Pas de solution à la crise si ce pouvoir se maintient

Benbitour, Djeddaï et Cherif Belkacem affirment au forum d’El Youm

Pas de solution à la crise si ce pouvoir se maintient

Par Nordine Benkhodja, Le Jeune Indépendant, 9 avril 2002

L’Algérie est malade de ses dirigeants, de sa gouvernance et des forces occultes qui la gèrent dans l’ombre (allusion faite aux cercles militaires). Tandis que se lancer dans les prochaines élections législatives, dans le contexte actuel, serait suicidaire et insensé. Le constat fait, hier, par les invités du forum organisé par quotidien arabophone El Youm s’apparentait à un véritable réquisitoire dressé contre le pouvoir actuel. Le «procès» est d’autant plus lourd qu’il émane de personnalités connaissant parfaitement les rouages des cercles de décision : MM. Ahmed Benbitour, Cherif Belkacem et Ahmed Djeddaï respectivement ex-chef de gouvernement, ex-membre du Conseil de la Révolution et premier secrétaire national du Front des forces socialistes (FFS). Le forum se voulait un débat qui expliquerait la crise algérienne en s’efforçant de voir les issues pour s’en sortir. «Les citoyens ne voient rien venir. Lorsque le désespoir s’installe, les portes s’ouvrent aux soulèvements et au terrorisme. La crise en Kabylie n’est qu’un aperçu de ce ras-le-bol», expliquera M. Benbitour. Le premier responsable de cette crise est sans nul doute le président de la République, ajoutera l’ancien chef de gouvernement, «le Président doit assumer ses responsabilités, la Constitution le lui permet. Il ne faut pas dire qu’il a les mains liées. Et puis ce système ne peut pas conduire au changement. Pourtant, on est obligé de faire avec», expliquera M. Benbitour. Les mémorandums formulés par les trois invités sont restés lettre morte. Pour Benbitour, tout programme salvateur doit s’inscrire dans une logique de «l’unité dans la diversité». Il ajoutera que pour tout développement global il faut l’efficacité des institutions économiques et la capacité des institutions politiques à mobiliser la nation.

«L’unité nationale est en danger»

De son côté, Ahmed Djeddaï rappellera qu’il a adressé une copie de ses propositions pour la sortie de la crise aux «premiers décideurs du pays, les généraux Toufik et Lamari» le 12 mai 2001, puis une autre au président de la République. «Nous ne sommes pas [seulement] un parti d’opposition, nous sommes aussi un parti de proposition», dira le responsable du FFS. Pour ce dernier, aucun homme, aucun groupe ne sauraient se substituer à la volonté populaire.

Djeddaï lancera d’un ton ferme : «L’unité nationale est en danger, il faut sauver le pays du chaos programmé.» Il ne fait aucun doute que la menace vient du pouvoir que le responsable du FFS considère comme le seul obstacle pour sortir de la crise. Que faut-il faire dans ce cas-là ? Djeddaï répond qu’il faut rétablir la confiance entre les décideurs et le peuple, lever l’état d’urgence et prendre des mesures pour créer un climat politique favorable au dialogue et à la réflexion.

D’un point de vue économique, M. Benbitour est formel, «nous n’avons aucun problème financier». «Notre situation macroéconomique est stable et nous n’avons aucun problème de cet ordre.» Le reste n’est qu’une quête désespérée de stabilité politique. Pour Cherif Belkacem, l’origine de la crise est incontestablement «la gestion lamentable du président de la République». M. Belkacem estime que Bouteflika n’a aucunement su gérer la situation du pays.

«Aller aux élections est criminel»

Le prochain rendez-vous électoral dans les conditions actuelles est une irresponsabilité, estiment les invités d’El Youm. «Il n’y a rien à attendre des prochaines législatives. Il faut que le citoyen vote pour anticiper dans l’avenir et non sanctionner dans le passé», estimera M. Benbitour. De son côté, Djeddaï explique qu’un report du scrutin n’aurait de sens que s’il est suivi d’un véritable projet de sortie de crise, ce qui ne semble pas s’annoncer. «Allons-nous vers un bain de sang, après le 30 mai», s’interroge Djeddaï dans le cas où le pouvoir s’entête à entamer les élections malgré tout. M. Cherif Belkacem dira, pour sa part, que ces élections ne donneront rien. Ça ne sera, selon lui, qu’une reconduction de la crise et non une solution. N. B.