Le FIS et le drame Algérien

Le FIS et le drame algérien 

Mourad Dhina

Front Islamique du Salut

Colloque  » Les dimensions réelles de la crise algérienne « 

Genève 21-22 juin 2000

« Certes Allah vous recommande de rendre ce qui est dû à autrui, et quand vous jugez entre des gens, de juger avec équité. »

(Saint Coran 4 :59)

I. Qu’est ce que le FIS ?

Il ne fait aucun doute que le  » phénomène FIS  » ne laisse personne indifférent sur les scènes algérienne et internationale. Beaucoup a été dit et écrit à son sujet. Il n’est pas dans mon intention ici d’en faire l’historique mais plutôt d’expliquer en des termes et concepts simples la nature réelle du Front Islamique du Salut.

Le FIS n’est certainement pas un mouvement religieux dans le sens qu’on donne, en Occident, à ce qualificatif. Il est l’expression de l’éveil de la société (ou tout au moins d’une grande partie de celle-ci) sur la nécessité de mettre en pratique et redonner vie à des valeurs essentielles dont elle s’est, par conjugaison d’événements historiques divers, éloignée. La foi musulmane et ce qu’elle implique comme soif de justice, d’unité, de solidarité et de moralité sont les piliers de ce nécessaire besoin de ressourcement. Dans ce contexte précis, le FIS se définit comme étant un vecteur, à connotation politique, de cet éveil.

Le FIS ne peut pas être réduit à un simple mouvement de contestation contre la tyrannie d’un pouvoir ou contre la  » hogra « . En effet, ceci n’expliquerait pas pourquoi d’autres mouvements et partis qui n’ont cessé de faire de ce slogan leur cheval de bataille n’ont pu mobiliser autour d’eux qu’un nombre infime de sympathisants. Toujours est-il que le FIS appuie et assume pleinement cette contestation.

Le FIS n’est pas non plus un simple ramassis d’exclus et de va nu-pieds. Il a été le seul parti en Algérie à présenter des candidats dans toutes les circonscriptions électorales, en décembre 1991 ; la quasi-totalité d’entre eux étaient des diplômés de l’université, ce qui n’empêche nullement le FIS de se réclamer avec force et honneur des couches les plus défavorisées de la société. Cette position que certains ont tenté d’utiliser pour le discréditer ne le dégrade pas. Bien au contraire, elle s’inscrit dans son propre cadre spirituel : les tyrans et mécréants qui se sont opposés à Noé ne lui ont-ils pas dit :  » Nous voyons que ce sont seulement les vils parmi nous qui te suivent sans réfléchir  » (Saint Coran 11 :27) ?

Ce qui a fait que le FIS mobilise la société se résume en quelques points :

* Il s’est d’emblée déclaré clairement sur ses principes ;

* Sur la base de ces principes, il s’est activement rapproché de toutes les couches de la société ;

* Il s’est adressé sans la moindre complaisance aux véritables problèmes du pays, se définissant comme opposition réelle, crédible et porteuse d’espoir ;

* Le charisme, la conviction et l’abnégation de ses leaders historiques.

Le FIS a été le seul parti à assumer les conséquences de son opposition réelle à ce qu’il a toujours décrit comme le principal mal de l’Algérie : la mainmise d’une hiérarchie militaire sur le peuple. Le FIS a consenti un sacrifice très lourd pour cette prise de position. Ce sacrifice lui garantit sa place de pionnier le projet d’édification d’une Algérie musulmane, moderne et juste, un projet civilisationnel qui ne pourra pas se faire sans le FIS.

I.1 Bases principielles de la ligne politique du FIS

Je me contenterai ici de paraphraser ces bases telles qu’elles ont été citées dans le document  » Manifeste du Front Islamique du Salut pour la Justice et la Paix en Algérie « , qui peut être consulté sur le site Internet www.ccfis.org.

