La Kabylie sous haute tension

LA MARCHE DE DEMAIN RISQUE DE DERAPER

La Kabylie sous haute tension

El Watan, 7 août 2001

Enième action demain à Alger de la Coordination interwilayas. Une marche populaire, maintenue en dépit de son interdiction par les autorités, pour signifier la poursuite de la contestation née en Kabylie il y a près de quatre mois.

La Coordination reste donc sur sa logique de départ : entretenir le mouvement par des actions multiples et diverses pour réaffirmer des revendications jugées légitimes et qualifiées de «non négociables». Partagés depuis sur cette démarche, les délégués continuent d’accorder leurs violons tout en retenant l’idée de modifier la stratégie d’attaque en raison de l’absence totale d’écho auprès des hautes autorités du pays. A l’occasion de l’ouverture du Festival mondial de la jeunesse qu’abrite l’Algérie à partir de demain, la Coordination veut investir le lieu d’inauguration, le stade du 5 Juillet en l’occurrence, dans le but d’alerter l’opinion internationale sur les suites des événements violents qui ont coûté la vie à 55 personnes, jeunes en majorité. Les conclaves n’ont jamais cessé depuis début mai, date de constitution des premiers comités à Tizi Ouzou et Béjaïa, rapidement imitées par d’autres wilayas, notamment Alger, Boumerdès, Sétif, Bordj Bou Arréridj, Bouira et Khenchela. Des marches ont eu lieu dans les chefs-lieux de wilaya dont la plus imposante a été celle du 21 mai où pas moins de 500 000 personnes ont manifesté dans un parfait état d’organisation à Tizi Ouzou. Les autres marches ont rassemblé aussi beaucoup de monde.Revigorée par un tel degré de mobilisation, la Coordination tente le coup de grâce en appelant à une marche à Alger, de la place du 1er Mai vers la Présidence de la République. Bon calculateur, le pouvoir tente, en vain, de négocier l’itinéraire pour l’orienter vers la place des Martyrs et réussit à briser le formidable élan de solidarité tissé au prix de vies humaines autour du mouvement de contestation. La marche du 14 juin tourne au drame : les affrontements — provoqués ? — font plusieurs morts et blessés parmi les manifestants, ces derniers estimés à plus de un million par les organisateurs (50 000 selon le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni). Le prétexte pour l’interdiction de toutes les marches dans la capitale est ainsi trouvé. La Coordination interwilayas prend à peine le temps de panser les blessures. Elle décide d’une autre marche à Alger le 5 juillet, date anniversaire de l’indépendance, mais réservée uniquement aux délégués des villages, communes, daïras et quartiers. Le ministère de l’Intérieur fait respecter à la lettre sa mesure d’interdiction ; des barrages impressionnants sont installés sur l’autoroute est. Résultat : les délégués sont bloqués et ne peuvent par conséquent rallier Alger. Ces différentes marches sont accompagnées de grèves générales, de sit-in, de meetings, de rencontres, etc. Le seul acquis de la contestation reste pour le moment la deuxième session du baccalauréat (septembre prochain) annoncée par le président de la République le 28 mai lors d’un séminaire sur le Coran à l’hôtel El Aurassi. Les autres revendications, notamment la reconnaissance officielle de tamazight, le statut de martyr aux victimes de la répression et, point essentiel, le départ de la gendarmerie des régions touchées, sont complètement ignorées par le pouvoir. Ce dernier semble même s’aligner sur le choix de la Coordination qui déclare ses revendications «non négociables» et refuse catégoriquement tout «contact direct ou indirect» avec lui. * Le statu quo est maître de la situation. Il s’en trouve donc des délégués qui commencent sérieusement à s’interroger sur la fiabilité de leur stratégie : faudra-t-il s’entêter à refuser le dialogue, ayant de surcroît conscience des dégâts occasionnés à la région la plus disciplinée et la plus mobilisée (la Kabylie) ? Les autorités font évidemment tourner leurs laboratoires pendant ces temps de suspicion et de doute.
A Béjaïa et Tizi Ouzou, les rencontres se poursuivent et, souvent, traînent en longueur. Mais les solutions tardent à venir. Après demain, quel que soit le résultat de la marche, le même bilan sera fait ; des actions similaires seraient annoncées : on resterait toujours dans la même logique. Jusqu’à quand ?

Par Lyes Bendaoud

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