Ceux qui avancent cachés redoublent de férocité

Alors que la Kabylie continue à panser ses blessures

Ceux qui avancent cachés redoublent de férocité

Devant la multiplication d’appels en tout genre sollicitant la population en Kabylie pour diverses actions, celle-ci prend les devants et s’organise

Ahmed Kaci, La Tribune, 9 mai 2001

Un phénomène assez curieux, qui est la prolifération de communiqués non identifiés et appelant parfois à des actions farfelues, voire irresponsables et démagogiques, est signalé, notamment dans la wilaya de Tizi Ouzou depuis le déclenchement des événements qui ont endeuillé la région avec la mort d’une soixantaine de personnes et des centaines de blessés. Certains de ces communiqués -apparemment inspirés d’une même officine- sollicitent la population en Kabylie pour une grève générale illimitée, des marches et des sit-in, aggravant ainsi le désarroi des personnes touchées dans ce qu’elles ont de plus cher, la perte d’un fils, d’un frère ou d’un proche. Selon encore des témoignages, ce serait les mêmes personnes à l’origine de ces tracts qui poussaient les jeunes au saccage des édifices publics. A Tizi Ouzou, la population n’a pas répondu à l’appel à la grève générale de la « fausse coordination des quartiers » après que la vraie eut réagi. A Bouira, les lycéens et la population n’ont pas également répondu favorablement aux appels non identifiés.

Multiplication des appels « apatrides »

Dans le même registre des communiqués « apatrides », celui appelant à une marche à Alger au nom du MCB. Contactés pour savoir s’ils étaient à l’origine de cet appel, les animateurs des Commissions nationales du MCB sont eux-mêmes dans l’ignorance totale d’une telle action. Même étonnement au niveau du Rassemblement national où l’on se dit non concerné par l’appel, « aussi douteux que les personnes qui sont derrière ». Il n’y a que la très sérieuse Association des victimes d’Octobre 88 à être induite en erreur puisqu’elle a immédiatement fait savoir son adhésion à la marche de jeudi. Finalement, il s’avère que le communiqué est l’ouvre du « MCB/Unifié » que préside Ould Ali L’hadi. Une conférence de presse a été organisée hier par cette tendance du MCB. La question qui se pose est : Pourquoi ces animateurs du MCB proche du RCD se sentent-ils obligés de cacher leur appartenance ou d’user d’un mystifiant MCB sans étiquette comme si cela suffisait à régler la question de l’unification des rangs du mouvement ou à effacer d’un trait les approches différentes sur la question. L’unité ne se décrète pas, selon les animateurs du MCB des autres tendances, si c’est réellement l’objectif recherché par ces personnes. Pour ces militants, « recourir à ce stratagème, c’est privilégier le  »coup de force » sur l’effort d’élaboration intellectuel et militant avec l’ensemble des composantes amazighes ». Car les problèmes que posent les clivages au sein du MCB ne sont pas seulement d’ordre subjectif, de leadership, de sigle suivi ou non d’étiquettes, de sincérité et d’engagement de chacun vis-à-vis de cette cause démocratique et légitime. Ils sont en même temps d’ordre subjectif et objectif. Les Commissions nationales lient, par exemple, la satisfaction de la revendication à d’autres exigences démocratiques plus profondes qui touchent notamment à la nature du pouvoir. C’est pourquoi on a tendance à croire qu’elles sont proches du FFS. Chose en soi qui n’est ni fausse ni vraie.

