Concorde civile interne et crimes universels

ALGERIE

CONCORDE CIVILE INTERNE ET CRIMES UNIVERSELS

(LIMITES D’UNE MESURE POLICIERE)

Ibrahim TAHA, juriste

Le projet de loi sur la « Concorde civile » en Algérie adopté en Conseil des ministres le 29 juin 1999, et par l’Assemblée Populaire Nationale (APN), première chambre du Parlement, le vendredi 9 juillet, est transmis pour être rediscuté par la deuxième chambre du Parlement. Il sera soumis au référendum populaire 45 jours après la convocation du corps électoral par décret présidentiel, et ce, quelque soit le résultat du vote. Ce projet exprime l’option révisée à la baisse de la politique sécuritaire du régime à l’égard de l’opposition armée. Il mérite donc d’être annexé comme alinéa à l’article 87 du code pénal, qui avait repris en 1995 le décret « Abdeslam », dit « anti terroriste ». Ce nouveau projet poursuit le même objectif que la loi dite de la « rahma » (pardon, miséricorde), dont l’ordonnance qui lui a donné naissance a été abrogée. Il est donc une énième mesure purement pénale conjoncturelle, quoique le discours officiel en cache la nature véritable. L’implicite du texte est d’ailleurs plus révélateur que l’explicite.

Peut-être que c’est parce qu’il résulte d’un accord conclu entre un service de la Direction Renseignements et Sécurité (DRS), dépendant de l’Armée Nationale Populaire (ANP), et l’Armée Islamique du Salut (AIS) que le projet de loi ne pouvait aller au-delà de préoccupations policières, du moins en apparence. On n’y trouve aucune référence directe susceptible d’indiquer l’existence d’un accord de nature politique. Sans doute que la DRS n’est pas habilitée à engager l’Etat dans ce domaine pour défaut de qualité, à moins d’une confirmation de l’accord par le ministre de la défense. Cette confirmation n’eut pas lieu dans le passé, le président et ministre de la défense, Zerroual, y aurait laissé son poste. L’accord vient d’être rendu officiel sous forme de loi par le nouveau président de la République, sans que les parties au conflit, le régime algérien et le Front Islamique du Salut, n’aient eu à discuter des causes de la crise et des mesures susceptibles d’y mettre définitivement fin.

Le seul aspect politique de l’accord résulte des discours du nouveau président de la République. Ces discours ont précédé et accompagné le projet de loi qui est sensé traduire cet accord. Ces discours ont été soumis au feu roulant de la critique d’un parti politique communiste minoritaire, le MDS, et ses associations satellites, qui bénéficient de plusieurs créneaux d’expression sans rapport avec leur envergure politique et sociale, plus que modeste. Cette critique est d’ailleurs démesurée eu égard au contenu du projet de loi. Avec ce texte, qui reste une mesure policière, le président de la République a su tirer bénéfice de son exploitation politique puisqu’il le présente comme le sésame de la paix. Et QUI oserait s’inscrire publiquement contre la paix ? Même ceux des partis politiques classés par les médias dans le camp des « eradicateurs », comme l’ANR et le RCD souscrivent au projet. Certains politiques du Front Islamique du Salut (FIS) qui se sont exprimés applaudissent à la paix alors qu’ils sont les premiers perdants de cet accord, politiquement parlant. D’ailleurs, s’exprimant sur les ondes de la radio française Europe 1 , le 8 juillet 1999, le président algérien a déclaré « je suis en train d’appliquer la politique de l’armée ». Version qu’il inversera le soir même en s’exprimant à travers la chaîne de télévision arabe ANN, disant, l’ANP applique ma politique.

Examinons ce projet de loi adopté par l’APN plus en détails. Le protagoniste à qui s’adresse ce texte est résumé par tout ce qui est terroriste, sans même distinguer le « terrorisme » à des fins politiques du terrorisme criminel, ni distinguer l’opposition armée « civilisée » de l’AIS de celle radicale et jusqu’au-boutiste des Groupes Islamiques Armés (GIA), ou médiane du Groupe de Prédication et de Jihad Armé (GPJA). Le texte de loi les met à la même enseigne selon une vision toute sécuritaire (I). C’est sans doute la raison qui explique que des mesures d’exclusion politique et médiatique soient prévues, y compris à l’initiative du pouvoir exécutif (II). Par là même il passe sous silence les crimes universels comme le crime de guerre, le crime contre l’humanité et le génocide (III). Ce dernier aspect permet sans doute d’éclairer les mobiles du texte de loi sur lesquels nous conclurons.

I

LES TERRORISTES : CRIMINELS OU OPPOSANTS POLITIQUES

Ce texte n’exclut pas les activités purement criminelles, ni celle des personnes qui utilisent la violence armée pour le banditisme en tant qu’individus, ou en tant qu’associations de malfaiteurs. La presse algérienne et internationale a parfois rendu compte de ce genre de criminels qu’auparavant elle assimilait au terrorisme « islamiste », qui avait bon dos1. D’autre part cette loi reste silencieuse sur les faits de torture, enlèvements suivis de disparition etc. que les autorités algériennes qualifiaient de « dépassements ».

A plusieurs occasions la presse algérienne a fait état de cette catégorie de terroristes malfaiteurs qui ne peuvent prétendre agir, ou avoir agi, pour des mobiles politiques. Ils sont donc également concernés par le texte de loi. D’autres criminels étaient rétribués par l’Etat. Des centaines de policiers, de gardes communaux et de miliciens des Groupes de Légitime Défense (GLD)1 et 2, vont s’évanouir dans la nature avec les infiltrés et les criminels non fichés et non poursuivis. Par ailleurs ce texte est explicitement de nature pénale et ne comporte aucune référence politique. N’est-ce pas toutes ces raisons qui pourraient justifier à posteriori la déclaration commune de quatre responsables du FIS rapportée par la presse algérienne ces dix derniers jours, confirmée par Ezzaman, un quotidien koweïtien édité à Londres, qui a fait état d’une déclaration attribuée à Abdelkader Hachani selon laquelle le FIS n’a aucun rapport organique avec l’AIS, qu’il n’a jamais appelé à l’usage de la violence et qu’il ne se sent pas concerné par l’accord militaire AIS/ANP ? Ces raisons pourraient également justifier le silence gardé par Ali Belhadj, le vice président du FIS détenu à la prison militaire de Blida, ainsi que le maintien en résidence surveillée de Abassi Madani qui avait pourtant béni l’accord, et fait un appel public de ralliement.

