La guerre : le nerf de l’argent

La guerre : le nerf de l’argent

Abane Badis

Le CCP :

L’Algérie est en guerre. Une guerre politique produite par un système politique. Un système césarien et rentier qui fonctionne par le clanisme, le clientélisme et le populisme. Cette triptyque, ce CCP est l’ossature de ce système. Il est aussi la cause de sa faillite.

Ce système comprend le régime et l’opposition, l’Etat et la société. Et le CCP gangrène, même d’une moindre densité, tous les partis politiques et les autres composantes de la société civile, ce qui empêche l’émergence d’une opposition forte et crédible. La société elle-même, tant que traditionnelle par son esprit tribal que perverties par les éternelles pénuries, fonctionne comme tel. Il y a comme une nature commune entre les gouvernants et les gouvernés ce qui empêche un changement substantiel ou un réel affrontement.

Mais c’est le régime qui est le dépositaire du pouvoir et de l’argent public. Le pouvoir rend fou et l’argent rend c. La guerre rend l’absurdité et la folie meurtrière comme une fatalité, une banalité ou une exigence patriotique. Les conflits de pouvoir sont des luttes de clans qui ne sont que des querelles pécuniaires. Des querelles qui jouissent du secret en vertu de la raison d’Etat dont les dignitaires jouissent du secret bancaire. Car ceux qui gèrent l’économie selon les commissions qu’ils touchent, refusent toute commission d’enquête quand il gèrent la politique par la fraude et le massacre.
Le fond de la politique, comme le fond de la guerre, n’est rien d’autre que la question des « fonds ».

L’argent sert à acheter le silence ou la collaboration ; l’argent brut, en liquide, ou raffiné, des postes et des sièges. Tout dépend de la nature de la personne à corrompre : la présidence du sénat ou d’un parti d’opposition, médiateur de la république ou rédacteur en chef, un siège parlementaire ou un compte bancaire. Pour chaque régime, sa méthode. Le fameux « trésor du FLN » pendant le règne de BenBella. Des milliards en liquide ou des postes dans le parti unique et les ambassades pendant le règne de Boumediène, par l’intermédiaire de son conseiller le milliardaire Zeggar, qu’on pourrait appeler « ministre de la corruption». Son successeur, pour asseoir son pouvoir devant l’hostilité ou l’envie, a dépecé les sociétés mastodontes au nombre des bouches qu’il voulait faire taire.

Mais le successeur de celui-ci ne faisait pas parti du régime et n’avait aucun clan derrière lui. Boudiaf, à son arrivée à Alger, parle de « les décideurs ». Après quelques semaines durant lesquelles il a pu tâter le pouls du pouvoir et se déplumer les préjugés, il parle de  » la mafia politico-financière ». Ce président qui a écrit sous un autre ciel : «  où va l’Algérie ? » a écrit la réponse avec son sang. Ce président, à peine commençait-il à ouvrir les dossiers de la corruption (comme celui du général-major Beloucif) et c’est le feu qu’on a ouvert contre lui. Ce président fut criblé par les balles et les secrets de la mafia politico-financière n’ont pas filtré. Le sang est la couche socio-politique qui ne laisse rien émerger, sauf de nouveaux seigneurs de guerre.
La guerre sert à régler les comptes de certaines personnes et à remplir les comptes de certaines banques.

Le président Boudiaf a été victime d’une piraterie aérienne pendant la Révolution. Et depuis l’arraisonnement de l’avion de nos leaders politiques par la France, la décision, comme le raisonnement, est militaire. L’arraisonnement d’un avion d’Air France en 1994 résonnait comme alarme : « le Syndicat du crime » est ici, le Patronat est peut être en France. Son successeur, le général Zeroual fut évincé car son cher conseiller le général Betchin voulait « manger » plus que ses compères, avec un nouveau convive, Washington. Cet ancien chef des Services fut jeté en pâture puis évincé du pouvoir et non des affaires.

