Saïd Sadi : « On assiste aux spasmes d’une fin de régime »

Algérie : le président du RCD est venu à Bruxelles proposer ses évaluations politiques

Saïd Sadi : « On assiste aux spasmes d’une fin de régime »

Baudouin Loos, Le Soir, 12 février 2001

L’expérience Bouteflika serait-elle sur le point de faire long feu ? Dans une Algérie où l’opacité a toujours embrumé les arcanes du pouvoir, les observateurs hésitent souvent devant les rumeurs qui circulent, comme celles, très insistantes, qui annoncent un divorce imminent entre le président, élu en 1999 dans des conditions controversées, et les « décideurs » au sein de l’armée qui l’avaient hissé à son poste. Dans ce contexte, l’opinion de Saïd Sadi, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, à ancrage kabyle et discours moderniste laïque), compte d’autant plus que son parti a intégré, il y a plus d’un an, la coalition gouvernementale.

Plutôt que de s’en prendre de front à Abdelaziz Bouteflika, Saïd Sadi est venu proposer aux Européens la semaine passée une vision globale du blocage politique en Algérie. « Objectivement, il y a une panne générale », a-t-il expliqué en conférence de presse : « Les chantiers sont ouverts mais la concrétisation tarde. Le problème réside dans le fait que l’essentiel des responsables algériens, issus du mouvement de libération nationale, vivent d’incantations doctrinales et sont dépourvus de toute culture de concrétisation. Ainsi, on produit de bonnes lois – comme celle sur la « concorde civile » (destinée à mettre fin à la « sale guerre », NDLR) – mais elles ne sont pas appliquées Cette génération d’idéologues ne peut pas construire, il faut les protéger d’eux-mêmes, ne pas les laisser enterrer le pays. » Une façon comme une autre de suggérer aux « décideurs » et au président de s’en aller.

D’ailleurs… « il existe une génération d’après-guerre (d’indépendance) qui aspire aux responsabilités politiques – comme le RCD, certainement – et je souhaite que l’Europe comprenne cela et ne soit pas aveuglée par les spasmes de fin de régime… »

Interrogé sur les critiques dont le président de la république fait l’objet de la part même des responsables politiques qui composent sa coalition, Sadi ne peut éviter d’incriminer Bouteflika : « Nous souhaitons la concertation politique et la concrétisation des décisions. Bouteflika a eu le courage d’identifier les chantiers, de parler de l’école à réformer, de la question de la femme, du bilinguisme, mais il reste au stade verbal. Il n’a pas su donner suite à ses engagements. »

Des promesses qui sont à la base de la participation du RCD au gouvernement. « Nous y sommes en raison de ces engagements : réforme du système judiciaire, de l’administration, de l’économie, du social et, surtout, de l’éducation – une commission doit incessamment rendre son rapport et proposer une réforme drastique à ce sujet – où l’urgence s’impose. Sait-on que le système éducatif est l’un des drames du pays ? Dans les programmes de l’école publique, on apprend aux enfants à égorger Il eût été irresponsable de rester d’éternels opposants, même si l’intégralité de nos idées ne peut constituer le programme de ce gouvernement de coalition. Cela dit, nous devrons procéder à une évaluation sérieuse de l’action de ce gouvernement… »

Il est vrai que sur beaucoup d’idées-force du programme du RCD, la révision du code de la famille (ravalant la femme au statut de mineure à vie), la promotion de la culture berbère et la laïcisation de l’Etat, le parti de Saïd Sadi n’a rien obtenu. Cela, ajouté à la relance du terrorisme qui semble consacrer l’échec de la « concorde civile », le met dans une position difficile vis-à-vis de son électorat. « Quand le capitaine pilote le navire, l’islamisme n’est plus compétitif; celui-ci rebondit quand il y a blocage politique », assène-t-il sans nommer le « capitaine », Abdelaziz Bouteflika.

Pourtant, le RCD est au gouvernement. Mais y dispose-t-on du pouvoir ? Pressé de dire s’il défend toujours l’idée qu’il développa en 1996 dans un livre (1), selon laquelle la réalité du pouvoir algérien doit se chercher au sein de l’armée, de la Sécurité militaire, des sphères mafieuses du régime, comme bien des observateurs le croient, Sadi confirme mais tente de nuancer : « Les analyses du livre demeurent d’actualité, la structure du pouvoir n’a pas changé. Mais je récuse la vision réductrice qu’on a ici en Occident d’un conflit entre la présidence et des « casquettes corrompues ». Arrêtez de confiner la lisibilité du régime aux humeurs de quelques généraux. »

(1) « Algérie, l’heure de vérité », Flammarion.

 

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