages de la wilaya. Le temps d’enterrer les morts. A la morgue de Tizi-Ouzou, on n’en finissait pas de les compter. C’est que dans chaque arrivage, il était question de 3, 4, 5… Ceux qui datent d’il y a 2 à 3 jours, et ceux des dernières 24 heures.

C’est que à Azazga, à Tiqobain, à Larbaâ Nath Irathen, à Mekla… les gendarmes tirent directement sur la foule. Au FM. Les bombes lacrymogène semblent ainsi faire arme du moyen âge.

Ceux qui, parmi les blessés, arrivent tout de même à se faire évacuer à temps, sont dépêchés vers l’hôpital Nedir de Tizi-Ouzou, ou même ailleurs, à Alger, par exemple. Et ils sont nombreux à avoir ainsi perdu une partie de leur jambe, leur muscle du fémur, le mollet… arrachés par des balles explosives ou en plastique. Au service des urgences de Nedir, on en comptait, hier, la cinquantaine dépassée; quant au service de traumatologie, on s’est vu obligé d’utiliser même le palier «femmes» pour pouvoir soigner tout le monde. Des dizaines de blouses blanches ont ainsi été mobilisées pour ce faire. Ni récupération, ni absence. «Donnez votre sang pour sauver une vie», n’a cessé de répéter un surveillant médical, «il nous faut du sang». Même les agents de sécurité ont été touchés par cette mesure. C’est qu’il y a un monde fou à l’hôpital Nedir, ceux qui viennent aux nouvelles, ceux qui ramènent des blessés, des voitures qui entrent et qui en ressortent, des ambulances aussi. C’est là que devant la morgue, on apprend que le procureur n’a pas encore signé l’autorisation de sortir le corps, ou que le médecin légiste n’en a pas encore fini avec… Mais les parents n’ont plus la force de se plaindre. Auprès de qui ?

Dans les quartiers de la ville, les accrochages n’en ont pas fini pour autant. Si on n’a pas compté de mort ou de blessé, une foule assez nombreuse s’est tout de même rendue, tôt le matin, à Hasnaoua, dans le but sans doute de poursuivre la marche entamée avant-hier. Un moment, les choses ont commencé dans le calme, puis tout à coup c’était de nouveau la panique. Les cris, les fusées sifflantes, les jets de pierres. Au centre-ville, un véhicule en stationnement en payera les frais, ainsi que l’EDIED située sur l’autre façade du théâtre communal. Dans la journée, on sera tenté de réserver le même sort à la Sonelgaz.

Du côté de M’douha, la haute ville, Bastos, les mêmes accrochages continueront avec la même hargne. Les mêmes enfants de dix ans – parfois – continueront de s’attaquer aux casques bleus. Le gaz lacrymogène ne semblant plus faire d’effet sur eux. Mais c’est à Bordj Menaïel que se situera la nouvelle ligne de front. Une marche de 300 personnes environ, vers la mi-journée, et qui sera vite dispersée par les gendarmes, appelés en force. Sur la route, on comptera les renforts appelés en groupes de 5 fourgons. Dans l’après-midi, le mot d’ordre circulera de bouche à oreille pour un rendez-vous nocturne. «C’est ce soir que tout risque d’exploser», expliquera un commerçant de la ville, «le mot d’ordre en a été donné tout à l’heure». Ce qu’on a pu vérifier, sans trop de problème, puisque la totalité des boutiques de la ville ont fermé à partir de 15 heures. La même marche sera reconduite aujourd’hui, nous a-t-on laissé entendre. D’ailleurs, vers les coups de 17 heures, la route était occupée par des jeunes manifestants. Les gendarmes sont alors intervenus – encore une fois, comme cela s’est fait à Naciria, pratiquement au même instant et dans la matinée aussi. Lance-lacrymogène au point, klach au point. «Aatilou, aatilou», n’a cessé de répéter un gendarme à l’intention de son collègue… Dans le reste des villages de la wilaya, le même mot d’ordre semble aussi avoir fait l’unanimité: enterrer les morts, puis… cependant que les renforts arrivaient en nombre… La démonstration en été faite, semble-t-il, avant-hier, dans la nuit…

