«Cinglante leçon de civisme pour le pouvoir»

«Cinglante leçon de civisme pour le pouvoir»

Selon la presse algérienne, le pays tout entier aspire au changement.

Frédérique Amaoua, Libération, 28 mai 2001

La Kabylie serait à l’Algérie un peu ce que le Chiapas est au Mexique: le miroir de tout un pays «où se reconnaît l’écrasante majorité des Algériens», écrit «El Watan».
Et si, au-delà de la tragédie que vit la Kabylie, la situation n’était pour une fois en Algérie pas «aussi compliquée que ça» ? Et si, dans ce pays «où les bruits de couloir sont érigés en stratégie de communication», comme l’écrit la Tribune, il y avait ces dernières semaines une contestation «réellement citoyenne», sans «obscurs marionnettistes» pour manipuler les manifestants ? Bref, une révolte «en vrai», face à «un système autoritaire incapable de comprendre les appels au changement de la société». C’est la principale analyse de la presse algérienne, pourtant inlassable exégète du théâtre d’ombres algérien. Comme si cette guerre entre les pierres des lycéens contre les balles des gendarmes avait soudain rendu caduque l’éternelle grille de lecture : qui manipule qui ?

Evoquant la contestation «pacifique et structurée» de Kabylie, née «hors de tout cadre officiel ou partisan» durant les derniers événements, le quotidien le Matin salue cette première de l’histoire de «l’Algérie post-1988: un mouvement citoyen d’une telle ampleur a imposé un cadre de revendications fort et représentatif. Le pouvoir, qui avait misé sur des émeutes sauvages, racistes, comme il les eût voulues pour justifier la répression sanglante, a été pris de court et reçut une cinglante leçon de civisme là où il ne voyait que désorganisation et rétablissement de l’ordre qu’il a lui-même piétiné. Il a répondu par une répression sauvage. C’est ce dont il est capable».

Liberté enfonce le clou : «Voilà qu’après bien des morts, après bien des larmes et du sang, c’est la panique en haut lieu : on décommande, en urgence, les rendez-vous officiels et les obligations mondaines. (…) La Kabylie a besoin de plus que cela.» Et Liberté s’écrie : «Le pouvoir doit comprendre que lorsqu’il est confronté à un ras-le-bol populaire, il ne peut indéfiniment tuer le peuple et nommer un autre peuple.»

Comment, dès lors, après 38 jours et 38 nuits d’émeutes, qualifier ce qui se passe en Kabylie ? Alors qu’au départ certains titres algériens analysaient une révolte purement «régionaliste», presque tous ont aujourd’hui tourné bride. «Devant un chancelier étranger, le patron du FLN a osé avancer qu’il s’agit de Kabyles qui s’entre-tuent, sentence étriquée mais non moins politiquement raisonnée», proteste le Soir. Loin d’être montrée par la presse – qui observera une grève générale aujourd’hui – comme un «particularisme», la Kabylie serait aujourd’hui à l’Algérie un peu ce que le Chiapas est au Mexique : le miroir de tout un pays «où se reconnaît l’écrasante majorité des Algériens», écrit El Watan. «Elle n’est ni sécessionniste ni autonomiste, comme certains cercles du pouvoir voudraient le faire croire. (…) Elle n’a fait en réalité que défendre une culture authentiquement algérienne appartenant au peuple tout entier. Mieux encore, la revendication identitaire s’inscrit dans un combat plus large, celui de la démocratie.» Il n’est pas un journal qui n’évoque dans la foulée le «danger de contagion». El Watan encore : «Il est de ce fait urgent pour le pouvoir de cantonner l’insurrection à un espace géographique précis, ce qui lui permettra de manipuler à volonté la réalité en faisant accréditer les thèses du séparatisme et du complot étranger.»

Enfin, la presse revient sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’«affaire Khalida Messaoudi». Il fallait une incarnation de ce pouvoir, hué à chaque marche depuis un mois. Ce fut cette députée, proche de Bouteflika, nommée par lui dans différentes commissions. Les journaux d’Alger reviennent longuement sur son presque-lynchage le 24 mai, à Tizi Ouzou, alors qu’elle voulait participer à une marche de femmes. Mais c’est Liberté qui a décroché l’interview. Messaoudi y raconte ces jeunes de Tizi, «chauffés à blanc, convaincus que j’ai trahi la Kabylie pour garder un poste à la présidence». Dans la bouche de celle qui accompagnait officiellement Bouteflika lors de sa visite en France, la suite est surréaliste : «Vous qui savez que je n’ai pas, et n’ai jamais eu, de poste ni à la présidence, ni ailleurs, pouvez-vous me dire ce qu’il est possible de faire contre une désinformation et une manipulation aussi efficaces que mortelles ?» Annonçant sa démission du Rassemblement pour la culture et la démocratie, elle conclut : «La politique, c’est fini.».

 

 

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