Son éternelle implication dans les affaires le prive de subir le sort de son prédécesseur ou de celui du patron de L’Union Générale des Travailleurs Algériens. Ce personnage a pris sa place dans l’échiquier politique le lendemain des législatives renversées de 1991 en fondant le CNAS (le Comité National de la Sauvegarde de l’Algérie). L’Algérie, l’Etat évidemment, car le syndicat a choisi son clan, celui de l’Etat.

Après 5 ans d’ascension, Ben Hamouda choisit son clan parmi ceux qui composent l’Etat, celui du Président de l’Etat. Le tambour le plus battant dans la compagne présidentielle de Zeroual voulait fonder le parti politique qui rassemblerait le clan du Président malgré les réticences de « la Famille Révolutionnaire ». Entre syndicat et clans, Le résultat était fatal. Dramatique. Le Président du Syndicat fut assassiné. Sa veuve exhuma lors de son enterrement la même formule qu’a utilisée la veuve du défunt Président de cette Algérie ; la même formule pour désigner l’assassin du président de l’Etat et celui du président du syndicat : « le Syndicat du Crime »

 

Le syndicat du crime :

Le premier Président de l’ère de la guerre utilisait le terme de « la mafia plitiquo-finançière », le dernier en fonction a utilisé cette même formule à Tipaza le 20 octobre 1999 pour dénoncer « l’action destructive des clans d’intérêts qui détiennent de main de fer l’économie du pays ». il accuse même en les citant les services de sécurité, les douanes, les hauts fonctionnaires et les officiers supérieurs.

Mais sans citer de nom, il déclare seulement « n’ayez pas peur, ils ne sont que 4 chats ». Il cite M. Sucre, M. café pour dénoncer les importateurs sans foi ni loi, qui importent et commercialisent des produits contrefaits, avariés et parfois même toxiques, » notamment dans le secteur pharmaceutique et agroalimentaire. Il ne dit pas que ces importateurs sans foi ni loi représentent la loi, car il le dit pour gagner la foi des foules. NB : le 20 octobre était un jour de compagne électorale. La « lessive » qu’il disait aller faire pour le régime s’est avérée une opération de blanchiment.

L’essentiel est qu’une réalité fut dévoilée : une caste de barons, officiers supérieurs et apparatchiks, la plupart en retraite, ou en retrait, se partagent l’Algérie. Une nomenklatura de loups dont chacun chasse pour son propre compte mais s’unissent pour se défendre. Et même pire que les loups, car les loups ne s’entre-tuent pas. L’affaire Betchin est là pour rappeler. Son prédécesseur à la tête des services est aussi là pour le rappeler. Kasdi Merbah, fut liquidé car il s’est mis à critiquer de plus en plus ceux qu’il appelait « les rats du système ».

Déjà, avant la guerre, les responsables se comportaient comme des mafiosi. Tout était sujet au pillage, même le sable des plages. Chaque nouveau maire refaisait les trottoirs pour masquer les détournement des deniers publiques. Les gourbis pullulaient et les somptueuses résidences d’Etat se vendaient au dinar symbolique. Le gaspillage et le laisser-aller sont devenus un mode de gestion, le détournement et la corruption monnaie courante.

Avec la guerre, d’autres modes d’enrichissement sont apparus : les milices, les suppléants des élus communaux et nationaux, les sociétés d’import-import, et surtout le terrorisme comme alibi pour le pillage. Du simple fait qu’un simple ouvrier détourne la cargaison de son camion ou le coffre de son agence, puis l’incendie en accusant les terroristes, aux grands crimes économiques comme l’incendie de l’ENIEM : les assassins virtuels lavent les mains des voleurs réels. Pis, le pillage et la corruption se servent même de La lutte contre la corruption.

Pour détourner la légitimité et s’accaparer le pouvoir, le président Chadli a créé la Cours des Comptes pour neutraliser son rival Bouteflika. Pendant la guerre, la question de la distribution du pouvoir était réglée mais pas celle de la richesse, une nouvelle structure fut crée en 1994 : l’ONSPC. L’Observatoire contre la Corruption a jeté en prison des milliers de cadres pour casser les entreprises nationales et introniser les sociétés d’importation. Les plus célèbres furent les dirigeants de SIDER pour que le général importateur du rond à béton puisse écouler sa marchandise, risquée car ukrainienne, sans concurrence ni critique. La guerre épure l’économie.