Djamel Amrouche

Boumerdès gagné par la fièvre

Les évènements tragiques, qui ont actuellement pour théâtre toute la région de la Kabylie, ont fait réagir les étudiants de la wilaya de Boumerdès qui ont organisé, hier, une marche pacifique en guise de solidarité avec les manifestants de Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bouira et Sétif. Près d’un millier de manifestants, en majorité des étudiants, se sont rassemblés devant l’entrée principale de l’INH, point de départ de la marche. Le cortège s’ébranla à 11 heures, empruntant les principales artères de la cité, dans un itinéraire qui les a menés vers le siège de la wilaya, où une halte a été entreprise pour procéder à la lecture d’une déclaration adressée au premier responsable de la wilaya de Boumerdès. Une série de revendications ainsi qu’un appel à l’apaisement étaient contenus dans la déclaration en question. On ne déplore heureusement aucun incident, ni dérive, les manifestants ont tous respecté le mot d’ordre donné, celui d’une marche pacifique et sans heurts. Cependant, les choses étaient tout autres à Naciria, ville limitrophe de la wilaya de Tizi-Ouzou, où des incidents, à la limite de l’émeute, se sont déroulés. Des troubles fomentés par des jeunes surexcités, et dont la plupart avaient déserté les bancs de l’école, lesquels ont attaqué à coup de pierres le siège de la daïra, faisant ainsi voler les vitres en éclat, tout en scandant des slogans hostiles au pouvoir. Certains ont ensuite barré la route principale qui mène vers Tizi-Ouzou, en improvisant des barricades de fortune, à l’aide de pneus et de grosses pierres. Par ailleurs, quelques échauffourées ont eu lieu, vers 16 heures, entre les manifestants et la brigade anti-émeutes, et qui se sont soldées par quatre blessés du côté des manifestants. Deux policiers ont été également blessés lors de la confrontation. Enfin, les communes de Chabet et de Timizrit, à l’est de Boumerdès, ont aussi connu une atmosphère très chargée, en raison des marches et des sit-in qui y ont été organisés.

K.R

Rassemblement, aujourd’hui, à l’université de Bouzaréah

Tentative de marche à Alger

Un rassemblement des étudiants de l’ensemble des instituts de la capitale est prévu pour aujourd’hui, en fin de matinée, à l’université de Bouzaréah. C’est l’appel lancé par des étudiants rassemblés, hier, pour la deuxième journée consécutive, dans l’enceinte de l’université de Bouzaréah.

Près d’un millier d’étudiantes et d’étudiants se sont rassemblés, hier, à l’intérieur de l’université de Bouzaréah pour tenter, deux fois de suite, d’entamer une marche à partir de cette université. En vain. La demande d’autorisation de la tenue de cette marche, déposée avant-hier, tard dans la journée, par les étudiants au niveau de la circonscription administrative de Bouzaréah, n’a reçu aucune réponse, disent les étudiants selon lesquels une autre demande a été introduite, hier, auprès de la wilaya d’Alger.

Durant le rassemblement d’hier, des slogans tels «non à l’injustice» et «à bas la hogra» ont été scandés par les étudiants. D’importants renforts des forces de l’ordre ont été dépêchés sur les lieux pour parer à tout débordement. Aucun incident n’a été signalé et tout s’est déroulé dans le calme. Par ailleurs, un autre rassemblement a été organisé, hier, par les étudiants des différents instituts d’El-Harrach. Les étudiants de l’USTHB (Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène) ont fait de même. Aucun incident n’est à signaler.

Saïd Abi

Sétif

Affrontements à Béni Ourtilane

Béni Ourtilane, situé à 80 km du chef-lieu de wilaya, a été, à l’instar des autres localités de la Petite Kabylie, le théâtre de violents affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants, adolescents pour la plupart, venus des bourgs avoisinants (Aïn Legredj, Ouris, Béni Chebana…), pour exprimer leur solidarité. Ils scandaient des slogans hostiles au pouvoir.

Cette situation qui prévaut dans la région et ses environs perdure depuis samedi et l’engrenage émeutes-affrontements semble ne pas se terminer. Les voies d’accès menant à cette localité et à celle de Béni Mohli et Maoklane demeurent obstruées par des barricades de fortune dressées par les manifestants aux principaux carrefours. Aucun véhicule ne peut y circuler et le trafic est quasiment mort. A Draâ Kebila, les émeutiers, en nombre sans cesse croissant et déchaînés, ont incendié les sièges de l’APC et des postes, la maison de jeunes, le centre culturel et le bureau des moudjahidine.