C’est sans doute pour ménager la susceptibilité des dirigeants des différents groupes armés, et au premier chef l’AIS, que le terme « rahma », qui implique un gagnant et un perdant qui demanderait pardon, a été abandonné. Devant les officiers supérieurs de l’armée le président de la République a déclaré, à l’occasion d’une nouvelle promotion de généraux le 5 juillet, « ni vaincus ni vainqueurs ». Mais tout dans le nouveau texte incite à l’inscrire dans le même état d’esprit que celui qui avait donné naissance à la « rahma ». Si ce texte abroge par son article 39 l’ordonnance n° 95-12 du 25 février 1995, portant mesures de clémence, dite loi de la « rahma »., il la ressuscite dans toutes ses dispositions en l’élargissant. Il adoucit les peines pénales et introduit sous certaines conditions des alternatives à la sanction dans certains cas. Le chef du gouvernement avait utilisé d’ailleurs les mêmes termes de la politique sécuritaire lorsqu’il a présenté le projet à l’Assemblée Populaire Nationale (APN – Parlement), le 4 juillet 1999. Le but du projet selon lui est le rétablissement de la sécurité, suivi en cela par le rapporteur de la Commission juridique, administrative et des libertés (CJAL) de l’APN qui en précisa le moyen en utilisant le terme « tawba » (repentir). On passe ainsi du bâton à la carotte.

Les termes TERRORISME, TERRORISTE ET ACTIVITE CRIMINELLE dans le texte contredisent le discours officiel du président de la République disant qu’il allait donner une couverture « juridique et politique » à l’accord qui a servi de base au projet de loi. Les termes choisis par le texte de loi sont donc impropres pour une couverture politique. « ACTIONS ARMEES » et même : « ACTIONS ARMEES DE SUBVERSION » auraient sans doute circonscrit le protagoniste POLITIQUE, et seraient en tout cas plus acceptables sur ce plan. Cette remarque est valable à chaque fois que les termes « actions de terrorisme…  et activité « terroriste » sont utilisés : » (utilisés trois fois aux articles 1, 8 et 13 pour le premier qualificatif, et sept fois aux articles 1, 3, 7, 8, 27, 29 et 38 pour le second). Le quotidien algérien (en arabe) El Youm a rapporté, dans son édition du 4 juillet 1999, que l’émir de l’AIS aurait menacé de reprendre les armes en raison du fait que le projet de loi ne traduisait pas les engagements contenus dans l’accord qu’il avait passé avec l’ANP.

La lecture policière du texte est également autorisée par la référence aux crimes de viol. Cette catégorie d’infraction heurte la nature politique de l’opposition armée qui, si elle peut être conduite à donner la mort à d’autre combattants et assimilés, ne peut justifier ce crime non pas que ce crime soit exclut des crimes de guerre (civile ou étrangère), ou de la subversion politique dans l’absolu, mais il ne cadre ni avec la culture profonde du peuple algérien, ni avec les proclamations de l’AIS (dont voici un exemple lorsqu’elle définit sa lutte), même si des dizaines de policiers ont été jugés de ces crimes3 commis à l’abri de la lutte anti terroriste :

« ce n’est pas un suicide (…), ni une vengeance (…), ni une aventure (…), ni un mouvement anarchiste ». Positivement l’AIS inscrit sa lutte comme étant « l’apogée de l’Islam (…), c’est l’action pour la levée de toute entrave (…), une sincérité dans le combat (…), un traitement humain de l’ennemi, une lutte contre les agresseurs et leurs fantoches (…), une sobriété devant le butin (…). Craignez Allah, car la crainte de Dieu est l’arme des opprimés et l’étendard des croyants ».

Dés lors en ouvrant l’alternative d’une « période probatoire » au cours de laquelle l’intéressé est observé (3 à 10 ans), et si cette observation échoue, ceux qui auraient commis cette catégorie de crime bénéficient de la loi qui leur offre à tous ses avantages, en sus de la possibilité d’un enrôlement pour la lutte contre le « terrorisme résiduel ». C’est la lecture combinée des articles 7 et 8 qui permet de dire que ce type de criminels n’ont qu’un délai de 3 mois pour se déclarer et que l’autorité accepte de ces personnes qu’elles participent à la lutte contre le terrorisme. Cette décision n’est assortie d’aucune condition, c’est l’autorité qui la prend et non la personne qui fait la déclaration. On peut à juste titre élever des protestations que des personnes qui se rendent de viols soient admises à garder les armes au nom de l’Etat de droit, et probablement émarger à son budget.

Le texte de loi prévoit trois régimes distincts :
Celui de l’exonération de poursuites pénales, ouvert lorsque l’infraction commise n’a pas entraîné mort d’homme ou infirmité permanente, et à l’exclusion du viol et de l’usage d’explosifs dans les lieux publics (articles 3 et 4).

  1. Ensuite celui de la probation qui peut durer de trois à dix ans au maximum, ouverte à l’exclusion de ceux qui ont commis des massacres collectifs ou utilisé des explosifs dans les lieux publics (articles 8 ), et à condition que les intéressés en fassent déclaration dans les trois mois. Autrement, un délai de six mois leur est ouvert à l’exclusion de ceux dont les actes ont conduit à mort d’homme, viol ou ont utilisé des explosifs dans les lieux publics (article 7 ).
  2. Enfin celui de l’atténuation des peines. L’échelle des peines du texte de loi est revue à la baisse, et distingue ceux qui ont commis ou participé au massacre collectif, ou à l’usage d’explosifs dans les lieux publics, de toutes les autres infractions (articles 27 à 29 ).