* Le droit du peuple à élire librement les institutions auxquelles il délègue le pouvoir, et les hommes et les femmes qui le représentent et gouvernent. Il est la seule source de légitimité et le seul à pouvoir remettre en cause les institutions et destituer les élus ;

* Le respect et la promotion de la dignité humaine et des droits fondamentaux de la personne ;

* La garantie des libertés fondamentales, individuelles et collectives, dans le cadre de la constitution ;

* Le droit du peuple algérien à établir un État indépendant dans le cadre des principes de l’Islam (1);

* Le droit du peuple à défendre ses choix politiques, ses institutions et représentants élus ;

* Le droit du peuple à la justice sociale qui garantit aux citoyens une vie digne et décente ;

* Le droit des citoyens algériens, et des femmes algériennes en particulier, à l’émancipation sociale et intellectuelle et à l’épanouissement dans le cadre sain des valeurs de l’Islam ;

* La promotion et la revivification des éléments constitutifs de la personnalité algérienne à savoir l’Islam, ainsi que l’arabité et l’amazighité, sans exclusion ni marginalisation ;

* Le droit algérien doit être d’abord et avant tout l’émanation des éléments constitutifs de la personnalité algérienne cités précédemment ;

* Le rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir ;

* Le respect de l’alternance politique et la consécration du multipartisme dans le cadre de la constitution ;

* La non-implication de l’institution militaire dans les affaires politiques et le retour de l’armée à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde de l’unité et de l’intégrité du territoire national et la défense contre les menaces et les adversaires externes ;

* L’institution militaire ne peut recourir à l’application de la coercition contre des Algériens pour des motifs politiques. Elle ne peut non plus se substituer au peuple et prétendre être l’arbitre ou le juge de la validité d’un choix politique ;

* La préservation de la souveraineté, non sélective et indivisible, de l’État et du peuple algérien ;

* L’établissement de relations de bon voisinage et de coopération, dans le cadre du respect mutuel, avec les partenaires de l’Algérie ;

* Le respect des traités, pactes et conventions internationaux, à portée universelle, ratifiés par l’Algérie ;

* Le droit de réexaminer les traités, conventions et contrats, signés en particulier après le coup d’État du 11 janvier 1992, contraires aux intérêts économiques et de sécurité du peuple algérien.

Le FIS clame haut et fort son droit à l’activité politique et sa revendication de l’Etat islamique, ceci ne voulant nullement dire que le FIS n’est pas conscient des réalités de son époque ou qu’il aspire à une nouvelle forme d’inquisition. Il reconnaît que le déficit en communication et en concertation, entretenu par certains, a fait naître des réactions de peur et de crainte à la simple évocation de ces termes. Le FIS s’efforcera, non par calcul politicien mais par conviction, d’exposer dans la transparence et l’honnêteté intellectuelle la portée réelle de son message.

I.2 Le FIS entre démocratie et théocratie

Nous faisons une distinction claire entre les aspects dogmatique et pratique de la démocratie. Réitérant le concept immuable qui définit les Humains comme serviteurs d’un Dieu Unique et par voie de conséquence égaux devant Lui, nous ne pouvons accepter dans une société musulmane que soit opposée la volonté des Musulmans à celle de leur Créateur. De la même façon nous ne pouvons accepter que s’érigent en intermédiaire entre Dieu et les humains, une classe, caste ou autre clergé.

La pratique démocratique qui donne au peuple le droit et la liberté de choisir ses gouvernants est par contre clairement approuvée par le FIS. Dans une lettre récente adressée au Front des Forces Socialistes (FFS), le FIS a proposé et expliqué un slogan rassembleur qui définit sans ambiguïté sa position :

Non à un état policier, non à un état théocratique, non à un état laïc.

Nous refusons l’état policier car il transgresse un droit fondamental du citoyen qui est celui de choisir et de destituer, au besoin, ses dirigeants. Dans ce même état militariste, les casernes intronisent et détrônent les présidents, font et défont les gouvernements, mettent au pas la classe politique, embrigadent et étouffent la société civile, parasitent l’économie, caporalisent les médias, gèrent les conflits par la coercition, et font fi des droits de la personne humaine.

