L’Algérie reste sous influence militaire

Bouteflika annonce un train de promotions à l’armée

L’Algérie reste sous influence militaire

Baudouin Loos, Le soir de Bruxelles, 29 février 2000

Abdelaziz Bouteflika le dit et le répète depuis qu’il est devenu président de la république algérienne en 1999: il est aussi le chef suprême de l’armée. Devant les allégations de la presse européenne pour qui il demeure l’otage des militaires qui l’ont fait roi, «Boutef» rugit sa vérité: « Oui, c’est moi qui nomme les chefs de l’armée. Et c’est moi qui les dégomme! », a-t-il assené en janvier sur une télévision française. Le dernier train de nominations et de mises à la retraite qui concerne le sommet de la hiérarchie, annoncé jeudi, a pourtant surpris par le soin apporté au texte du communiqué. Emanant du palais présidentiel, il commence par ces mots: « Monsieur le président de la république, chef suprême des forces armées, ministre de la Défense nationale, a procédé aux désignations suivantes », etc.

Le «raïs» aurait-il maté les militaires? Cette question ferait sourire tout observateur averti de la scène politique algérienne. L’armée n’a jamais cessé, depuis l’indépendance, d’incarner le pouvoir. Elle a fait et défait les présidents. Le cas échéant, elle a assumé le «sale boulot». Khaled Nezzar, général retraité et ex-ministre de la Défense, vient ainsi de raconter dans ses mémoires, comment « les autorités militaires du pays » décidèrent (pour, argumente-t-il, « assurer la survie du processus démocratique »…) d’annuler les élections qui allaient voir les islamistes s’emparer du pouvoir en 1992.

Les nombreux changements de la hiérarchie militaire annoncés jeudi ne paraissent du reste pas bouleverser l’échiquier complexe du régime algérien. Il s’agirait d’un rajeunissement prévu des cadres, d’une ouverture vers la professionnalisation de l’armée, et aussi d’une «dézéroualisation», du nom du précédent président, le général Zéroual, dont on aurait pensionné les proches, dans le même esprit que des «déboumedienisation» et «déchadlisation» avaient suivi la fin de règne des présidents Boumediene (1978) et Chadli (1992). Certains journaux algériens constatent aussi la promotion d’éléments qui ont fait leur preuve sur le terrain dans la lutte anti-islamiste. « Ces changements, écrit «Le Matin», interviennent quelques semaines après la sortie publique du général Lamari promettant une lutte implacable contre les groupes terroristes ». Des terroristes toujours actifs: hier, vingt personnes ont encore été tuées dans un massacre à 400 km au sud-ouest d’Alger.

 

L’EMPREINTE DES HOMMES FORTS

En tout cas, l’ensemble de nos confrères algériens remarquent que les trois principaux personnages de l’Armée nationale populaire restent en place, à savoir Mohamed Lamari, chef d’état-major, Mohamed «Touffik» Mediene, directeur du Département recherches et sécurité (renseignements militaires) et Smaïl Lamari, patron du contre-espionnage, détenteurs du vrai pouvoir, celui d’influence. Pour le Mouvement des officiers algériens libres (Maol), une organisation clandestine d’officiers exilés, « le maintien des premiers responsables du drame algérien à leurs postes et la promotion de leurs sbires est la preuve que Bouteflika est loin du centre réel du pouvoir. (…) Cette consécration vient officialiser le partage du butin de guerre et l’octroi d’une immunité contre toute poursuite judiciaire future. »

Plus sobrement, le quotidien «El Watan» conseille ses lecteurs: « Il serait faux de penser que ce mouvement ait été inspiré par Bouteflika seul dans son bureau capitonné. Comme tout mouvement du genre, il porte fatalement l’empreinte des hommes forts du pouvoir » (…). Des hommes forts dont on sait que certains appartiennent à la catégorie des retraités. Les noms de Khaled Nezzar ou Larbi Belkheir circulent. D’autres, plus discrets, prospèrent aussi dans l’ombre de retraites dorées. Car, comme l’observait encore dimanche «El Watan», non sans courage, « c’est dans le domaine économique que la réputation des généraux à la retraite est la moins reluisante. Cette image, ils la doivent à ceux d’entre eux qui sont devenus riches à milliards très rapidement, quelques années seulement après leur mise à la retraite ».

Doit-on lier ce pouvoir politique et économique occulte de l’armée et de certains de ses clans à la carence de Bouteflika dans le traitement des maux algériens qu’il avait lui-même identifiés comme procédant avant tout de la corruption? Jusqu’à preuve du contraire, la réponse paraît bien devoir être positive.

© Le Soir

 

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