«Bientôt les compagnies américaines contrôleront vos recettes»
Un expert pétrolier compare lAlgérie au Venezuela
«Bientôt les compagnies américaines contrôleront vos recettes»
Mounir B., Le Quotidien d’Oran, 4 juin 2002
Retenez bien ce nom: Bernard Mommer. Cet expert en pétrole prédit un «scénario vénézuélien» concernant lAlgérie qui serait de plus en plus dépendante des multinationales du pétrole.
Conseiller de Ali Rodriguez, le secrétaire général de lOPEP, Bernard Mommer passe pour être un des plus brillants prospectivistes des questions pétrolières et des marchés financiers des hydrocarbures. Son livre «Le Pétrole global et état de la Nation» est devenu la bible des courtiers et des spécialistes en énergie. La thèse de Mommer réside dans le fait des changements profonds intervenus ces dernières années avec lintégration en profondeur des compagnies occidentales dans les pays en développement qui a modifié la rentabilité du pétrole local. En dautres termes, les pays de lOPEP ne contrôleront plus aisément leurs ressources énergétiques et se verront, à moyen terme, dicter leur politique dexportation par les compagnies pétrolières occidentales présentes sur leur sol.
Afin de démontrer sa thèse, Bernard Mommer indique que durant 40 ans, lOPEP a vendu le baril de pétrole à une moyenne de 20 dollars alors que le coût du baril sorti des sous-sols nétait que de 2 dollars. En limitant laccès des compagnies pétrolières sur leur sol, ces pays ont réussi à se constituer des réserves financières importantes et influer sur les marchés européens du pétrole. Mais selon cet analyste, la prime de panier de lOPEP est menacée par les Etats occidentaux et les multinationales qui cherchent à miner le système de redevances, «épine dorsale» des recettes publiques de lOPEP. Ces Etats occidentaux, avec à leur tête les Etats-Unis, ont introduit un autre système dans ces pays qui consiste en «une baisse de redevances et une augmentation rapide de la production» pétrolière, explique Mommer.
Lobjectif de cette nouvelle stratégie, selon Mommer, est quelle permet aux Occidentaux de réduire le coût du pétrole et dêtre pompé à des prix inférieurs qui mettent en danger et concurrencent les revenus directs des pays en développement dont léconomie dépend du pétrole. Ce modèle de production que Mommer nomme «non-proprietorial» a été ainsi implanté avec succès dans les républiques dAsie centrale après la chute du communisme en 1989 et est en train de sétendre aux pays de lOPEP (qui forment les ¾ des réserves mondiales de pétrole) à travers deux pays, le Venezuela et lAlgérie. «Partout où ce modèle non-proprietorial prospère dans un pays exportateur, il est un symptôme daffaiblissement de cet Etat et dapprofondissement de la crise politique et économique», écrit-il en ajoutant que «ce pays en sort toujours ap pauvri». Lanalyste notera que la progression de ce nouveau modèle est souvent accompagnée de traités avec les multinationales occidentales qui compromettent la souveraineté des Etats sur leurs ressources et réserves nationales en pétrole et gaz.
Pour Mommer, le Venezuela est lexemple parfait à cette hégémonie puisque cest un des premiers pays dAmérique latine qui sest frayé un chemin des réserves nationalisées vers une réouverture du marché au capital étranger durant les années 90. Pour le Venezuela, alors que le niveau de production augmentait en flèche, les revenus fiscaux de ce pays sur le pétrole chutaient de manière dramatique: ils atteignaient les 66% en 1976-1992 et ont périclité à 37% en 1996-2000. Ce processus a été stoppé et enrayé par le président Hugo Chavez qui avait décidé daugmenter les redevances dans une nouvelle loi des hydrocarbures à laquelle les principales compagnies américaines étaient défavorables. Une opposition qui a tourné à laffrontement puisque Hugo Chavez a failli être destitué par un coup dEtat où la main de Washington nest pas absente.
Mais les contrats déjà existants ont facilité lérosion continue des redevances fiscales pétrolières – Venezuela et Algérie dépendent en grande partie de ces revenus -, provoquant un déficit fiscal en contradiction avec les prix élevés du baril sur le marché. Et de souligner qu«un processus semblable est en train de prendre racine en Algérie». Lanalyse évoquera ainsi la nouvelle loi sur les hydrocarbures, très contestée par les syndicats de pétroliers algériens, proposée par le ministre de lEnergie, Chakib Khelil, qui nest autre que larchitecte de la politique fiscale au Venezuela lors de son passage à la Banque mondiale en tant que conseiller chargé des questions pétrolières en Amérique latine.
Il dira que lOPEP, populairement connue sous le nom de cartel des exportateurs de pétrole, est mieux défini comme association des propriétaires, extrayant le loyer en échange de laccès à leur territoire. L»OPEP peut limiter lécoulement de linvestissement, qui détermine le niveau à long terme de la production». «La puissance de lOPEP est profondément enracinée en son souterrain (…) les quotes-parts sont seulement un genre daccord de finalité». En augmentant le coût de production par des redevances, Mommer croit que lOPEP peut placer «un plancher fiscal» aux prix du pétrole mondial qui donnerait un peu dair aux pays producteurs face à lhégémonie des compagnies étrangères. Ce livre assez pessimiste sur les retombées de la politique pétrolière algérienne présente les dangers dune pénétration croissante des compag nies occidentales qui peuvent influer, dans peu de temps, sur les recettes algériennes.