Nous refusons l’état théocratique car il impose au peuple, de facto, des  » super-hommes  » se substituant à, ou représentant, Dieu. En Islam personne ne peut prétendre au monopole de la représentativité de Dieu, et, encore moins, à prendre Sa place, pour la simple raison que c’est l’être humain qui est de façon générique le khalifa (lieutenant) de Dieu sur terre. Dans notre vision, la première épreuve à laquelle doit se soumettre un gouvernant musulman est celle de rendre des comptes. La redevabilité politique, al-mouhassaba, est un principe fondateur de la philosophie politique islamique.

Nous refusons l’état laïc car il considère la composante islamique de l’Algérie comme accessoire et dénuée de rôle social, éducatif ou politique. Cette composante est primordiale et fondamentale. Elle fait partie de l’essence même de notre peuple et du sens qu’il donne à son existence et à sa vocation historique.

I.3 Le FIS et la violence

La thèse selon laquelle le FIS est à l’origine de la violence qui s’est installée en Algérie n’est que pur mensonge et calomnie. Bien au contraire, c’est le régime militaire qui a tout mis en ouvre pour transposer une confrontation politique pacifique sur le terrain de la violence.

A titre de rappel, il convient de souligner les faits historiques suivants :

Les Cheikhs Madani Abbassi et Ali Benhadj ont déclaré, pendant le meeting nocturne du 30 mai 1991, lors de la grève générale décrétée par le FIS : « Nous avons convenu de faire en sorte que toutes les formes de dépassement soient évitées ; les rassemblements et les manifestations ne doivent pas par conséquent aboutir à la violence. »

Le 2 juillet 1991, deux jours après l’arrestation des leaders historiques du FIS, les responsables par intérim du FIS, Mohammed Saïd et Abdelkader Hachani, publiaient un communiqué stipulant notamment : « Nous nous engageons à rester fidèles à la ligne politique tracée par le FIS qui a fait sienne la voie pacifique pour asseoir son projet islamique, à l’ombre de la légalité, tant que les portes ne lui seront pas fermées. Dans le cas contraire, le régime endossera l’entière responsabilité des conséquences y afférent. »

Le 22 janvier 1992, quelques jours après l’arrestation de Abdelkader Hachani, les responsables du FIS, Mohamed Saïd et Abderrezak Redjam, adressaient une lettre à Mohamed Boudiaf dans laquelle ils soulignaient que : « Le combat juste que vous avez mené hier contre l’occupant français est de même nature que celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui contre une junte militaire. [.] Les gens qui vous ont amené de votre exil vous lâcheront une fois que leurs manipulations aboutiront. » Mohamed Boudiaf sera abattu sous les caméras de la télévision par sa propre garde, sur ordre des généraux.

Le FIS n’a pas cessé de rappeler à la raison les militaires putschistes (2). Il a pu contenir la colère du peuple qui ne cessait de manifester son refus du coup d’État. Les manifestations et les marches populaires se multipliaient à travers le pays. La junte militaire choisit alors la répression à outrance : l’armée se mit à tirer sur les manifestants. Des centaines de morts furent recensés lors des événements sanglants de janvier et février 1992dans plusieurs villles, notamment Alger, Batna et Chlef. Les vendredis, censés être jours de prière et de recueillement, allaient devenir la scène d’une terrible répression. La junte les avait transformés en « Vendredis noirs ».

La dissolution illégale du FIS par le tribunal administratif d’Alger, le 4 mars 1992, puis de ses 853 assemblées communales et 32 assemblées départementales, accompagnée d’arrestations et d’internement de dizaines de milliers de ses militants et sympathisants a conduit à la catastrophe. Le conflit armé était voulu et déclenché par la junte militaire.

Les militants et sympathisants du FIS qui ont été contraints de prendre les armes n’avaient manifestement pas d’autre alternative. Les putschistes voulaient non seulement barrer violemment la route à leur projet de société mais également les éliminer physiquement et les détruire moralement par la torture, l’emprisonnement, les sévices contre leurs familles ainsi que par la destruction de leur biens et sources de revenus. Il convient donc de faire la différence entre l’agresseur et l’agressé. Abderrezak Redjam ne déclarait-il pas en février 1992, dans un communiqué du FIS : « la crise continuera tant que la junte au pouvoir persévérera dans sa politique d’arrogance et de répression contre ses adversaires politiques. »

Le FIS ne peut dès lors que rendre hommage à tous ceux qui ont sincèrement défendu leurs droits, le plus souvent au prix de leurs propres vies. Il s’incline devant la mémoire de tous ceux qui ont fait sacrifice de leurs vies pour que vive l’Algérie libre et musulmane.

