Les équilibres sont-ils rompus ?

NEZZAR RELANCE LE DEBAT SUR LA RELATION BOUTEFLIKA-ANP /

Les équilibres sont-ils rompus ?

El Watan, 13 juillet 2002

L’armée est-elle en phase de préparer la présidentielle de 2004 ? En dépit des assurances des plus hauts responsables de l’ANP quant à l’inexistence « d’un conflit » avec l’actuel président de la République, la sortie médiatique, jeudi 11 juillet, du général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, plaide pour le contraire.

Elle semble faire partie d’une stratégie à plusieurs échelles au bout de laquelle l’action du locataire d’El Mouradia sera neutralisée. Une stratégie qui gagnera en intensité. Par tous les moyens et ressorts. « La source autorisée » du MDN, qui s’est exprimée dans les colonnes du Soir d’Algérie dernièrement et qui n’a pas été démentie, a mis à nu « une colère » des chefs militaires vis-à-vis de Bouteflika. La concorde civile, appuyée par les militaires et parrainée par Bouteflika, est, aujourd’hui, mise en accusation dans la reprise du terrorisme. Par le passé, et pour ne citer que cet exemple, le général Khaled Nezzar s’est exprimé positivement dans un entretien au magazine français Le Figaro, paru le 21 avril 2001, en faveur de la concorde civile. « J’y suis favorable, car il s’agit d’une guerre entre Algériens, et que l’on doit finir par s’entendre. J’y suis d’autant favorable d’ailleurs que ce sont des militaires, notamment le général Smaïn Lamari, qui l’ont engagée », avait-il déclaré. « Tout a été dit et fait pour que le terrorisme revienne en force. Le peuple algérien se souviendra, et un jour il demandera des comptes », vient-il de déclarer dans une attaque claire contre Bouteflika sans le citer. Il lui reproche notamment d’avoir qualifié l’arrêt du processus électoral en 1992 de « délit et de violence ». Avant la présidentielle de 1999, Nezzar avait critiqué le candidat Bouteflika avant d’exprimer son appui. « Ce que j’ai dit à propos de M. Bouteflika, je le pensais sincèrement et j’en étais même convaincu. Cependant, à choisir entre les sept candidats que je connaissais parfaitement, j’ai opté, dans l’intérêt de mon pays, pour celle de Bouteflika », avait expliqué Nezzar lors d’une conférence de presse en mars 2000. Aujourd’hui, il retire, visiblement, ce soutien. Prenant le soin de ne pas le nommer ouvertement, Nezzar reproche à Bouteflika de continuer « de parler de la décennie noire de Abdelhamid Brahimi ». Dans un entretien à la revue Jeune Afrique, publié le 4 mai 2002, le général à la retraite Larbi Belkheir, actuel directeur de cabinet du président de la République, avait déclaré presque la même chose : « J’ai du mal à pardonner la formule  »décennie noire ». » Nezzar laisse suggérer, dans le communiqué publié jeudi 11 juillet, que « la cabale » contre les généraux serait inspirée par le chef de l’Etat et son entourage. Cabale « montée de toutes pièces par des Algériens et à partir de l’Algérie, ces trois dernières années », relève-t-il. Nezzar parle-t-il au nom de tous les généraux ? N’y a-t-il donc pas de « complot » ourdi à l’étranger contre l’armée algérienne ? Nezzar ne précise pas pourquoi les généraux sont-ils ciblés, mais laisse entendre que cela est lié à la lutte contre le terrorisme. Face aux hauts gradés de l’armée, Bouteflika avait, lors de son discours à l’occasion du 5 juillet prononcé au MDN, pris la défense de l’ANP, mettant en valeur son « rôle grandiose », et critiquant ceux qui lancent « des invectives et des flèches empoisonnées », « se répandent en accusations contre ses officiers supérieurs » et « créent des événements et inventent des dires ». Nezzar veut-il reprocher à Bouteflika le fait de ne l’avoir pas soutenu dans son procès parisien contre l’ex-sous-lieutenant Habib Souaïdia, auteur du livre-témoignage La sale guerre, dans lequel les militaires sont accusés d’avoir perpétré des massacres contre la population civile ? Nezzar a bénéficié d’un soutien public du général de corps d’armée et chef d’état-major de l’ANP, Mohamed Lamari. « Nul n’est éternel dans ses fonctions », avait déclaré Mohamed Lamari, dans un entretien à un journal londonien El mouchahid essayassi. Ce message ne semble pas être adressé uniquement aux généraux retraitables. Est-ce la fin « d’une période » de grâce pour Bouteflika ? Les équilibres sont-ils rompus ? Il est aujourd’hui presque évident que l’enjeu de ces tirs croisés, de ces messages codés et de ces torpilles et contre-torpilles est l’élection présidentielle à organiser dans moins de deux ans. Si la saison de la chasse semble être ouverte, la réaction de Bouteflika est, elle, difficile à prévoir.