Les nombreux appels aux calme et à l’apaisement lancés par les divers comités et ceux des sages sont restés vains, et la folie semble gagner du terrain. Par ailleurs, à Bouâandas, distante de 70 km du chef-lieu de wilaya, plusieurs structures ont été saccagées, dont le CFPA qui a été sérieusement endommagé par des groupes d’adolescents. La tension demeure et la facture et l’ardoise s’alourdissent…

C’est en effet samedi matin que les ruelles de la ville ont été investies par les émeutiers, impatients d’en découdre avec les forces de l’ordre. Armés de pierres et de projectiles de fortune, ils mirent le feu au Palais de justice et à l’inspection des impôts. Le siège de la daïra aurait subi le même sort, n’était-ce l’intervention de quelques adultes qui ont réussi à calmer les esprits surchauffés.

«Nous revendiquons notre identité, quel qu’en soit le pris à payer. Nous n’avons aucun avenir. Nous vivons comme des proscrits, après le séisme du 10 novembre dernier, les promesses nous ont été faites et n’ont pas été tenues…», affirment-ils avec beaucoup d’amertume et de frustration.

Les affrontements de Béni Ourtilane ont fait une dizaine de blessés, dont un grièvement atteint de balles au ventre. Salah Oubaziz, 26 ans, a été évacué vers l’hôpital de Bougaâ. A Béni Mohli, plusieurs blessés ont été enregistrés, dont un sexagénaire, Hamou Layachi, qui a succombé à ses blessures.

Farid Benabid

Un calme précaire

24 dernières heures au coeur du cauchemar

Aux premières lueurs du matin, la ville sommeille sur ses cendres de la veille. Les objets calcinés témoins des échauffourées jonchent les rues. Seul un étroit passage est laissé aux usagers, qui n’en ont plus besoin puisque aucun moyen de transport ne s’aventure.

Une indicible angoisse plane dans le calme matinal de cette région qui a connu encore une autre journée d’affrontements. Le soleil naissant a fait apparaître les premiers visages, ceux des commerçants qui dans des gestes hésitants commençaient à ouvrir leurs magasins. Les cafés sont pris d’assaut. Même les anti-émeutes sont là, les yeux éteints par les heures de veille. Cette ambiance détendue n’est en vérité qu’une apparence. Dès que les manifestants entameront leur marche, chacun reprendra son rôle. Cette étrange coexistence pacifique ne dure malheureusement que le temps que les protagonistes se remettent dans le bain. Samedi, il est 10 h, la télévision nationale a interrompu ses programmes pour lancer un flash sur les événements et donner la parole aux sages de la région qui appellent au calme. La nouvelle fait le tour des petits groupes qui se constituaient depuis le matin. L’appel est entendu. Sera-t-il appliqué ? Personne ne peut prévoir quoi que ce soit, tant la tension ne s’est pas estompée. Les commentaires vengeurs sont révélateurs de la colère qui n’a pas encore cédé. Les jusqu’au-boutistes prônent l’embrasement total.

Pendant ce temps, les familles peuvent enterrer leurs morts. Cependant, jusque-là, le calme précaire ne présageait rien de grave. Certains annoncent comme dans un bulletin météo que rien ne se passera, sinon des marches pacifiques et silencieuses. La lassitude des initiateurs du mouvement dissuadera certainement les plus téméraires. Le terrain, comme on peut le constater, est progressivement laissé aux « gosses » et aux apprentis racketteurs. Les premiers dérapages sont apparus dès mercredi à Sidi-Aïch, petite ville à 40 km à l’ouest de Béjaïa, où des pseudo-manifestants s’en sont carrément pris aux automobilistes, en instaurant de force une espèce de péage, et aux femmes. Les mêmes scènes ont été constatées du côté de Naciria à la sortie de Tizi-Ouzou. 11 h, l’étincelle en veilleuse est vite rallumée par le mouvement de troupes des brigades anti-émeutes de la gendarmerie. L’attirail de ces dernières est ressenti comme une provocation. Les slogans reprennent aussi vite que l’attroupement. La foule se met en branle, dans un mouvement pas très organisé. Sous l’oeil aux aguets des agents, les marcheurs font le tour de la ville sans trop de dégâts. « Ils auraient dû opérer comme ça dès le départ », commente un ancien militant. De toutes les façons, il ne reste que la colère qui s’exprime dans la flamme de ces voix, l’expression de ces regards, de ces yeux injectés de sang. C’est ce qui est implicitement déclaré quand ces jeunes s’en prennent aux symboles du pays, au Président. Tous se souviennent de sa promesse de rendre à l’Algérien sa dignité. « Est-ce cela la dignité ? », demande un manifestant d’une voix enrouée. Le scénario se répète à plusieurs reprises et les nouvelles qui parviennent des autres villes attisent la tension. De toute manière, il ne reste plus rien à casser. Ou peut-être le silence. Le silence du pouvoir devant les abus, les manques, les frustrations de cette jeunesse qui a perdu tout espoir et n’a surtout aucune confiance, même dans les partis politiques. A Amizour, les sièges des deux partis représentatifs, le FFS et le RCD, ont été brûlés dès le début des événements. Au-delà de la revendication identitaire, c’est « le ras-le-bol » qui a fait sortir la région de son isolement. Les faits sont là: la Kabylie est probablement la région d’Algérie la plus touchée par le chômage. Tenue depuis longtemps sous perfusion par l’apport de l’immigration, le tarissement de cette source fait monter à la surface la misère qui couvait. L’absence de projets et de débouchés a accentué le désarroi d’une région « considérée » comme zone d’importance secondaire. C’est du moins ce qui est ressenti par les habitants qui, à l’image de leurs grands-parents, redécouvrent le chemin de l’émigration pour seule planche de salut. « Y a-t-il une autre mort après celle qu’on vit ici ? ». Cette sentence philosophique d’un cadre au chômage résume on ne peut mieux l’impasse où s’engouffre malgré lui le jeune.