Le recours à la violence n’est pas condamnable s’il devient le dernier ressort pour s’opposer à la tyrannie, la transgression et à fortiori la menace directe de mort. Ceci est par ailleurs explicitement approuvé par notre religion : « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués de se défendre -parce que vraiment ils sont lésés, et Allah est certes Capable de les secourir. Ceux qui ont été expulsés de leurs demeures contre toute justice simplement parce qu’ils disaient: Allah est notre Seigneur. » (Saint Coran 22 :39)

Il est ainsi clairement établi que le FIS, en tant que parti politique, a toujours ouvré pour la paix civile et le changement pacifique par la voie des urnes. Il n’est d’aucune manière à l’origine de la violence qui sévit en Algérie.

Le FIS fait porter aux militaires putschistes l’entière responsabilité des événements tragiques qui ont endeuillé le peuple algérien et qui ont ouvré pour la dislocation de la société algérienne.

II. Les origines du drame algérien

La guerre algérienne actuelle tire ses origines de la conjonction de certains éléments fondamentaux, que nous pouvons résumer par :

* L’accaparement et la monopolisation du pouvoir par la hiérarchie militaire algérienne ;

* La gestion politique par le seul langage de la force, de la violence étatique, et de l’assassinat de toute opposition personnelle et/ou politique ;

* La confiscation de l’espace public, se traduisant notamment par un verrouillage systématique des champs politique, médiatique, social et associatif ;

* Le refus de considérer le peuple algérien comme adulte et majeur, sachant faire ses choix et les assumant.

A cela s’ajoutent les corollaires indéniables de ce système politique :

* Une dictature militaire, plus ou moins déguisée ;

* La corruption résultant de la mainmise des responsables militaires sur les circuits économiques et financiers nationaux, et le clientélisme y afférent ;

* La perte de la véritable souveraineté nationale, par delà les slogans et manifestations symboliques et parfois folkloriques.

Face à cela, le FIS, victorieux des élections législatives de décembre 1991, voulait la réalité du pouvoir, comme dans tout autre pays de liberté et de droit, et non un semblant de pouvoir ou des miettes gouvernementales déléguées par l’institution militaire.

En effet le message politique du FIS, à travers le projet de société islamique qu’il proposait, visait à permettre au peuple de recouvrer ses pleines et entières libertés politiques, et à affirmer ses capacités et sa créativité.

Le message social du FIS se posait résolument contre la corruption, l’affairisme et le clientélisme, en redonnant aux institutions leurs véritables attributions, et aux Algériens les conditions d’un épanouissement et d’une prise en charge responsable de leur destin.

La nature sanguinaire des  » décideurs  » de l’armée est apparue clairement lors des événements d’octobre 1988. Sans la moindre hésitation, ordre a été donné de tirer à l’arme lourde contre des jeunes manifestants. Des centaines d’adolescents ont été massacrés dans les quartiers populaires de plusieurs villes algériennes. Des centaines d’autres ont été torturés. Ces événements ont clairement montré que ces décideurs n’hésiteraient pas à massacrer le peuple pour maintenir leur domination sur lui. Octobre 88 aura aussi vu la mobilisation effective, par la participation et le don de la vie, de l’Islam populaire en symbiose avec les revendications de la jeunesse. Il aura révélé l’absence totale, hormis dans les salles de réunion, de ceux qui essayeront plus tard d’usurper ce mouvement au nom de slogans creux.

La répression dans le sang des manifestants lors de la grève pacifique déclenchée par le FIS en mai 1991 n’aura fait que confirmer la nature cruelle et liberticide de la junte algérienne.

Le coup d’état de janvier 1992 a été indéniablement un crime contre l’Algérie. Il a été l’expression horrifiante de ceux qui ont fait un procès d’intention au FIS puis se sont attelés à la mise en ouvre d’un véritable politicide à son encontre. Le FIS devait être, à leurs yeux, interdit et ses militants et ses sympathisants réprimés ou éliminés physiquement.