« La tempête n’épargne ni l’écume, ni la lie » selon la formule de HHC, l’ancien porte parole du gouvernement. Les repêchés par le filet social sont liquidés et les cadres sont remerciés par des menottes aux mains. On renvoie les cols bleus des usines et on envoie les cols blancs en prison ; et dit-on, il ne faut jamais se plaindre tant que son col n’est pas rouge. La crise atteint toutes les professions, tous les gagne-pains, même la présidence de l’Etat, sauf celle des fossoyeurs et des Seigneurs de la guerre. Quand même, une grande différence : les ballets ministériels ou diplomatiques sont un réaménagement au sein du palais, pendant que les coups de balai jettent sur le pavé des populations entières. Des laissés pour compte qui devraient s’estimer chanceux car vivants.

La vie avant le pain :

La logique que développait le chef de la centrale syndicale est que lorsque le droit fondamental est menacé, on ne peut ni on ne doit parler des droits politiques et économiques ou des libertés publiques ; on ne peut pas papoter sur la hausse des prix des pommes de terre lorsque la valeur de la vie humaine est moins chère ; lorsqu’on enterre plus d’hommes qu’on récolte de fruits. Question de pudeur !

Avec la guerre, la préoccupation de la centrale syndicale n’est plus l’expulsion des travailleurs ou le non-paiement de leurs salaires pendant des mois, ni l’érosion du pouvoir d’achat par la flambée des prix devant des salaires sclérosés, ni les malversations et le gaspillage de l’argent public, ni la fermeture des usines et la vente du patrimoine nationale aux barons du système avec le dinar symbolique, sa préoccupation est de protéger l’ordre public, de sauver le régime et de maintenir le système. Dans la langue arabe, ordre, régime et système sont nommés par le même terme « Nidam ».

Cet organe ne se donne la peine de bouger pour protester dans le cadre de sa vocation que formellement et sournoisement pour prouver son militantisme, et donc sa légitimité ; et surtout pour agrémenter la vitrine du pluralisme politique et social, de la liberté d’action et d’opposition. Depuis la veille du coup d’Etat, ce syndicat fournit à l’Etat une armada d’arguments pour toutes ses actions contre la Société. Mais ce syndicat est un actionnaire de l’Etat et lui aussi ne fait que défendre ses intérêts.

La crise entre les licenciements et la militarisation :

Un paradoxe inédit que seul l’Algérie, baptisé depuis sa Révolution pays des miracles, s’est cru pouvoir réconcilier. Pays et non Etat, car et les licenciements massifs et l’armement des masses ont sapé du même coup et le but de son fondement et la légitimité de sa continuité.

Ce paradoxe fallacieux et périlleux devient avec le marasme politique ou avec le matraquage médiatique chose banale et nécessaire, fatale pour certains. Vouloir en parler d’une façon différente du discours officiel c’est courir le risque de se voir discerner des accusations bon marché et qui remettent en cause lucidité et loyauté, rationalisme et nationalisme. C’est vouloir porter atteinte, dit-on à la sûreté de l’Etat ; mais ou est la Paix pour parler de la sûreté ? Ou est l’Etat pour parler de sa sûreté ou de sa souveraineté ?

Les licenciements dépendraient des facteurs économiques et l’armement dépendrait des facteurs sécuritaires ; mais en réalité les deux ne sont que les côtés pile et face d’une même pièce, quoique malheureusement une pièce fausse, contrefaite et sans valeur et que les citoyens appellent politique. Les deux résultent d’une décision politique et visent des objectifs politiques. Les deux, comme les devises dans ce pays, sont traités dans un marché noir parallèle aux galeries officielles de la souveraineté ; sont mijotés dans des coulisses à des années lumières des institutions et de l’opinion publique. Les deux sont une proie aux spéculations et aux surenchères. Les deux ciblent les pauvres et les désespérés.