Dés lors l’assassinat commis sans motivation apparente, comme celui qui a visé les sept moines trappistes de Tibérine (Medea, Algérie), est concerné par ce texte alors qu’une partie de la presse internationale a émis des doutes sur son attribution aux GIA4. Le texte de loi prévoit pour ce type de crimes, y compris le massacre collectif et l’usage d’explosifs dans les lieux publics, l’atténuation des peines qui ne peut excéder 20 ans de réclusion lorsque le code pénal prévoit la peine de mort.

Enfin un dernier argument permet de démontrer le caractère purement policier, et donc limité du texte de loi. Ce texte exclut de facto les crimes commis au nom de l’Etat ou avec sa couverture. Les bénéficiaires des mesures de rahma-bis prévues sont définis par leur appartenance à l’une des organisations prévues à l’article 87 bis du code pénal. Faut-il souligner que ce texte ne donne pas une liste des organisations que le régime algérien considère comme étant terroristes ? Cette carence avait fait l’objet de la critique de Middle Est Watch car elle ouvrait la voie à une répression sans limite. La loi israélienne de lutte contre le terrorisme oblige le gouvernement à définir par décret les organisations terroristes.

Or aujourd’hui il s’agit de définir avec précision les organisations de l’article 87 bis 3 du code pénal algérien. Mieux encore il s’agit de savoir comment une personne sensée agir dans la clandestinité, et dans le cloisonnement, commandés par l’activité armée illégale, ferait la preuve de cette appartenance pour bénéficier des mesures. La loi dispose que l’intéressé devra faire une déclaration de foi. Le texte de loi s’adresse aux personnes qui se rendraient individuellement ou en groupe. Et qu’en est-il des militaires qui auraient déserté l’armée, avec ou sans armes, soit pour s’intégrer dans une organisation, soit pour émigrer ? Et dans cette dernière catégorie ceux qui auraient milité à l’étranger pour ce type d’organisation, et peut être aussi pour le FIS, et ceux qui ne l’auront pas fait ni pour les unes ni pour l’autre mais qui auraient été poursuivis comme des victimes des dommages collatéraux de toute guerre ? Il nous semble difficile de répondre. Il faudrait avoir sous les yeux les attendus du texte, avec les visas de son fondement juridique ; ce fondement viserait-il le code de justice militaire ? A priori ce texte en ne faisant aucune référence au droit militaire les exclut implicitement. La proposition faite, le 4 juillet 1999, par la Commission (CJAL) de l’APN d’élargir le champ d’application du texte « à ceux qui sont à l’étranger », par le rajout d’un alinéa à l’article 3 du projet ne résout pas ces questions. Elle n’a d’ailleurs pas été retenue.

Par ailleurs ce texte s’adresse à ceux qui doivent faire une déclaration d’allégeance à l’Etat. Il est tourné vers l’avenir. Les intéressés ont un délai maximum de six mois pour opter. Qu’en est-il alors de l’AIS qui observe une trêve depuis le 1ier octobre 1997 ? Et qu’en est-il d’autres groupes occultes qui s’adonnaient au terrorisme, avec l’assentiment implicite des autorités5, comme OSSRA, OJAL (Organisation Jeunes Algériens Libres) etc. ? L’adjonction d’un article 41 par la CJAL parlementaire, ainsi que l’opacité qui a entouré les tractations avec les différents groupes armés, peuvent répondre à ces questions. Sur demande du gouvernement adressée par télex à cette Commission celle-ci a en effet ajouté au projet initial ce nouvel article qui dispose :

Les dispositions suscitées ne sont pas applicables, sauf en tant que besoin, sur les personnes ayant appartenu à des organisations qui ont volontairement et spontanément décidé de mettre fin aux actes de violence et se sont mises à l’entière disposition de l’Etat.

On remarquera qu’ici le législateur utilise le terme violence au lieu de terrorisme, ce qui renforce que l’article 41 aura été ajouté à l’attention des membres de l’AIS. Les discussions télévisées des parlementaires n’ont pas permis de lever le voile, ni sur l’accord ANP/AIS, ni sur l’aspect politique de ces tractations. C’est sans doute ce qui explique la consigne d’abstention du FFS et du PT (Parti des Travailleurs de Madame Louisa Hanoune) au vote de cette loi.

Ce texte de loi prévoit d’autres mesures qui permettent l’exclusion politique, confirmant à contrario l’aspect strictement sécuritaire du projet.

II

MESURES D’EXCLUSION POLITIQUE

Les articles 5, 11 et 39 du texte prononcent la déchéance des droits de l’article 8-2 du code pénal. La loi donne par ailleurs la possibilité au pouvoir exécutif de prononcer toute une série de mesures d’exclusion politique. Il le fait par le biais d’un Comité dominé par l’exécutif. Disons quelques mots sur ces mesures, sur la proposition de la CJ AL de l’APN, ainsi que sur l’aspect organique du Comité de probation prévu.

Quant aux mesures nous distinguerons celles qui demeurent à la discrétion du Comité de probation qui décide souverainement, sans aucune garantie pour les personnes dont le dossier lui est soumis, des autres mesures prises d’autorité dans le texte et qui auront force de loi.

Les mesures discrétionnaires concernent une catégorie des peines accessoires et des peines complémentaires que les juges ajoutent aux peines principales. Elles concernent aussi des limitations à la liberté. Les peines accessoires sont l’interdiction légale et la dégradation civique. Si le texte ne retient que la seconde catégorie des peines accessoires (article 8 du code pénal) il ouvre par contre la possibilité au Comité – et non la justice – de prononcer toutes les peines complémentaires (article 9 du code pénal), et d’envisager les mesures de contrôle JUDICIAIRE de l’article 125 bis 1 du Code de procédure pénale.

D’abord : Article 8 du code pénal :

La dégradation civique consiste :

  1. Dans la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions publiques et de tous emplois ou offices publics et dans l’interdiction de les exercer ;
  2. Dans la privation du droit d’être électeur ou éligible et, en général de tous les droits civiques et politiques, et du droit de porter toute décoration ;

etc.

La dégradation civique ne s’applique que pendant dix années à compter de la libération du condamné.