Ainsi bon gré mal gré, une journée de grève est observée. De toute façon, la région étant coupée du monde, les axes routiers barrés, personne ne pouvait s’aventurer, à moins de se déplacer à pied. Des incidents sont enregistrés ici et là, des bavures aussi depuis qu’elles sont devenues courantes. Par ailleurs, l’intervention du ministre de l’Intérieur qui a été dans un premier temps quelque peu appréciée, a fini par perdre tout crédit aux yeux des manifestants. La décision d’une enquête pour déterminer les responsabilités est apparue comme un vieux refrain, tant celles des événements précédents n’ont toujours pas abouti. Les victimes des événements ayant suivi l’assassinat du chanteur Matoub Lounès sont évoquées à l’occasion pour justifier les doutes et les appréhensions quant à la sincérité du ministre. Ce qu’il faut, c’est des mesures concrètes à effet immédiat, sans quoi même si le calme revient dans la région, l’effet d’entraînement et la contagion sont à craindre tant des signes latents d’un éclatement à grande échelle commencent à poindre vu le marasme qui a atteint tout le pays. Les échos parvenus d’ailleurs donnent les mêmes images de villes sinistrées, vides, dans un lamentable décor de guerre. Des pneus brûlés, des troncs d’arbres, des blocs de pierres, des réverbères arrachés jonchent les routes rendant impossible tout accès. C’est la désolation. Quelqu’un dans un groupe a comparé la situation à une scène où l’on aurait à la fois Sarajevo et la Cisjordanie. Sans commentaire. Le lendemain: la scène se répète au détail près de la même manière, comme un mécanisme réglé. Le début de matinée se déroule dans un calme plat si ce n’est ce souci de trouver un chemin ouvert pour se déplacer. Le nouveau bilan est commenté. Les automobilistes sont nettement plus rassurés. Ce n’est pas le cas des transporteurs qui se renseignent s’il n’y a pas de barrages, si la voie est libre de crainte pour « leurs marchandises ». A Béjaïa, la pression est atténuée ce matin. Malgré les obstacles, les flux ont repris normalement. Mais cela ne peut être rassurant. Car les difficultés reprennent dès que l’on décide d’instaurer un peu d’ordre. Ce sont les transports de travailleurs qui sont ciblés. C’est de cette manière qu’on veut ramener le pouvoir à écouter. « C’est une honte que d’aller travailler », assène un gaillard posté au milieu de la chaussée. Il fallait négocier avec force argument pour passer. Et surtout pas question de dévoiler son identité. Ainsi donc, un autre jour au lacrymogène s’annonce. A Tizi-Ouzou, la couleur est annoncée à partir de Azzazga. Route bloquée, insulte, et renégociation du droit de passage. C’est l’unique solution puisqu’il est quasiment impossible de refaire le chemin inverse. Tizi se réveille sous les coups de grenades lacrymogènes et de fumée noire. Le centre-ville est le théâtre d’affrontements. L’axe principal est occupé par les CRS, boucliers et lance-grenades, devant les manifestants armés de gourdins et de cailloux. Pour sortir, il faut contourner la ville. Mais ce n’est pas encore la fin. Jusqu’à la limite de la wilaya de Boumerdès, le mouvement va en s’amplifiant. La présence des sécuritaires n’est pas persuasive. La détermination des manifestants leur fait oublier toute notion de peur. A chaque regroupement, le nombre de victimes de la veille est lancé comme un argument. Un argument pour répondre à «la légitime défense» justificative du ministre. Sur un autre plan, les ménages commencent déjà à ressentir les effets de cet isolement par la pénurie qui a touché certains produits. Le lait et les légumes ont complètement disparu.