La contradiction impertinente et révoltante – et c’est la quintessence de la crise – est que le prétexte pour le premier ne gêne pas la tuméfaction du deuxième. La déroute de l’économie, la banqueroute des entreprises publiques et le déficit budgétaire, ou par une expression simple, le manque d’argent, l’argent publique bien évidemment, était le prétexte pour les opérations de dégraissage, pour la fermeture des usines et des établissements ; mais d’où venait l’argent qui a permis d’armer les citoyens et de créer les groupes d’autodéfense ?
La poche droite pour acheter une arme qui coûte le salaire annuel d’un ouvrier serait-elle pleine pendant que la poche gauche pour subvenir aux besoins élémentaires d’une famille serait vide ou trouée ?

La contradiction ce sont des dizaines de milliers de personnes licenciées à coté des dizaines de milliers de personnes armées, la conséquence – avec d’autres facteurs – ce sont des dizaines de milliers de personnes assassinées.

Les contradictions s’exacerbent lorsque les usines et les établissements procèdent aux licenciements de leurs travailleurs ou fonctionnaires pour se permettre de  » s’armer » et de « s’alarmer », pour se cadenasser et se grillager. Ils les renvoient pour embaucher les agents de sécurité, de garde et de contrôle, pour allonger et élargir les murs et les grilles et même les fils barbelés qui les entourent.

L’aberration aberrante est celle qu’annonce le pouvoir avec indifférence : Quarante mille est le nombre officiel des travailleurs contraints au chômage suite aux opérations de vandalisme ou de sabotage. Soixante-dix mille est le nombre, aussi officiel, des travailleurs contraints au chômage suite aux opérations de restructuration ou de rafistolage dictées par le FMI. Si ceux qui ont causé le premier, on les qualifie de terroristes, ceux qui ont causé le deuxième, on les qualifie de quoi ? Si on peut convaincre les 40.000 de s’armer contre ceux qui ont causé leur indigence, on va convaincre les 70.000 de s’armer contre qui ? Un dicton arabe dit :  « Couper les vivres est pire que couper les têtes ».

Ce n’est que maintenant que des pères de famille se suicident sur leurs lieux de travail. Incroyable ! Pendant les misères coloniales, les Algériens mangeaient de l’eau bouillante et ils gardaient la vie et la fierté. Pourquoi maintenant ? Même des cadres se sont suicidés après que l’opération  » mains propres  » leur a cassés les bras pour préparer la privatisation dictée par l’Affameur Mondial malgré toute leur compétence et fidélité.

Après la chute du mur de Berlin, on nous a fait croire que le socialisme avait passé l’arme à gauche, mais le passage du collectivisme à la soviet vers la privatisation à la russe n’a fait que privatiser les sociétés économiques et l’usage des armes. Après que l’Etat s’est engraissé de la sueur de la Société, il verse son sang comme une fontaine de jouvence. Le cour de l’Etat n’a que des affections métalliques. Le sang est argenté. Son chiffre d’affaire ce sont des zéros ajoutés au nombre des « tués ». La terreur est le couffin pour de nouveaux seigneurs.

Devant ces contradictions, ce peuple doit-il se rembourrer la tête de drogues et ses yeux de larmes pour ne pas devenir fou ? Ce peuple doit-il anesthésier son cour et fermer ses oreilles pour ne pas subir une crise cardiaque ?

La crise économique nécessite la fermeture de plusieurs usines, mais de nouvelles casernes se font construire. La crise sécuritaire, elle, débouche sur un chômage technique dans les anciennes casernes, les casernes limitrophes du génocide… Et entre la crise économique et la crise sécuritaire, les génies de la politique algérienne ont découvert que la solution est dans la privatisation de la sécurité, dans le partage du lèg qui est la protection des vies et des biens, qui est la souveraineté entre les groupes d’autodéfense.

Les milices : un gagne-pain.