Bien entendu la mesure visée à l’alinéa 1ier de l’article 8 n’est pas applicable à ceux qui seront admis dans les milices d’Etat. L’article 12 du texte dispose en effet que :

les individus éligibles au régime de la probation, et qui sont admis à servir l’Etat dans la lutte contre le terrorisme et la subversion sont soumis à un délai maximum de probation de cinq ans et ne seront pas soumis aux mesures prévues à l’article 8 (1°) du Code pénal.

Disposition pratique évidente, on ne peut pas les recruter dans la lutte contre le terrorisme et les empêcher en même temps d’être des fonctionnaires, ou des titulaires d’emplois. La garde communale est un corps de fonctionnaires rétribués sur le budget des collectivités locales.

La CJAL de l’APN, majorité de l’ex président Zerroual mais qui a changé son programme par celui du président Bouteflika, a proposé le 4 juillet 1999 l’application légale automatique de l’alinéa 2 de l’article 8 du code pénal, c’est-à-dire la privation des droits politiques. A titre subsidiaire elle demande que cette application se fasse à partir de la date terminant la phase probatoire. Or dans le projet initial (article 10) cette mesure était laissée à la libre appréciation du Comité de probation. L’APN a adopté la proposition principale de la CJAL.

Ensuite : Article 9 du code pénal :
1- Les peines complémentaires sont :
2- L’assignation à résidence ;
3- L’interdiction de séjour ;
4- L’interdiction d’exercer certains droits ;
5- La confiscation partielle des biens ;
6- La dissolution d’une personne morale ;
7- La publicité de la condamnation.

Enfin : Article 125 bis du code de procédure pénale pour mémoire. Ce texte permet au juge d’instruction d’imposer au prévenu un contrôle judiciaire, que la loi de 1986 (qui l’avait introduit) présentait comme une alternative libérale à la détention préventive.

Par contre une mesure comme l’assignation à résidence est prévue ici en dehors du droit commun, puisqu’elle est prononcée sans limite de durée, par le procureur général et non plus par une juridiction pénale où les droits de la défense sont garantis. En effet l’article 30 qualifie l’assignation à résidence de provisoire, mais il n’en fixe aucune limite dans le temps. Il faut savoir également que ce texte s’inscrit dans la perspective de circonstance exceptionnelle constituée par l’état d’urgence. Sans le dire, le texte exclut le pouvoir judiciaire habilité à la prononcer selon la Constitution et les codes pénal et de procédure pénale, c’est-à-dire des juges devant lesquels la personne concernée a droit à l’exercice de ses droits de défense. Le texte exclut la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. Le décret instituant l’urgence avait donné compétence au ministre de l’intérieur de la prononcer (EXECUTIF), alors que rien ne le permet, ni dans les différentes constitutions algériennes, ni dans les lois. D’ailleurs le texte ne dispose pas dans son article 31 que cette mesure exécutoire d’office, doit l’être sous réserve des voies de recours prévues par la loi.

Les mesures législatives quant à elles sont nombreuses. Citons successivement les dispositions suivantes :

Article 5 : Nonobstant toutes les dispositions contraires aux dispositions de la présente loi, les bénéficiaires des articles 3 et 4 suscités sont déchus, dans tous les cas, des droits prévus par l’article 8-2 du code pénal pour une période de dix ans à compter de la date de la décision de l’exonération des poursuites.

Article 11 : Nonobstant toutes dispositions contraires, il résulte de la mise sous probation de plein droit la déchéance des droits prévus par l’article 8-2 du code pénal. Etc.

Article 39 : Nonobstant toute disposition contraire, les bénéficiaires des dispositions des articles 36, 37 et 38 ci-dessus sont déchus, dans tous les cas, des droits prévus par l’article 8-2 du code pénal pour une durée de dix ans à compter de la date de leur admission à bénéficier des mesures prévues par la présente loi.

D’autre part, l’article 18 de cette loi heurte un principe substantiel du droit pénal algérien, selon lequel, la prescription de l’action pénale court à partir de la date de commission des faits. Or le texte proposé dispose que ce délai court à partir du jour où la révocation de la probation a été prononcée, c’est-à-dire de la date d’une décision de nature administrative laissée à l’appréciation du seul pouvoir exécutif. C’est une remise en cause d’une règle de paix publique admise par toutes les législations modernes, et par la Constitution algérienne et les codes du pays. A moins que le texte voulait dire que la décision portant admission de la probation suspend le cours de la prescription. La prescription des infractions commence toujours depuis la commission des faits qui justifient la poursuite pénale.

Par ailleurs plusieurs dispositions de cette loi portent atteinte aux droits de la défense que la Constitution algérienne range parmi les droits fondamentaux de la personne humaine. D’abord le délai de dix jours prévu à l’article 21 accordé à celui qui fait appel des décisions du Comité, devant le Comité élargi est manifestement insuffisant. Pour statuer comme juridiction administrative d’appel, le Comité élargi doit permettre à l’intéressé de constituer un défenseur, et à ce dernier du temps pour consulter le dossier et exercer des droits garantis par la Constitution. Ensuite l’absence d’un droit de demande ou d’action accordé à l’intéressé tendant à l’extinction prématurée de la probation. Ce droit est prévu exclusivement et unilatéralement au bénéfice du délégué à la probation que le Comité de wilaya va designer selon l’article 14 du texte.

Quant au Comité chargé de mettre en pratique cette loi de rahma dite « concorde civile », c’est l’article 15 qui en fixe les membres. Ce comité ne représente que l’exécutif, et particulièrement les services de sécurité militaire et de police, c’est-à-dire les services répressifs comme pour confirmer la nature policière de la concorde envisagée, ceci si l’on excepte le bâtonnier de l’ordre des avocats dont la présence formelle et minoritaire n’assure aucune garantie sérieuse.

Article 14 : Le comité de probation est composé :
– du procureur général territorialement compétent, président ;
– du représentant du ministre de la Défense nationale ;
– du représentant du ministre de l’Intérieur ;
– du commandant de regroupement de gendarmerie nationale de wilaya ;
– du chef de sûreté de wilaya ;
– du bâtonnier ou de son représentant habilité.