A ceux qui se sont donnés pour mission de  » sauver l’Algérie du péril intégriste « , nous leur disons que les pires intentions que vous prêtiez au FIS ne peuvent être comparés au chaos et à la désolation que vous avez fait tomber sur les Algériens. L’Histoire vous en tiendra responsable jusqu’à la fin des temps.

La décennie noire que vient de vivre l’Algérie aura montré à ceux qui ont su garder leur lucidité que le drame algérien ne peut être assimilé à une lutte entre  » intégrisme  » et  » modernité « , ou entre  » arabophones  » et  » berbérophones  » ou autres pseudo-clivages et subterfuges surmédiatisés. Ce drame a une origine connue : la mainmise, par la force des armes, d’une dictature militaire sanglante et corrompue sur le peuple et son pays. Cette dictature a su trouver des relais minoritaires, se réclamant parfois de la laïcité et de la modernité, du nationalisme ou de la religion, pour l’assister dans sa sale besogne.

III. Droits de l’Homme : Tortures, Disparitions, Massacres

Avec plus de 150 000 morts, 20 000 disparus et 30 000 prisonniers politiques, l’Algérie occupe la macabre position de leader des pays bafouant massivement les droits de la personne humaine. Un fait important à signaler est que les militants du FIS ainsi que sa base sociale ont été de loin les plus touchés par cette vaste entreprise criminelle déclenchée par la junte. Ceux qui persistent à faire porter au FIS la responsabilité des drames vécus par le peuple algérien font ainsi preuve d’une indécence criarde.

La pratique généralisée et institutionnalisée de la torture restera un signe révélateur de la nature de la junte au pouvoir. L’aveuglement et l’acharnement de cette junte dans son entreprise criminelle lui aura fait perdre toute raison et espoir de crédibilité. N’est-elle pas allée, aidée en cela par ses relais pseudo-civils, à accuser les organisations non gouvernementales de défense de droit de l’homme de connivence avec le FIS et les groupes armés ? Cette absurdité en dit long sur la nature de cette junte. Elle ne peut concevoir d’être interpellée sur ses violations flagrantes et massives des droits de l’homme. Elle aura encore plus de mal quand, tôt ou tard, elle devra répondre de génocide et crimes contre l’humanité.

Le FIS réitère sa demande de commissions d’enquête libres, expertes et indépendantes sur la torture, les disparitions, ainsi que sur les massacres contre les civils (Bentelha, Rais, Beni-Messous, Relizane, Sidi-Hamed etc.) et les prisonniers (Serkadji, Berroughia). Il clame haut et fort qu’on ne peut être juge et partie. Le FIS accuse le pouvoir militaire de ces actes ignobles. Pour s’en défendre, ce pouvoir accuse les soi-disants GIA et en fait parfois porter la responsabilité directe ou morale au FIS. Il restera à l’opinion nationale et internationale d’apprécier la position du FIS qui appelle à la constitution de commissions d’enquêtes libres, expertes et indépendantes, en opposition au pouvoir militaire qui se dérobe à ce sujet. Qui craint la vérité et a donc quelque chose à se reprocher? Certainement pas le FIS.

La situation sociale qui empire de plus en plus, la paupérisation, la dégradation des moeurs et l’analphabétisme ainsi qu’une corruption galopante auront été le résultat direct de la politique de la terre brûlée voulue par la junte.

IV. La politique dite de  » concorde civile « 

L’éviction de Liamine Zeroual à la fin 1998 et son remplacement par Abdelaziz Bouteflika, par le biais de parodie d’élections dénoncées par tous, avaient aux yeux des décideurs militaires un but précis : faire régent un président dont la mission principale serait de faire la promotion et le marketing de l’accord secret conclu entre le commandement de l’armée et l’Armée Islamique du Salut (AIS).

Cet accord secret, qui n’engage en rien le FIS, ne peut prétendre régler la grave crise qui déchire l’Algérie car il fait abstraction de l’aspect politique de cette crise. Abdelaziz Bouteflika, quand bien même il s’est égosillé à en faire la promotion, n’en est ni l’initiateur ni le concepteur. Les contacts sécurité militaire – AIS ont commencé au plus tard en 1996 et ont abouti à la trêve décrétée par l’AIS en octobre 1997. Cette dernière s’est attelée par la suite à faire un lobbying auprès d’autres groupes armés pour qu’ils la suivent dans sa démarche.