Les affameurs qui ont le monopole sur les denrées, ne l’ont plus sur les armes. C’est ainsi que les licenciements nourrissent la militarisation. Il est plus facile d’enrégimenter les chômeurs et les désespérés, les victimes de la politique d’appauvrissement et les témoins du nouveau dicton et de la nouvelle devise :  » Le pain blanc pour les mains rouges ».

A ceux qui meurent atterrés par la faim ou alités par le manque des soins, on propose de mourir debouts.

A ceux qui n’ont plus le courage de rentrer chez soi et d’affronter les mains vides leurs familles affamées, on propose de ne plus rentrer, de se garnir les mains d’une arme et d’affronter les ennemis de la Famille Révolutionnaire.

A ceux qui ont des ardoises partout, chez le boulanger, l’épicier… sauf chez le boucher qu’ils n’osent plus fréquenter, on propose de devenir des bouchers.

On leur propose d’être terroristes ; parce que terrorisés.

Terrorisés surtout par la faim.

La plupart de ceux qui s’engagent dans les corps de la police, de la gendarmerie ou de l’armée ou, à contre cour, dans les milices, sont des jeunes dont l’âme est abattue, car les postes de travail leur sont verrouillés. Ils fredonnent que pour gagner du fric, il faut voler ou devenir flic. Ou encore quitter ce pays. On « s’engage » parce que c’est le seul moyen de garantir le pain à sa famille. Mais après, mais malheureusement après, l’objectif pour certains, ou pour plusieurs, devient la viande et non le pain. Alors le soir, les patriotes changent d’uniforme et s’accoutrent comme les Tontons Macoutes pour arrondir leurs fins de mois. Le pouvoir a fini par avouer les opérations de pillage et d’agression menées par ses milices en les qualifiant pudiquement de dépassements.

Le braconnage et le maraudage sont une occupation pour les milices. Les populations sont sous leur férule et elles les assimilent à une pègre qui utilise la rapinerie comme rémunération. Mais le danger est que les haines viscérales qui se sont accumulées depuis la Révolution ont trouvé enfin leur exutoire. L’explosion de la Vendetta est précipitée par une distribution débridée des armes, mais également sélective. On choisit celui qui tue, parce qu’on a choisi celui qui va se faire tuer. Et celui qu’on veut exterminer ou éradiquer n’est pas seulement la guérilla, mais tous les germes de rébellion, non seulement politique, mais également financière et culturelle.

Les milices sont des vers qui gangrènent la Société, mais elles menacent également l’Etat lui-même. Les armes sont à double tranchant et les hommes à double visage ; elles sont plus faciles à tourner que les vestes. La soif du pouvoir nourrit la haine et la haine du pouvoir lui-même assèche ses ressources. C’est l’Etat qui arme et c’est l’Etat lui-même qui devient le butin.

Depuis l’indépendance, la légitimité est puisée dans la violence, dans le sang ; mais c’était le temps d’un ennemi identifiable. Maintenant, celui qui refuse d’être mon beau-père, le supérieur qui me dégrade ou me révoque, le policier qui me matraque chaque jeudi au stade ; l’épicier qui vend comme il veut et celui qui achète tout ce qu’il veut ; tous sont devenus mes ennemis. Des ennemis à moi. Moi est un pronom personnel singulier. Cette haine est personnelle. Singulière. Difficile à cerner.

Mais, mes ennemis et moi sommes les ennemis de ceux qui ont créé ces fausses animosités et qui ont distribué les vraies armes. Mes ennemis et moi allons nous entre-tuer pour que notre ennemi vive plus longtemps et mieux encore . Notre ennemi est le Syndicat du Crime.

Pendant les élections communales, les patriotes du parti qui était l’Etat (FLN) et ceux de celui qui l’est devenu (RND) se sont entrent-tués. Ce sont des personnes qui vivaient mal et qui se sont armés pour vivre bien. Mais ceux qui les ont armés sont des personnalités qui vivaient bien et qui l’ont fait pour ne pas risquer de vivre mal.La vengeance est un plat qui se mange froid ; mais quand on n’a rien dans la bouche à part la haine et les fruits des razzias, les représailles ne peuvent pas être « oil pour oil dent pour dent ». La vengeance devient aveugle. Alors, la banqueroute de la raison rendra-t-elle aux terroristes la monnaie de leur pièce ?