Par Fayçal Métaoui

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REPERES /

Convergence contre l’intégrisme

Le général à la retraite Khaled Nezzar a-t-il voulu mettre les pieds dans le plat en s’en prenant vertement, sans le nommer explicitement, à Abdelaziz Bouteflika ? Les termes de son dernier communiqué ont pu paraître aller dans cette direction aux yeux de certains observateurs.
Le propos d’ensemble de l’ancien ministre de la Défense et membre du HCE pourrait même être raccordé aux débats qui ont placé l’institution militaire sur les devants de la scène avec les déclarations fracassantes de « la source autorisée » du ministère de la Défense nationale, puis celles du général de corps d’armée Mohamed Lamari. Dans le document qu’il vient de rendre public, Khaled Nezzar enfonce le clou en soulignant que dans la droite ligne de la cabale orchestrée contre les généraux algériens ces trois dernières années, « tout a été dit et fait pour que le terrorisme revienne en force ». Cette sortie du général à la retraite Khaled Nezzar pose la question de savoir s’il exprime un point de vue qui n’engage que sa propre personne. Auquel cas, ce positionnement marquerait un revirement de Khaled Nezzar qui avait apporté son soutien public à Abdelaziz Bouteflika lorsque celui-ci s’était engagé dans la course à l’investiture présidentielle. Mais il avait d’abord qualifié le candidat à la charge présidentielle de « canasson » avant de se raviser et de trouver à l’homme des vertus suffisantes pour être adoubé. Une telle appréciation, même corrigée, a pu porter quelque ombrage aux relations entre les deux hommes et constituer le socle d’un contentieux durable, même s’il est inavoué. Les griefs de Khaled Nezzar, qui n’ont pas qu’un caractère personnel, ont pris désormais un relief politique et ils se nourrissent de la conviction qu’il y a une volonté manifeste, durant ces trois années du mandat de Abdelaziz Bouteflika, de culpabiliser l’institution militaire. Le général à la retraite tire notamment argument, dans ce sens, du fait que l’interruption du processus électoral est perçue par le président de la République qu’il ne nomme pas comme une violence. Et c’est à ce niveau qu’il est clair que Khaled Nezzar ne parle pas en creux car il récuse l’analyse qui tend à défausser sur l’institution militaire les problèmes politiques et sécuritaires avec lesquels le pays est en prise depuis une décennie. En fait, le texte de Khaled Nezzar illustre l’idée que l’institution militaire, par des canaux divers, refuse de porter le chapeau et renvoie la balle dans le camp des décideurs politiques,et à leur tête le président de la République, comptable, du point de vue du général à la retraite, du retour en force de l’intégrisme armé. Un point de vue qui n’est pas très éloigné de celui formulé par « la source autorisée » du ministère de la Défense nationale dans les colonnes du Soir d’Algérie, et qui rejoint aussi d’une certaine manière l’argumentaire récemment développé par le général Mohamed Lamari sur le thème de la survivance de l’intégrisme. C’est sur cet enjeu, appelé à conditionner des échéances politiques lourdes que l’institution militaire semble d’ores et déjà, afin que nul n’en ignore, vouloir prendre date.

Par Amine Lotfi

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Propos à mots couverts

Entre l’armée et le chef de l’Etat, on ne manquerait pas de voir un échange de propos aigres-doux, révélateurs de l’état des rapports entre les deux. « L’institution militaire est harmonieuse et unie, toutes les allégations mensongères à (son) sujet ne sont que des allégations désespérées visant à ternir l’image de l’armée algérienne », disait le 27 juin dernier Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’ANP.
« Je salue (…) le rôle de notre glorieuse armée qui veille à l’unité du peuple et du territoire, à la préservation de la souveraineté de la République algérienne, à la protection de nos frontières et de ses lois », disait aussi Bouteflika le 4 juillet dernier devant les officiers de l’armée. Mais avant cela, le président de la République a tenu à défendre son pré-carré ? « Je tiens à dire que je veux être un chef d’Etat, pas un trois quart de chef d’Etat », a déclaré encore Bouteflika le 16 janvier 2001. Ce à quoi Mohamed Lamari répondait une année et demie plus tard par un « nul n’a le droit de juger le président de la République, excepté le peuple qui l’a élu ». Mais si entre les deux hommes les choses semblent aller au mieux, ce n’est pas forcément le cas avec l’institution lorsqu’une certaine « source autorisée de l’armée » a déclaré que le souci de l’armée au moment où elle a fait appel à Bouteflika était surtout de « choisir le moins mauvais » parmi tous les « candidats » potentiels au poste de président de la République. Est-ce pour cela que Bouteflika a toujours dit ne pas avoir les coudées franches ? Plus récemment encore, alors qu’il était sommé de s’expliquer sur l’arrêt du processus électoral de 1992, le général à la retraite Khaled Nezzar n’a pas manqué de s’en prendre à celui qui assimile cette période à une « grossesse prématurée ». « Devant un parterre de cadres de la nation, au lieu de faire le bilan de trois années, on continue à parler de la décennie noire de Abdelhamid Brahimi et à assimiler l’arrêt du processus électoral à une interruption de grossesse. » Cela est-il une réponse à l’attaque du chef de l’Etat contre ceux qui ont « voulu dépraver les lois de la République » ? L’ancien ministre de la Défense sous Chadli ne s’arrête pas là, il remet en cause le discours sur la concorde civile et blâme Bouteflika : « Le terroriste sanguinaire est devenu Monsieur Hattab. »… Mais ce n’est pas tout ce qui oppose le président de la République aux militaires. Pour la première fois, un officier supérieur de la trempe d’un Mohamed Lamari ose faire part en public des soucis de son institution concernant certains dossiers ou chantiers annoncés ou engagés par le président Bouteflika au lendemain de son investiture et qui sont restés lettre morte à ce jour, cas de la réforme éducative et de la gestion des mosquées. Bouteflika ne s’est toujours pas exprimé sur la volonté énoncée par certains d’installer un civil à la tête du ministère de la Défense nationale ou encore celle de mettre fin à l’état d’urgence. Nezzar, l’ancien membre du HCE, sera encore plus virulent : « Tout est dit et fait pour que le terrorisme revienne. » Parlait-il de la concorde civile ? Parlait-il des interventions répétées de Bouteflika dans le cadre de la concorde civile ? Même le général Fodil Cherif n’a pas perdu de vue le fait que la société civile s’est démobilisée…

Par D. Amrouche

 

 

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