Les courses, du strict minimum, sont faites tôt le matin, seul moment de répit. Au rythme où vont les événements, il faudra s’attendre à une rupture de stock de toutes les denrées alimentaires en l’absence de moyens d’approvisionnement.

B.Djilali

Des manifestations sporadiques à Bouira

Un mort et six blessés

Hier, à Bouira et à travers toutes les localités de l’est de la wilaya, l’on a déploré un mort, tombé d’un camion plein de manifestants à El-Asnam, et six blessés, dont trois éléments des forces de l’ordre, à Haïzer.

Les brigades anti-émeutes ont dispersé à coups de bombes lacrymogènes tout groupe de personnes en voie de formation ou toute tentative d’attroupement.

Au chef-lieu de wilaya, les manifestants, par petits groupes, n’ont certes pas occasionné des dégâts similaires à ceux d’avant-hier, mais ils ont quand même brûlé quelques pneus et cassé d’autres vitres. A Haïzer, en revanche, des heurts ont été enregistrés entre manifestants et forces de l’ordre, poussant ces derniers à tirer sur la foule à balles réelles. Trois blessés, dont un grièvement touché à l’abdomen, sont à déplorer parmi les manifestants. Trois blessés dans les rangs des forces de l’ordre ont été aussi enregistrés: un gendarme, un policier et un garde communal.

Par ailleurs, l’on apprend de source sûre que la police a procédé hier à une trentaine d’arrestations. Certains jeunes manifestants ont été interpellés chez eux. En fin d’après-midi d’hier, le calme était revenu sur pratiquement tout le territoire de la wilaya de Bouira. La RN 5 a été rouverte à la circulation dans l’après-midi, mais la RN 26 demeure toujours fermée au niveau du village Raffour.

Ahcène B.

Le huitième jour à Béjaïa

Au huitième jour des événements qui semblent prendre une tournure plus que dramatique, les manifestants se focalisent au chef-lieu de wilaya de Béjaïa. Hier très tôt le matin, la ville dormait encore et elle donnait l’image d’une ville ayant été le théâtre d’une véritable bataille. Etablissements publics saccagés, l’agence d’Air Algérie située au rez-de-chaussée du bloc administratif dévastée, les ordinateurs réduits en pièces et le mobilier de bureau détruit. Les principales artères du centre-ville donnaient le même visage de désolation. Les dégâts matériels sont très importants et difficilement estimés. A huit heures du matin, les écoliers qui se rendent à leurs établissements respectifs se sont vu refuser l’accès aux classes. A 9 heures, les universitaires commencent à sortir pour marcher dans l’ordre et pacifiquement. C’est à ce moment aussi que des jeunes se sont regroupés au niveau du carrefour d’Ighil Ouazzoug. Certains d’entre eux s’attaquent aux rares infrastructures qui n’ont pas été touchées. Ils font la jonction avec les étudiants au carrefour d’Amriou. C’est à ce moment précis que la situation se détériore pour faire place à un affrontement direct avec les forces anti-émeutes. Des tirs de bombes lacrymogènes et des coups de sommation fusaient de partout. Une véritable course poursuite s’engage entre les émeutiers et les policiers. Les manifestants prirent ensuite des chemins détournés pour se regrouper au niveau du boulevard Amirouche.

A cet endroit, un jeune reçoit une balle au niveau de la jambe. Arrivés au centre de la vieille ville, les forces de l’ordre ont réussi à disperser les émeutiers. 13 heures à la cité Ihaddaden. Les manifestants mettent le feu à un important lot de bois de coffrage et les flammes prirent sur des immeubles en construction appartenant à l’OPGI. Toutes les administrations ont fermé et aucun service public ne fonctionne. Béjaïa en un laps de temps très court est devenue une ville morte.