Il convient ici de réaffirmer avec la dernière énergie qu’aucune voix autorisée du FIS n’a, à aucun moment, reconnu l’AIS, ou un autre groupe, comme son bras armé. Ceux, parmi les membres du FIS, qui se sont érigés en porte-parole de l’AIS ont été publiquement et sans ambiguïté dénoncés par les dirigeants du FIS.

La dissolution de l’AIS en janvier 2000 ne peut être interprétée comme la perte par le FIS de son bras armé car le FIS n’a jamais déclaré en avoir un. Ceux qui tenaient à mettre en relief cette relation organique inexistante visaient la mise en ouvre d’une énième tentative de dissolution du FIS.

Le FIS a toujours dit qu’il était un parti politique et a expliqué clairement son attitude envers les groupes armés. Il comprend et trouve légitime la lutte des groupes non infiltrés par les services secrets de l’armée, qui ne s’attaquent pas à la population civile, qui s’astreignent aux recommandations de la charia et s’engagent à mettre fin à leur action une fois que leurs droits légitimes aient été reconnus. Par opposition, il se démarque de tous les groupes coupables de crimes contre les innocents, qu’ils soient à la solde du pouvoir militaire (GIA ou Groupes Infiltrés de l’Armée, milices, etc.) ou d’affinité maffieuse ou autre.

Le but politique de la démarche dite de  » concorde civile  » n’est ni plus ni moins que d’absoudre les généraux-décideurs et leurs alliés des crimes dont ils se sont rendus coupables, et de faire porter la responsabilité politique et morale de la crise algérienne au FIS. Le FIS ne peut accepter cette démarche et considère qu’il ne peut y avoir de réconciliation sans les devoirs de mémoire, de vérité et de justice.

L’effet de la  » concorde civile  » sur le plan sécuritaire est minime. L’Algérie n’est pas sortie de la guerre qui la tiraille. Le risque de dislocation irrémédiable de la société et du pays est réel.

Cet acharnement du pouvoir à ignorer le volet politique l’a fait sombrer dans des contradictions flagrantes, révélatrices de sa nature dictatoriale. Au moment où il amnistiait des gens qui portaient les armes contre lui, il refusait de libérer ou du moins négocier avec les leaders politiques du FIS. Pire encore, il n’a pas hésité à assassiner Abdelkader Hachani après avoir tenté de lui imposer sa vision des choses. Le pouvoir militaire et ses sbires ont poussé l’indécence jusqu’à affirmer que c’est (encore !) le GIA qui a exécuté Hachani pour cause de sa caution à la politique de Bouteflika. Le FIS dénonce cette hypocrisie et ces larmes de crocodile. Le martyr Hachani a bel et bien été assassiné car il n’a cessé de clamer haut et fort son rejet de la pax made by junta for junta.

V. Les lettres de ch. Madani Abbassi et Ali Benhadj

Le FIS déclare solennellement que Cheikh Madani Abbassi reste son président et Cheikh Ali Benhadj son vice-président. Ils doivent avoir le rôle qui est le leur dans toute tentative de réconciliation nationale. Le FIS reste fier de ses dirigeants, qui malgré toutes les formes d’intimidations, de traitement inhumain, sont restés fidèles à leurs principes et à leurs engagements. Ils ont tous deux, à plusieurs reprises, fait part de leur entière disponibilité à participer à la résolution de la crise algérienne. Nous résumons ci-après, par ordre chronologique, leurs deux dernières lettres que le pouvoir a tout fait pour étouffer.

V.1. Lettre de ch. Ali Benhadj du 31 juillet 1999

Adressée à Abdelaziz Bouteflika le 31 juillet 1999, cette lettre n’a pu être rendue publique que récemment par le FIS vu l’isolement total imposé à Ali Benhadj. Il va sans dire que le pouvoir militaire a tout fait pour qu’elle ne soit pas rendue publique. Nous exposons ici les points essentiels abordés par cette lettre. Le texte complet peut être consulté sur le site internet : http://www.ccfis.org.

