Bouteflika promet sans convaincre

Bouteflika promet sans convaincre

Le président algérien a juste annoncé une commission d’enquête nationale sur les douze jours d’émeutes qui ont fait au moins 60 morts en Kabylie.

José Garçon, 2 mai 2001

Tirant les leçons des émeutes, Saïd Sadi a annoncé le retrait du gouvernement de son parti, le Rassemblement pour la culture et la démocratie. âtiments publics entourés par la police, odeur de gaz lacrymogènes et de pneus enflammés: Tizi Ouzou et Béjaïa, les deux plus grandes villes de Kabylie, avaient retrouvé un calme précaire, hier, après douze jours de violentes émeutes. Et ce, même si des heurts ont repris dans l’après-midi à Tizi où les forces de police demeuraient très présentes ce 1er mai, au lendemain d’une journée elle aussi marquée par des affrontements qui ont fait trois blessés. A Alger, quelques dizaines d’étudiants ont tenté de manifester devant les facultés centrales, mais en ont été empêchés par la police.

A Béjaïa, des jeunes sont sortis crier leur colère après le «discours à la nation», lundi soir du président Bouteflika. Ils ont été pourchassés une bonne partie de la nuit par les forces de sécurité qui lançaient des lacrymogènes sur les groupes discutant au pied des immeubles. Hier, la ville avait été en partie nettoyée des signes les plus visibles de l’émeute. Timidement, taxis collectifs et minibus ont repris leur rotation entre centre-ville et banlieue.

Colère et déception. Partout en Kabylie, comme dans le reste du pays, c’est en fait l’intervention d’Abdelaziz Bouteflika que les Algériens commentaient. Presque toujours avec colère ou déception. «C’est à se demander s’il a bien saisi l’ampleur de la révolte qui s’exprime depuis près de deux semaines et de la grogne qui monte dans tout le pays», résumait, hier, un jeune universitaire algérois. Abdelaziz Bouteflika n’a visiblement pas réussi à répondre à l’attente créée par des autorités qui ont observé un silence assourdissant pendant que des émeutes embrasaient toute une région et qu’au moins soixante jeunes sont tombés sous les tirs des forces de sécurité (42, selon Alger).

Vague et flou. Le chef de l’Etat était attendu sur les problèmes soulevés par les émeutiers depuis qu’ils sont descendus dans la rue après le meurtre, le 18 avril, du jeune Massinissah Guermah dans une gendarmerie: chômage, absence de logement, abus de l’administration, corruption, brutalités des forces de l’ordre… Usant d’un ton solennel et grave, il est resté vague et flou, ne proposant aucune solution concrète. A l’exception de la «création d’une commission nationale d’enquête chargée de faire toute la lumière en toute liberté et en toute transparence» sur les émeutes.

Cette commission comprendra des «représentants de la société civile», a-t-il ajouté sans préciser sur quels critères ils seraient choisis alors que la notion de société civile est controversée en Algérie. Cette démarche n’a en outre aucune chance de convaincre dans un pays où elle a toujours été synonyme «d’affaire classée», comme ce fut le cas pour la commission sur l’assassinat du président Boudiaf ou sur la fraude électorale. Bouteflika a d’ailleurs lui-même décrédibilisé cette future enquête en affirmant qu’il «connaissait et démasquerait les gens qui fomentent les divisions et le séparatisme» à l’origine des «derniers événements». «A quoi bon alors créer une énième « commission d’enquête » puisqu’on a déjà désigné les coupables: une force extérieure», s’énervait un avocat.

Distant, ne manifestant aucune émotion, Bouteflika a conforté la population dans ce qu’elle dénonce depuis des années: un pouvoir en rupture totale avec son peuple. Il l’a fait jusqu’à en être à peu près incompréhensible: il s’est exprimé dans un arabe châtié, littéraire, alors qu’une bonne partie des Algériens ne comprend que l’arabe parlé. Se contentant de généralités, il a affirmé avoir «convenablement saisi le sens et la portée» de la protestation des jeunes, de «leur impatience et de leur frustration devant un lendemain qui leur paraît sans promesses». Il n’a pas été plus concret concernant la revendication linguistique qui s’exprime en Kabylie, même si celle-ci a été reléguée au second plan au cours des émeutes. Il a simplement évoqué la nécessité d’une révision de la Constitution et donc d’un éventuel référendum pour la reconnaissance de tamazight, la langue berbère. Cette proposition pourrait cependant répondre davantage à ses préoccupations propres qu’à celles des émeutiers.

Ambition. Le chef de l’Etat tente en effet d’imposer depuis son installation aux affaires, une modification de la Constitution afin d’augmenter les pouvoirs présidentiels. Une ambition qu’il n’a pu jusqu’ici imposer aux généraux sauf à une condition: les militaires exigent dans ce cas la création d’un poste de vice-président, autrement dit d’un homme qui le remplacerait à la moindre incartade.

En attendant, l’un des partis de la coalition gouvernementale, le Rassemblement pour la culture et la démocratie de Saïd Sadi, tirait, hier soir, les enseignements des émeutes. Il confirmait le retrait de ses deux ministres, privant ainsi le pouvoir de son seul véritable soutien en Kabylie.

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«Un Algérien ne vaut même pas un Palestinien»

Manifestations lundi en France pour la fin des violences en Kabylie.
Par SERVICE ETRANGER

Ils étaient environ un millier, majoritairement algériens, à réclamer pendant plus de deux heures, malgré une pluie battante, «justice et démocratie» dans leur pays, lundi en fin d’après-midi devant l’ambassade d’Algérie à Paris. Sous haute surveillance policière, ils répondaient à l’appel de la Ligue des droits de l’homme, de la FIDH et du FFS (Front des forces socialistes, opposition).

«Kabylie autonomie». «En Algérie, nos potes veulent vivre», «Rendez-nous nos enfants», «Commission d’enquête», «Procès pour les généraux tortionnaires», affichaient les pancartes à l’occasion de cette deuxième journée de manifestation en vingt-quatre heures dans la capitale française. Signe de l’écart entre les revendications, une banderole – celle de la fondation Matoub, du nom du chanteur assassiné en 1998 près de Tizi Ouzou – proclamait de son côté «Kabylie autonomie».

Traduisant le sentiment des manifestants, le porte-parole des députés Verts, Noël Mamère, déplorait que la réaction de Hubert Védrine soit «très en dessous de ce qu’on doit attendre du gouvernement français» et demandait que «la France adresse des avertissements sérieux à l’adresse du gouvernement algérien». Le chef de la diplomatie avait souligné dimanche que «l’histoire (entre les deux pays) ne prédispose pas la France à distribuer les bons et les mauvais points, à dire ce qu’il faut faire, à donner de loin des leçons, à condamner». «Un Algérien ne vaut visiblement même pas un Palestinien», lançait un jeune émigré qui «ne comprenait pas pourquoi on peut condamner les tirs israéliens mais pas ceux des généraux alors que c’est un même désespoir qui s’exprime sur le terrain».

«Pouvoir assassin». L’oreille collée sur Radio Beur «pour savoir si ça continue au bled», Halima tente de résister à la pluie. «Là-bas, ils résistent bien aux balles.» Et scande à pleine gorge «pouvoir assassin».

A Marseille, quelque 300 personnes ont aussi manifesté sous une banderole «Halte à la répression en Kabylie».

 

 

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