Lalliance électorale gagnante, un tabou dopposition
Lalliance électorale gagnante, un tabou dopposition
Par El-Kadi Ihsane, Le Quotidien d’Oran, 21 mars 2002
A deux mois des élections législatives, lactuelle coalition gouvernementale se fait peu de souci sur son sort. Lopposition est au plus mal. Celle qui se trouve au Parlement comme celle qui en est exclue. Pourtant la combativité des Algériens est remontée depuis deux ans. Lidée dun front électoral pour organiser une alternative de gouvernement aurait dû se profiler. Elle est toujours taboue.
Il y a en Algérie le potentiel dune alternance politique pacifique par les urnes. Tous les jours, la chronique sociale et citoyenne du pays le scande: émeutes populaires, grèves syndicales, protestation citoyenne, dirigeants accablés à coups de livres publiés et de numéros de comptes bancaires suisses étalés sur le web, commissions denquête bloquées, dossiers explosifs chez les ONG humanitaires et lONU… Cette liste non exhaustive annoncerait partout dans un pays «normal» limminence dun effondrement, au mois électoral, du régime en place. Pas vraiment en Algérie. Les raisons seraient longues à égrener. Une dentre elles tient incontestablement à lincapacité de lopposition, hors islamisme radical, à organiser la canalisation du changement par le vote. Les choses vont, de ce point de vue, un peu plus mal encore quil y a trois ans lorsque, fait historique, six candidats à lélection présidentielle ont décidé en commun de se retirer de la course à la veille dun scrutin déjà entaché par une fraude systématique lors du vote des corps constitués.
Trois événements viennent dillustrer le très mauvais pas dans lequel se trouve lopposition politique à lapproche des élections législatives. La décision du RCD de boycotter ces élections spectaculaire signe dimpuissance face à lévolution des événements en Kabylie, lisolement du FFS jeudi dernier place Premier Mai face à la répression policière, la prestation homérique de Louiza Hanoun chez notre collègue Ghania Oukazi qui a tant montré la complexité de la tâche pour qui porte une voix contraire, quelle en paraît presque insurmontable. Bien sûr, toutes les oppositions ne sont pas les mêmes.
Le RCD était au gouvernement de janvier 2000 à avril 2001. Le FFS et le PT se situaient dans le même camp de «la solution politique globale» face à linsurrection islamiste.
Une vision combattue justement par le RCD avec plus de zèle que par une partie du pouvoir. Cela na pas empêché tout ce monde et dautres encore, Hamas et Nahda, de défiler ensemble contre la fraude électorale lors de la protesta de lautomne 1997. Comme deux ans plus tard avec le retrait des six candidats aux présidentielles face au candidat protégé par larmée, les oppositions ne paraissent capables de se fédérer que pour protester ponctuellement contre les outrances du régime lorsquil ne fait plus attention à la manière, avec le RND en 97, avec Bouteflika en 99. Or une grande question se pose tout de même depuis que la lente décrue de la violence a redistribué une partie des positionnements figés depuis 1992 par les pro et les anti 11 janvier: lheure nest-elle pas arrivée dune grande alliance électorale au seul but de provoquer la première alternance au pouvoir en Algérie ? Les contours de cette alliance existent en fait, en quasi parfaite symétrie de ceux qui dessinent «la majorité» qui gouverne.
La seconde se ventile en nationalistes sous variantes FLN et RND, en islamistes modérés déclinés en MSP ou MRN, en démocrates tout poil, distribués en ex-boukrouhistes et ex-malékistes… En face la surface dun front électoral de changement aurait le même ancrage nationaliste avec son aile démocratique avec les hamrouchiens, son aile conservatrice avec les ibrahimiens, et ses extensions démocratiques avec le FFS et de gauche avec le PT.
En écoutant Louiza Hannoun évoquant ses «nombreuses divergences du moment avec le FFS», il y a des raisons de croire quune telle alliance nest pas près dêtre envisagée dans un proche avenir. En tout cas pour ce qui est des élections législatives, le coup est bel est bien parti. Les partis de lopposition et les autres courants non organisés en partis iront en ordre dispersé à lurne, ou niront pas du tout.
Des tentatives discrètes ont eu lieu dans les derniers mois pour sonder les acteurs davril 1999 sur leur disposition à lapproche de cette saison électorale à «faire bouger les choses politiquement», en offrant des perspectives aux innombrables luttes populaires qui, éparpillées dans le pays, consomment son énergie sans vraiment le faire toujours avancer. Le résultat parle de lui-même.
Les divergences entre partis, acteurs et animateurs de cette large coalition sont grandies à lavance, la définition des objectifs dune telle alliance est vite escamotée, bref, il y a panne de volonté. Un peu comme si lattente secrète de lopposition, en tous les cas de celle-là, est de laisser la rue en découdre avec le régime jusquà lui faire rendre gorge avant de sortir avec ses propositions alternatives.
Linternationalisation ou pas des campagnes contre les atteintes aux droits de lhomme en Algérie est-il un motif de divergence politique majeure dans un pays comme le nôtre en 2002 ?
Dans lopposition, on a décidé que oui. Dans le même temps tous conviennent que la situation, limpasse morale quelle couve, nécessite une initiative politique majeure.
Quest-ce qui a donc soudé la coalition qui gouverne depuis 1996 et qui a un moment comporté en son sein des ultra-modernistes comme les amis de Sadi et des islamistes conservateurs comme les amis de Adami ?
Lattrait du pouvoir représentatif (députation, ministère, etc.) et de ses avantages palpables ne suffit pas à tout expliquer. La coalition gouvernementale est soudée par la défense dun statu quo politique qui consolide les rapports de force de laprès-guerre: recul de lislamisme politique radical, avancée des forces de largent et légitimation de leur nouveau statut social, prééminence de «larbitrage» de larmée dans la vie nationale au nom dune certaine faillite des «civils». Les opposants à ce paradigme nont pas trouvé encore le génie ou la volonté den proposer un autre basé au fond sur une atténuation des effets de la guerre sur la société: non-écrasement autoritaire des expressions politiques défaites à cause des dérives de lislamisme armé, opposition de la force du droit à celle du capital, retour de la régulation de la vie publique par le suffrage des citoyens.
Sans alliance électorale majeure à but temporel limité, point de changement. Cest clair. En attendant que lopposition se réveille à son destin, il ne sert à rien de critiquer le pouvoir pour les dévastations de son instinct de survie.