Ces comités peuvent être désignés au niveau de chacune des wilayate du pays (préfectures) selon l’article 14 du texte, avec une compétence territoriale qui s’exercera sur ces circonscriptions administratives. Mais toute la procédure sera fixée par le gouvernement par voie réglementaire, alors que la Constitution proclame que les lois pénales et de procédure pénale sont du ressort exclusif du pouvoir législatif.

Article 16 : Les modalités de saisine du comité de probation et ses règles de fonctionnement seront déterminées, en tant que de besoin, par voie réglementaire.

Le texte de loi viole d’une part le principe de séparation des pouvoirs prévu par la Constitution et, d’autre part, la représentation de la société civile et surtout celle des défenseurs des droits de l’homme. Il aurait été plus judicieux de remplacer le procureur général par le président du tribunal du siège de la cour de justice au niveau de la wilaya, le procureur général ne serait alors que le secrétaire du comité dont il devra exécuter les décisions. Sera ainsi préservé également le principe de séparation de l’organe qui décide et l’organe qui exécute (conformément à l’article 17 de ce texte). Quant à la présence d’une entité représentative des droits de l’homme, et en même temps de la société civile, il aurait fallu ajouter le représentant de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH) et celui de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) pour compléter la composition du Comité, tout en évitant l’ONDH qui dépend de l’exécutif. Malheureusement l’exécutif propose et le législatif entérine.

D’autre part ce Comité est présidé de droit par le procureur général qui est une émanation du pouvoir exécutif, puisque hiérarchiquement soumis au ministre de la justice, et auquel il doit obéir et non à la loi comme les juges du siège. Dés lors pour n’avoir pas confié la présidence du Comité probatoire au président du tribunal du siège de la Cour d’appel, et pour constituer l’instance d’appel contre les décisions du Comité n’avoir pas élargi le Comité au président de la Cour, l’exécutif démontre le peu de crédit qu’il accorde aux juges algeriens. Le Sénat, deuxième chambre du Parlement, ne va pas bouleverser le texte. Aux termes de la Constitution (article 120, alinéas 3 à 6) ce Conseil délibère sur le texte voté à l’APN et l’adopte à la majorité des trois quart, en cas de désaccord un compromis est proposé par le gouvernement, mais si le désaccord persiste le texte est retiré. Nous ne pensons pas qu’il ne sera pas adopté, car ce qui prime c’est le plan de l’exécutif qui veut contrôler toute cette opération, tant dans sa conception que dans son application, sans égard aux considérations constitutionnelles qui attribuent au seul pouvoir judiciaire le droit de juger.

L’IMPUNITE DES CRIMES UNIVERSELS

A la lecture de certaines dispositions de ce texte de loi on peut se demander si les auteurs de crimes universels peuvent également bénéficier de réductions de peines, ou même être absous de toute poursuite et sanction. Le texte de loi parle en effet de « massacres collectifs » et d’utilisation de moyens de destruction comme les « explosifs en des lieux publics ou fréquentés par le public ». Si par la notion de massacres collectifs sont compris également les massacres visant la population civile, cette notion serait inacceptable en droit. D’autre part le texte de loi reste muet sur les crimes de torture systématique qui se comptent par dizaines de milliers, d’enlèvements à grande échelle suivis de disparitions puisque dépassant les trois milles cas recensés, de déportations sans jugement, de jugements inéquitables rendus tant par des juridictions militaires que civiles de droit commun ou exceptionnelles etc. Ces faits que même des personnalités politiques présentes au Parlement actuel confirment6, font pourtant l’objet, tout comme le massacre de la population civile, de conventions internationales, pactes et traités auxquels l’Algérie est partie. Il serait sans doute intéressant d’examiner le rapport entre le droit international pénal auquel l’Algérie a adhéré et ce texte de loi, ainsi que la question de savoir si cette loi est susceptible de laver les auteurs de crimes universels de toute poursuite et sanction.

C’est le droit algérien qui répond clairement à ces questions. D’après l’article 132 de la Constitution de novembre 1996, qui reprend ici la solution de la Constitution de février 1989 (article 123), les traités internationaux dûment conclus et ratifiés sont supérieure à la loi interne. Dans le deuxième rapport périodique déposé le 18 mai 1998 auprès du Comité international des droits de l’homme, le gouvernement algérien affirme que par une décision du 20 août 1989, rendue à propos du code électoral, le Conseil constitutionnel a confirmé la primauté des traités internationaux ratifiés sur la loi interne, en ces termes :« après sa ratification et dés sa publication, toute convention s’intègre dans le droit national, et (…) acquiert une autorité supérieure à celle des lois, autorisant tout citoyen algérien à s’en prévaloir auprès des juridictions »7. Tous les organes de l’Etat sont chargés de mettre en ouvre celle règle. Cette hiérarchie des normes permet d’écarter devant le juge tout texte de loi non conforme aux dispositions internationales officiellement adoptées. Le pouvoir exécutif est tenu de s’y conformer, tout comme le juge algérien. Dés lors la Convention relative au génocide ratifiée par l’Algérie en 1963, les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 portant sur le droit de la guerre, ainsi que les Protocoles I et II y relatifs, et enfin de nombreuses conventions, traités, et protocoles internationaux portant sur les droits de l’homme sont pleinement applicables et ne sauraient être concurrencés, ou contredits, par la loi dite de concorde civile, ni par aucune autre loi interne qui tenterait d’exonérer les auteurs de crimes que la conscience universelle réprouve.

L’espace qui nous est accordé ne nous permet pas d’aborder les crimes contre l’humanité et le génocide. Quant aux crimes de guerre des auteurs de droit international pénal ont soutenu que les Conventions ne s’appliqueraient pas dans le cas de conflits armés internes8 En fait nul ne conteste l’existence d’un conflit armé interne, pas même l’Etat algérien qui a négocié par ANP interposée avec l’AIS. En droit cette opinion réductrice du crime de guerre est minoritaire car ce n’est pas ce qui résulte des textes internationaux, de la majorité des travaux de la doctrine, ainsi que de la jurisprudence de droit international.