Dans la région que ce soit à Akbou, Sidi Aïch, El-Kseur où sur la flanc est, le calme est revenu et on ne signale aucun incident majeur hormis la ville d’Adekar, où le siège de la daïra a été incendié. On se prépare dans la journée de demain à enterrer le jeune âgé de 14 ans qui a reçu avant-hier une balle mortelle.

Fatah Dellys

Manifestations à Paris

Quelques milliers de personnes ont répondu hier à l’appel lancé, depuis Paris, par la Fédération des associations de culture amazigh de France. Dès 13 heures, par grappes humaines, les manifestants commençaient à affluer à la place La République, brandissant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire: «Halte à la répression», «Pouvoir assassin», «Tamazight di lacoule»… Les slogans scandés étaient de même nature. Parfois même plus hostiles. Militants de la cause amazigh pour la plupart, les manifestants, unis au départ autour d’un mot d’ordre unique, «Dénonçons les tueries en Kabylie», se sont scindés en deux clans.

L’un acquis aux thèses du RCD et l’autre, plus hostile, dirigé par Malika Matoub. La soeur du chantre de la chanson kabyle a vite fait de se démarquer du premier groupe. Saisissant au vol un incident qui s’était produit lors de sa prise de parole (Malika ne figurant pas au programme, il y a eu tentative visant à l’empêcher d’intervenir), elle s’est retirée et a été suivie de quelques centaines de manifestants, des militants FFS en majorité.

C’est à ce moment que l’idée d’une marche sur l’ambassade d’Algérie à Paris a germé. Cette marche a, bien évidemment, été empêchée. Les forces de l’ordre ont vite quadrillé les quartiers. Des barricades des CRS ont été placées au niveau de toutes les artères et accès menant vers le lieu de la manif. En tête de file, Malika Matoub a tenté un coup de force avant de revenir à de meilleurs sentiments. Elle a au bout du compte appelé les manifestants à occuper la place La République jusqu’à ce que «l’Etat français et l’ONU se saisissent du dossier Algérie».

A 18 heures, la majorité des participants à ce regroupement ont quitté les lieux dans le calme et se sont donnés rendez-vous pour aujourd’hui, à 18 heures, devant l’ambassade d’Algérie à Paris.

Souhila A.

Le FLN et le MRN appellent au dialogue

Les évènements tragiques, qui se déroulent en ce moment en Kabylie, font sortir de leur mutisme d’autres formations politiques, à l’instar du Front de Libération Nationale (FLN) et le Mouvement du Renouveau National.

Ainsi, le Bureau politique du FLN a appelé dimanche à l’issue de l’examen des différentes données en sa possession, concernant les incidents survenus dans les wilayas de Béjaïa, Tizi-Ouzou et Bouira, à «la sagesse et à la retenue afin d’éviter tout glissement». Le Bureau politique affirme dans son bulletin d’information «Anba Oua Asda» que «quelle que soit leur importance, les questions doivent être posées d’une manière civilisationnelle et pacifique et dans le cadre officiel au niveau des institutions habilitées et conformément aux lois de la République». Le FLN a exprimé son indignation face aux subversions qui ont incité les jeunes et les enfants des wilayas citées à commettre des actes de violence pour des objectifs douteux. Il a dénoncé toutes les formes d’exacerbation politicienne ou médiatique qui alimentent ces actes de violence, «condamnant toutes les manoeuvres auxquelles recourent certains médias étrangers et les pions de certains milieux pour déstabiliser le pays». Le parti déplore, en outre, les actes de violence, de subversion et de sabotage des biens de l’Etat, des partis et des citoyens. Par ailleurs, dans une déclaration publiée hier, le Mouvement du Renouveau National déclare »suivre avec angoisse les évènements douloureux que vivent quelques wilayas du pays» et présente ses condoléances aux familles des victimes. Le MRN met l’accent, en outre, sur la responsabilité de l’Etat «à garantir les droits et libertés individuelles et collectives des citoyens, et non pas de réprimer et de museler, et tout ce que peut en découler comme effets négatifs». Par ailleurs, le MRN prévient contre toute tentative de brandir la liberté d’expression «comme alibi pour porter atteinte aux constantes de la nation et les intérêts suprêmes du pays, ou pour menacer son unité». Devant ces évènements, le MRN s’élève «contre le sabotage qui vise les édifices publics et considère qu’un dialogue sérieux et responsable est la seule voie possible pour régler la situation».

M. Mazari

 

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