Ce ne sont pas des corps organisés tels que l’armée qui les affrontent, mais des groupes faits de toute pièce. Des vieillards édentés armés jusqu’aux dents et qui s’arc-boutent sur des fusils au lieu des cannes. Des adolescents imberbes et barbés par des armes qui pèsent plus lourd qu’eux et qui valent – pour leurs commanditaires – plus. Ceux qui ont vécu un passé noir, sombre et ceux qui ne voient qu’un futur gris, voire plus sombre. Ceux qu’on a débauchés après des années de travail et ceux qu’on a refusés d’embaucher après des années d’étude. Tous sont des pièces à conviction contre le Syndicat du Crime.
Ces groupes lâchés dans des cavernes et les troupes cachées dans les casernes sont tous des pièces à conviction contre le Syndicat du Crime.

Le feuilleton Douanes pendant le règne du général-président est une panoplie pour le pessimisme. Un douanier fut criblé de balles parce qu’il a refusé de se faire désarmer par un policier. La tension a monté et aucun responsable n’a chuté. On a enterré le douanier et on s’est attendu à d’autres. On n’a pas su qui a donné l’ordre de désarmer les douanes. Le pourquoi, nous le connaissons même s’il n’est pas dévoilé. Le sang est argenté. Les sociétés d’import-import sont casquées et nul ne peut les taxer. Au port, les douanes bloquaient et voulaient enquêter sur une marchandise souveraine et corrompue par la présomption et l’arrosage. Le crime a noyé l’enquête. Le sang du douanier est celui du président Boudiaf.

Et la lutte antiterroriste ne pourra pas le dédouaner. C’est ce Syndicat qui refuse cette fameuse commission d’enquête sur les massacres, qui refuse l’enquête sur les commissions qu’il touche. C’est ce syndicat qui jouit du secret bancaire, qui joue avec le secret sécuritaire. C’est ce Syndicat qui arme des groupes, qui désarme des corps.

Les armes sont boulimiques et le peuple est au bord de la famine. Une autre crise explosera quand l’Etat tentera de licencier ceux qu’il a armés. Quand les apparatchiks voudront être les seuls seigneurs. Ce n’est pas de l’alarmisme, mais du réalisme. Le tabou ne se pose pas d’une façon aiguë pour les corps organisés, malgré la profusion de leurs effectifs, peut être pas encore pour les sociétés de gardiennage, mais sûrement pour les groupes d’autodéfense dont le nombre de soldats dépasse celui de l’armée.

Les milices n’ont aucune hiérarchie à part l’autorité tribale du caïd. Elles sont mal entraînées et très mal disciplinées. Chaque groupe, même s’il est formé de cinq individus, est un corps homogène et souverain. C’est vrai que les milices sont vassalisées et même méprisées par les autres corps qui les utilisent souvent comme bouclier, mais qui peut se mesurer à un Patriote-Moudjahid qui se targue d’avoir vaincu la puissance coloniale et l’Alliance Atlantique hier et faire pareil ou même plus maintenant.

Le milicien est devenu un artisan glorifié dans une entreprise sanctifiée : « sauver l’Etat » . Les patriotes se découvrent même une nouvelle vocation : la politique et la démocratie. Certains sont des députés ou des élus locaux et prétendent avoir une salive infaillible, parce qu’ils ont fait couler le sang du terrorisme. Les milices enfantées par la dictature qui épouse la guerre, héritent du clanisme, se développent par le clientélisme et s’enveloppent de populisme pour cacher leurs vices.

« El Mokhfi » par son nom qui signifie « le caché », ce moudjahid devenu chef milicien puis député, déclare à toute occasion que les GLD sont devenus une force incontournable et qu’ils ne mettront jamais les armes. Ce qui pourrait signifier que le but principal de les avoir armer n’était pas d’exterminer le terrorisme mais de faire vivre celui-ci le plus longtemps possible pour que le pouvoir survive.