Le caractère solidaire et indivisible des infractions prévues pour la protection des victimes de la guerre résulte de leur intitulé. Les infractions prévues à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève relatif aux infractions dans les conflits armés internes, et que le Protocole additionnel II développe, sont fondamentalement identiques aux crimes dits graves dans le conflit armé international. Ces infractions sont identiques, par exemple, à celles des articles 50, 51, 130 et 147, respectivement des 1iere, 2eme, 3eme et 4eme Convention de Genève. D’ailleurs l’article 147 de la quatrième convention, qui définit les infractions dites graves, figure à la section I relative aux « dispositions générales » du Titre IV, intitulé « Exécution de la Convention ». Or ce titre et ces dispositions générales couvrent l’ensemble des incriminations de la Convention y compris celles de l’article 3, donc aux faits qui y sont décrits, repris et développés par le Protocole II réservé aux conflits armés internes.

Le statut de la nouvelle Cour Criminelle Internationale (CCI) désigne comme graves et de crimes de guerre, entre autres, : « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture (…) les traitements humiliants et dégradants », lorsqu’ils sont commis dans un conflit armé ne présentant pas un caractère international. Ce Statut prévoit en son article 8, [5 quater], sa compétence pour connaître des crimes de guerre :« lorsque ceux-ci s’inscrivent dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou font partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle ». Dans ce cadre, selon le même article paragraphe 2 alinéa c[C], sont définis comme étant des crimes de guerre, en cas de conflit armé internes : les violations graves de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, à savoir l’un quelconque des actes ci-après, commis à l’encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou pour toute autre cause : i [a)] Les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture. Ce texte ajoute au même paragraphe, alinéa e) [D], les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international, par exemple, le fait de diriger des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités ; ou encore le fait de déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier. On remarque que dans ces textes les infractions sont qualifiées de graves. Enfin, en vertu de l’article 10 [Y] du Statut, aucune disposition ne doit être interprétée comme : « limitant des règles du droit international existantes ou en formation ou leur portant atteinte d’une façon quelconque à des fins autres que celles du présent Statut ». Ces textes, les derniers en date, permettent de réfuter toute réserve quant à l’application du droit international pénal aux crimes commis dans les conflits armés internes.

Outre les instruments internationaux, la doctrine dominante, en tant que source secondaire du droit, puisqu’elle est constituée par les opinions publiées des personnes dont les travaux ont pour fonction d’étudier et d’interpréter le droit, se prononce depuis 1992 pour cette extension. Cette orientation a été consacrée dans les Statuts des tribunaux créés ad hoc pour l’ex Yougoslavie et le Rwanda.

La jurisprudence de la Cour Internationale de Justice (CIJ) a confirmé que les obligations de prévention et de répression reposent sur les Etats en vertu des conventions de Genève, que le conflit armé soit interne ou international, adoptant ici les mêmes règles que celles observées pour le crime contre l’humanité. Dans l’affaire Tadic, la chambre d’appel du tribunal international pour l’ex Yougoslavie a retenu dans son arrêt du 2 octobre 1995 sa compétence pour juger les actes incriminés indépendamment de la nature interne ou internationale du conflit.

La Convention internationale sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité entrée en vigueur le 11 novembre 1970 permet de dire que le texte de loi algérien n’aura aucun effet lorsque les victimes de ces crimes décideront d’agir en justice. Certains pouvant même soutenir l’existence du crime de génocide, qui est un crime contre l’humanité aggravé.

CONCLUSION

Le président algérien Monsieur Abdelaziz Bouteflika avait récemment déclaré au forum de Crans Montana (Suisse) qu’il allait prendre une mesure pour frapper les esprits. L’exploitation médiatique de ce texte de loi n’a pas manqué de le faire, sans toutefois que le contenu du texte n’exprime une politique autre que celle sécuritaire de ses prédécesseurs. Mais monsieur le président n’a sans aucun doute rien à se reprocher. L’accord AIS-DRS (ANP) date de 1997 et sa traduction dans ce texte a eu le temps de mûrir bien avant son élection. Les insuffisances politiques du texte de loi de concorde civile ont peut-être une autre explication, que celle que l’on peut tirer de la contradiction apparente entre le discours politique, qui l’a accompagné, et le contenu du dit texte. Celui-ci formule son objectif à l’article premier comme une profession de foi, sans aucune conséquence politique concrète, puisque la qualification du cocontractant de « terroriste » subsiste : La présente loi s’inscrit dans le cadre du grand dessein de rétablissement de la concorde civile et a pour objet d’instituer des mesures particulières en vue de dégager des issues appropriées aux personnes impliquées dans des actions de terrorisme et de subversion qui expriment leur volonté de cesser, en toute conscience, leurs activités criminelles en leur donnant l’opportunité de concrétiser cette aspiration sur la voie d’une réinsertion civile au sein de la société.

A preuve encore ces autres contradictions : Monsieur le président de la République en reconnaissant que l’arrêt du processus démocratique par les armes et les moyens de l’Etat fut un délit, a rendu hommage appuyé aux délictueux, cependant son texte de loi continue de traiter les victimes qui s’étaient opposés à ce délit de lèse – nation de terroristes. Ceux qui ont suivi la prestation du président algérien à Crans Montana n’ont pas manqué de noter la virulence de ses propos à l’égard de la politique française vis-à-vis de l’Algérie, qui refuse une souveraineté limitée. Or sur Europe 1 , le 8 juillet 1999, il sollicite la France et lui demande de s’ingérer dans les affaires internes pour la mise en ouvre de la politique officielle. Il demande que celle-ci « puisse apporter son soutien pour m’aider à régler les problèmes de la paix, ou la sécurité DANS MON PAYS ».

La lecture objective des dispositions pratiques du texte de loi ne nous montre donc que l’aspect policier de l’objectif. C’est la loi de la rahma, sans doute plus large, puisque les auteurs d’actes mineurs sont pardonnés, mais néanmoins une rahma formulée autrement, pour ne pas blesser l’amour propre de combattants, persuadés sans doute qu’ils ont pris les armes pour la bonne cause, et confortés d’ailleurs par le commentaire verbal des plus hautes autorités du pays. Mais dans un Etat de droit l’écrit l’emporte sur l’envolée lyrique.