Dans le préambule de cette lettre, Cheikh Ali Benhadj fait un commentaire d’abord sur la liberté d’expression et sur la tolérance de l’opposant, sur l’attitude des éradicateurs et des démocrates algériens envers le FIS quant à ces deux principes, et explique que sa lettre est motivée, entre autres, par la disposition affichée de Bouteflika de respecter la liberté d’expression de l’opposition. La lettre est structurée en dix points.

Dans le premier point il met en responsabilité Bouteflika non pour le déclenchement de la guerre mais pour trouver une solution politique juste et globale.

Dans le second, il le met en garde à l’encontre des ‘conseillers pervers’, de l’influence néfaste des services de renseignements lorsqu’ils contrôlent tous et ne sont contrôlés par personne, des ‘personnes duplices’, et de ‘ceux qui prêtent allégeance au gouvernant par avidité d’intérêts matériels’. Ensuite il rappelle longuement à Bouteflika la nécessité au juge équitable d’entendre toutes les parties en conflit et l’appelle à ‘rendre justice par la vérité’.

Dans la cinquième question, il se propose d’expliquer les causes des conflits dans l’histoire musulmane et celle de l’Europe en argumentant longuement que l’absence de justice et d’équité, la prise du pouvoir par la force, l’interdiction à une des composantes (religieuse, ethnique ou sociale) de la société d’exercer ses droits politiques ainsi que le sentiment d’exclusion et de privation engendrent les guerres internes. Cette longue réflexion comprend aussi une analyse de la légitimité de se révolter contre l’injustice politique selon l’Islam, et dans l’histoire britannique, américaine, française et algérienne.

Dans le sixième point, Benhadj affirme et argumente l’existence de droits naturels légitimes et fondamentaux, qui transcendent ceux accordés par la constitution de 1996, et auxquels le FIS ne renoncera jamais, à savoir la liberté d’opinion et d’expression et la liberté de choisir ses référentiels. Il critique aussi la constitution de 1996 du fait de sa procédure d’élaboration, de la finalité qu’elle vise (exclusion du FIS et d’une large couche de la société) ainsi qu’en mettant à nu les incohérences de la proposition qu’elle viserait à protéger les constituants identitaires de toute exploitation politicienne. La lettre explicite ensuite les fondements des normes du FIS (le Coran, la Sounna, la voie des Califes bien guidés, l’ijtihad, et l’expérience humaine).

Le septième point consiste en une définition ainsi qu’une explicitation de la notion de liberté politique appréhendée comme droit à la liberté d’opinion sur le bien commun et au soutien ou à l’opposition au gouvernement, comme droit à la responsabilité publique ainsi que comme droit des partis à choisir leurs référentiels idéologiques et culturels. Le droit du peuple au changement du régime politique est longuement défendu dans le huitième point alors que la nécessité d’une paix juste est affirmée et argumentée dans la neuvième question.

Dans la dixième et dernière partie de la lettre, Cheikh Benhadj explique son refus de se prononcer sur la trêve et sa couverture politique et légale sous détention, mais affirme que la démarche pourrait être bonne si suivie d’une solution politique juste et globale impliquant tous les courants et les personnalités politiques, sans exclusion aucune. Il précise que la question posée au référendum de septembre 1999 est une tromperie car aucun peuple ne préfère la guerre à la paix, et conclut en appelant à méditer sur l’histoire des prophètes, l’histoire musulmane et celle de l’Algérie qui indiquent que toute victoire fondée sur l’injustice est éphémère.