Pas de tamazight sans démocratie

En outre, aux yeux de ses militants, on ne peut pas « se refaire une virginité uniquement du fait qu’on prenne le soin de signer MCB sans plus ». Or, tout « le monde en Kabylie sait comment et qui a décidé que le MCB était mort en 1989, pour ensuite le ressusciter en 1994 et décréter qu’il est enfin uni en 2000 ». « Même prétendument uni et même sans l’étiquette qui renseigne sur la marque de la fabrique, les gens ne sont pas dupes et ont compris qui est derrière l’appel », ajoute notre interlocuteur. Pour en revenir au clivage entre les différents MCB, il semble qu’au sein de la Coordination ou ce qui est devenu le MCB/Unifié, la question est posée faisant abstraction du contexte que vit l’Algérie depuis une décennie. L’aspect culturaliste -et encore à la surface seulement- l’emporte sur la nature et la nécessité profondément démocratique et populaire de la revendication amazighe. L’erreur des animateurs de la tendance proche du RCD ne serait-elle pas le résultat de la croyance erronée que le problème de tamazight pourrait être réglé dans le cadre du système actuel ? Cette conception erronée serait-elle seulement l’effet d’une mauvaise appréciation d’une situation politique où le résultat de l’implication du RCD dans le gouvernement et, avant cela, dans la gestion menée depuis 1992 ? Ou relève-t-elle de causes plus profondes : sociologiques, tel le fétichisme petit bourgeois, économique, telles les contradictions d’intérêts avec les masses pour lesquelles tamazight n’est qu’une -certes la plus importante en Kabylie- condition de leur entière libération ? Même Ferhat Mehenni et la tendance qu’il drive semblent avoir compris que la question de tamazight est une question politique après son option de « tamazight point ». Les actions que mène M. Mehenni avec d’autres acteurs de la société civile et sa participation à la marche du FFS peuvent être comprises comme le signal d’une recomposition en train de se faire sur cette question. La marche réussie organisée par le FFS à Alger, puis celle de Béjaïa par les étudiants, les syndicalistes de gauche, si elles sont capitalisées, ouvrent de nouvelles perspectives pour le mouvement social, que ce soit sur le problème de la langue et de l’identité amazighe, ou sur toutes les questions d’importance égale, comme la lutte contre les injustices de tout ordre, la liberté d’expression, la lutte pour la dignité, pour le pain et le logement, etc. Cela étant dit, il faut se demander si les communiqués et autres appels non identifiés ne participent pas de l’action basique de ceux qui n’avancent que cachés pour masquer soit un échec ou des intérêts qu’ils ne peuvent passer en cette conjoncture que sous la forme d’une substitution par des mots d’ordre plus porteurs, à l’effet de se replacer dans un champ de luttes qui a, dès le début, radicalisé ses positions. Ces actions entrent-elles dans le cadre également des voix qui se sont autorisées à rejeter la cause de la mort de plus de soixante personnes sur les terroristes de Hattab qui auraient infiltré les manifestants, en l’absence d’une enquête sérieuse ? La commission Issaad devrait répondre à cette question si elle arrive à avoir la caution de la population.

La population s’organise contre la manipulation

Signe de cette radicalité, les actions de repositionnement ne semblent pas être sous-estimées par les populations de Kabylie puisqu’elles ont décidé de prendre le taureau par les cornes afin de déjouer toute récupération-manipulation de leurs revendications. Pendant de la répression et prélude à tous la démobilisation et à la désorganisation. D’où les multiples comités créés dans les villages, les quartiers et l’implication des militants des partis politiques et des personnalités restés crédibles à leurs yeux. Une tendance qui bat en brèche ces théories visant à nous convaincre que c’en est fini des partis. Contactées à ce sujet, de nombreuses personnes nous ont affirmé que l’organisation en « djemaa » « n’est pas un retour au tribalisme comme certains se sont ingéniés à l’écrire, mais une action de vigilance pour couper l’herbe sous les pieds des manipulateurs de tout genre ». De même pour les lectures faisant état du désaveu des partis politiques. Ces derniers mènent toujours avec le même état d’esprit des actions d’organisation et d’encadrement de la population, en s’impliquant à tous les niveaux avec plus ou moins de chance pour les uns et les autres. Et sur ce chapitre, chacun semble récolter ce qu’il a semé.

A. K.

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