L’intitulé renseigne formellement que le problème sécuritaire se situe aux yeux des gouvernants DANS la société qui a besoin de concorde, et non entre le pouvoir et le peuple. Autrement la loi porterait sur la concorde « nationale », ou la « réconciliation nationale. C’est pourquoi nous croyons quant à nous, qu’outre l’objectif sécuritaire, les buts ultimes mais implicites de la loi de concorde civile sont multiples. Citons-en trois des plus importants :

D’abord celui de noyer toute considération politique en mélangeant les genres par l’ouverture de la possibilité de la réduction de peine aux terroristes de tous bords, y compris à ceux OSSRA, OJAL et même de Hijra wa takfir qui avaient combattu de tout temps le FIS pour son choix légaliste, ce parti s’était rendu impie à leurs yeux par son acceptation de se soumettre aux lois positives. D’autres associations de malfaiteurs vont se fondre dans la nature, comme les individus et groupes qui utilisaient les armes pour de l’argent dont la presse locale a fait état, ou comme les nombreux escadrons de la mort et autres groupes occultes utilisés pour des causes obscures ; le quotidien L’Authentique appartenant au général Betchine avait dénoncé le 5 septembre 1998, sans avoir été démenti, la création de 300 escadrons de la mort par l’ancien ministre de l’intérieur, le général Larbi Belkheir, qui a soutenu la candidature de l’actuel président. Par cette loi donc le régime contourne l’exigence d’une solution réellement politique, qui serait convenue par un large congrès national de la paix, regroupant également le FIS. Cette loi permet le maintien au pouvoir des décideurs, comme les a désignés feu le président Boudiaf.

Ensuite les mobiles de cette loi résultent de l’exigence de stabilité nécessaire au capital et à la mondialisation qui frappe aux frontières, ainsi que de la contrainte interne exprimée par la position au rouge de tous les indicateurs sociaux et économiques pour la décennie à venir. L’Algérie ne peut se payer la continuation d’une politique sécuritaire et éradicatrice ruineuses sur tous les plans, génératrice d’embargos multiples. Il lui fallait développer un discours « pacifiste » crédible, quitte a moduler les sanctions pénales réservées à l’adversaire politique irreductible, et liberer 2300 prisonniers en fin de peine.

Enfin et SURTOUT, il faudrait sans doute rappeler l’extraordinaire pression des ONG qui a pesé sur les gouvernants, réels et apparents, lorsque les massacres de la population civile avaient atteint leur plus haut degré d’horreur, faisant sortir le Secrétaire général des Nations Unies, monsieur Kofi Anan, de son mutisme pour déclarer que nous ne permettrons pas que la population civile continue de se faire massacrer dans le silence. A l’époque Pinochet se faisait juger, et il était et reste poursuivi partout dans le monde. Il n’était pas le premier responsable politique ou militaire à devoir rendre compte de ses crimes nonobstant les « immunités ». C’est que l’ambiance créée par l’exigence de commissions internationales d’enquête sur les massacres, la torture et les disparitions forcées commises en Algérie se précisait, malgré l’objection des gouvernants algériens tirée de l’argument de souveraineté. Madame Robinson Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme avait eu quant à elle des mots plus durs et plus menaçants lorsqu’elle affirma que les droits de l’homme n’ont pas de frontières. Ce texte de loi vise essentiellement donc à faire oublier les crimes universels et, tout en ménageant l’image du régime à l’extérieur des frontières, à faire taire les voix qui réclament justice aux véritables auteurs de crimes universels. Subsidiairement le régime vise la paix par des mesures purement pénales, c’est-à-dire à réaliser une concorde civile ET NON POLITIQUE. Lors de la présentation du projet de loi devant l’APN le chef de gouvernement avait déclaré : « hormis le peuple algérien, personne ne demandera des comptes aux responsables du pays, y compris les ONG friandes des comptabilités macabres ».

C’est pourquoi le texte de loi qui n’exclut pas de façon explicite de son domaine d’application les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, se fixe sur son adversaire qu’il qualifie depuis sept ans de terroriste. L’usage du terme « massacres collectifs » englobe les opérations purement militaires des deux, ou plusieurs, bords, mais également le massacre inacceptable de la population civile. Cette explication des mobiles réels du texte est confortée par une preuve indirecte. Pourquoi en effet le régime algérien n’a jamais pris les mesures législatives permettant d’introduire les dispositions du droit international dans le code pénal interne, pour punir les crimes universels ? Alors surtout qu’il se serait conformé à ses propres engagements internationaux pris au nom de l’Etat ; certains de ces engagements datent de 1963 lorsqu’il a adhéré à la Convention relative au génocide.

En étant optimiste la paix des armes peut résulter du discours politique, de mesures policières, ainsi que d’autres mesures d’apaisement. Mais la paix politique, celle des coeurs et des esprits, n’aura droit de cité dans le pays que si la politique est restituée à la société, et si elle s’exerce dans un cadre moral et selon des règles transparentes respectées par tous. Le contrat social est donc à refaire sur une seule base : La société seule a le droit exclusif de choisir ses gouvernants, sa morale et ses règles, sans tuteurs civils ou militaires. Le peuple est le titulaire EXCLUSIF de la souveraineté selon toutes les constitutions algériennes. Le discours propagandiste peut seulement faire illusion, donner à la limite une crédibilité, mais celle-ci restera temporaire.

En attendant ce jour béni de paix dans tous ses attributs, les victimes des crimes universels auront toujours le droit, nonobstant la loi de concorde civile, ou toute amnistie, de poursuivre les auteurs des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide, partout dans le monde où l’auteur et le complice quels qu’ils soient risqueront de s’y rendre. Aucune considération aujourd’hui n’est à même de s’opposer à ce droit élémentaire de justice, pas même l’immunité d’un chef d’Etat.