V.2 Lettre de ch. Madani Abbassi du 26 novembre 1999

En juin 1999, ch. Abbassi envoyait une lettre à Abdelaziz Bouteflika dans laquelle il se disait prêt à l’aider dans sa démarche pour rétablir la paix juste et durable et qu’il soutenait l’appel à la trêve lancé par l’AIS. Cette première lettre a été largement médiatisée par le pouvoir algérien qui la présentait comme une capitulation de la part du FIS. Ch. Abbassi voulait donner une chance à la paix. Se rendant compte de la fourberie concoctée par les services secrets de la junte et choqué par l’assassinat de Abdelkader Hachani, il écrit une nouvelle lettre le 26 novembre 1999 dans laquelle il dénonce avec la dernière énergie le caractère trompeur et usurpateur de la junte. Il affirme clairement son refus de la politique dite de  » concorde civile  » et dit ne plus accepter aucune tergiversation de la part du pouvoir. Seule une conférence nationale, incluant le FIS en tant que structure et les autres représentants de la société algérienne, pourra être le point de départ d’une solution réelle à la crise.

Il est à signaler que le pouvoir a, comme à son accoutumée, tout fait pour étouffer puis démentir à travers ses relais l’existence de cette lettre.

Ces deux lettres des leaders historiques montrent d’une manière claire la position officielle du FIS par rapport à la crise algérienne et les moyens d’y mettre fin.

VI. Vision du FIS pour la sortie de crise

En mettant en marche sa machine de guerre, le pouvoir militaire en Algérie tablait sur une ‘éradication’ rapide et totale du FIS. Manifestement, ce régime a échoué. Après une décennie de guerre totale contre le FIS, ce dernier reste le point central dans toute analyse sérieuse de la situation algérienne. Aucun autre parti ou mouvement n’aurait survécu à une telle répression. Le FIS est fortement enraciné dans la société algérienne et ni la guerre d’éradication menée à son encontre, ni encore moins les multiples décisions de dissolution prononcées contre lui ou les tentatives de division de ses rangs n’auront abouti. Le FIS tient au rétablissement de la justice et la paix en Algérie. Il s’agit là d’une position de principe, dictée par les fondements même sur lesquels se base le FIS.

Le rétablissement d’une paix juste et durable est faisable en Algérie. Cette paix ne pourra cependant pas se faire en tentant d’exclure le FIS. Pour sa part, le FIS a clairement fait savoir qu’il n’entendait exclure personne.

A la lumière de cette analyse, le FIS préconise la démarche suivante pour une sortie de crise réelle et salutaire :

* Libération de tous les détenus politiques, y compris les cheikhs Madani Abbassi et Ali Benhadj ;

* La cessation de la pratique de la torture et des enlèvements ;

* La mise sur place d’une commission nationale pour enquêter sur les cas des disparus et des massacres. Cette commission devra nécessairement inclure les représentants de tous les partis, y compris le FIS, ainsi que des organisations de défense des droits de l’homme ;

* La convocation d’une conférence nationale sur la réconciliation, incluant tous les partis et des représentants du pouvoir effectif. Les buts de cette conférence étant :

– d’établir une charte sur les droits et les libertés individuelles et collectives ;

– la consécration du suffrage universel comme seul moyen d’accès au pouvoir ;

  • la définition et l’affirmation du droit des minorités ;

– l’affirmation de la primauté du pouvoir civil et la définition du rôle de l’armée ;

– un appel solennel de tous les participants à la cessation des violences ;

– la réhabilitation administrative du FIS.

* La mise en marche d’un calendrier électoral commençant par l’élection d’une assemblée nationale constituante.

En dépit du drame et des horreurs qu’a connus notre pays, il restera un pionnier dans le monde arabo-musulman de par la soif de son peuple pour la paix, la justice, la liberté ainsi que par son attachement à ses valeurs. Le FIS ne ménagera aucun effort pour faire renaître l’espoir et ouvrer pour le bien de la nation.

« A côté de la difficulté est, certes, une facilité » (Saint Coran 93 :5)

 

Notes

(1) La donnée de base est la prise en compte réelle du fait incontesté que l’Algérie est une terre d’Islam. D’où le principe fondamental qui éclaire tous les autres : d’une part la souveraineté suprême (Haakimiyya) revient à Dieu avec pour corollaire l’égalité de tous, gouvernants et gouvernés, dans leur soumission à Sa Loi qui devra être prééminente comme source de législation ; d’autre part la source du pouvoir est détenue par le peuple qui en délègue l’exercice à des représentants librement choisis.

(2) Lettre de Abdelkader Hachani à l’ANP le 19 janvier 1992.

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