La fin de ce siècle est celui de la fin de la souveraineté absolue des Etats. Tous les Pinochets de la terre devront y réfléchir, ainsi que leurs coauteurs et complices. Tous les Etats liés par les conventions internationales sont tenus par leurs obligations internationales dont l’une, dite principe de compétence universelle, leur fait obligation d’extrader ce genre de criminels ou de les juger. A moins d’établir que les considérations et les moyens de nature politique ou diplomatiques sont plus appropriés ; la preuve de l’efficacité de ces moyens leur incombe. Sinon les Etats se sont juridiquement engagés pour l’usage de moyens exclusivement judiciaires. Or les crimes universels sont imprescriptibles, et l’histoire jugera.

RENVOIS

1 Le quotidien algérien Le Matin du 24 février 1999, par exemple, rapporte le cas du groupe Benkertab Mohamed, garde communal de son état, recruté dans le cadre de la lutte anti terroriste, avec des complices membres des GLD, qui auraient commis ensemble plusieurs crimes attribués aux terroriste islamistes. Bien avant cette date le journal français Libération du 15 avril 1998 titrait déjà « la dérive sanglante des milices en Algérie ».Il ne faut pas croire qu’il s’agit de cas isolés, ou nouveaux. Par exemple le quotidien El Khabar (en arabe) rapporte dans son édition du 7 juillet 1999 le jugement par le tribunal criminel de Skikda d’un groupe de 30 personnes, composé de membres des GLD et de gardes communaux, qui se faisaient passer pour un groupe islamiste, coupable de plusieurs viols, meurtres et vols qualifiés. Les faits remonteraient à 1993.

2 Les massacres de Relizane et Jdiouia par les hommes cagoulés des GLD (milices) sous la direction des maires du parti RND au pouvoir El Haj Fergane et El Haj Abed auraient fait une centaine de morts. Le quotidien algérois Liberté du 24 février 1999 rapporte la découverte de deux charniers de 17 et 62 cadavres victimes de ces milices.

3 L’Agence France Presse rapporte dans une dépêche du 19 avril 1998, et sur la base d’une « source proche du ministère de la justice », des informations sur des « dépassements », dont se seraient rendus coupables beaucoup de policiers, 128 accusés d’abus et 120 policiers détenus à Serkaji pour viols, agressions, corruption et abus de pouvoir. L’AFP précise pour l’image qu’un seul policier s’était rendu coupable à lui seul de huit agressions de femmes suivies de viols à Alger.

4 Le Monde des 7 et 8 juin 1998 émet des doutes sérieux sur l’attribution de ce crime aux GIA, et à tout le moins écrit que leur responsabilité n’est pas unique puisque les « services » seraient impliqués.

5 Pierre Vidal-Naquet écrit : « les exécutions [les] plus nombreuses [sont celles] auxquelles procèdent des organisations clandestines très semblables aux escadrons de la mort brésiliens, et qui agissent sous le sigle OJAL (…) ou OSSRA (…) Tout cela, disent les tracts officieux que diffusent ces groupes, pour « appliquer la loi du talion aux terroristes et à ceux qui les soutiennent«  ». P. Vidal-Naquet, chronique, Libération, 4 août 1994.

Selon un témoignage publié sur « Le Livre blanc sur la répression en Algérie 1991-1994 », édition Hoggar, tome 1, 1995, p. 78, 173 citoyens désarmés sont assassinés le 4 mai 1994 dans Ténes et sa région (Wilaya de Chlef). A la suite d’un ratissage effectué par les forces spéciales, 3 bataillons avec 5 hélicoptères, des maisons sont dynamitées, par exemple celle de la famille Bouchareb située à Ténes-ville. Dans la nuit du 28 au vendredi 29 avril 1994, des arrestations massives sont opérées dans les domiciles de la région, par des civils portant barbe et kachabias (tenue en laine épaisse portée par les montagnards). Le lendemain matin, après le couvre-feu, les habitants constatent que les murs de la ville de Tenes étaient couverts d’affiches et de communiqués, signés par l’Organisation de la Jeunesse Algérienne Libre (OJAL), y compris sur les murs du lycée et de la cité d’habitation faisant face à la caserne de l’armée. Ces communiqués menaçaient de mort « tous ceux qui aident les terroristes, même avec une goutte d’eau ». Le 4 mai, les villageois de la région sont alertés par le départ des forces spéciales, et , en même temps, par la ronde des vautours qui tournoyaient au dessus des bois avoisinants. Les recherches ont abouti à la découverte de plusieurs charniers, composés chacun de quinze à vingt corps, ligotés au fil de fer et carbonisés ; d’autre corps, le visage méconnaissable en raison des brûlures, jetés à partir des hélicoptères, ont été descendus des cimes des arbres. La localité de Taougrit fut la plus éprouvée, suivie de El-Marsa, Ouled Boudoua, Sidi Moussa, Tenes-ville. Les 65 victimes de Taougrit avaient été arrêtées le vendredi 29 avril, à leur sortie de la prière commune dans la mosquée du village, par les forces spéciales.

6 Louisa Hanoune, présidente du parti des travailleurs (PT) et député, le confirme au quotidien algérien El Watan du 22 juin 1998 ; selon elle les violences commises par les services du pouvoir sont massives et prouvées.

7 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/101/Add.1 – 18 mai 1998 -State Party Report, Algéria

8 D. Schindler, « Different Types of Armed Conflicts », p. 150. Cet auteur soutient que des règles différentes s’appliquent selon que l’on est en présence d’un conflit armé interne ou international. Cependant dans plusieurs situations enchevêtrées il est difficile d’opérer une distinction nette entre ces conflits. Les parties à ce conflit pouvant d’ailleurs soutenir chacun une position inverse. La récente guerre menée par l’OTAN contre le régime yougoslave est internationale, mais pas pour tout le monde, l’UCK soutient qu’il s’agit d’une guerre d’indépendance et le régime yougoslave qu’il s’agit d’une opération de police interne, dans laquelle l’OTAN se serait immiscé. Lors de la guerre d’indépendance algérienne la France officielle ne la qualifiait pas de guerre mais d’affaire interne, etc.

 

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