Chirac inaugure des stèles où figurent des noms de tortionnaire

Un mémorial peu pacifique sur la guerre d’Algérie

Chirac inaugure des stèles où figurent des noms de tortionnaire

Par Jean-Dominique Merchet, Libération, 05 décembre 2002

Ce devait être l’équivalent français du Veterans Memorial, le grand mur noir de Washington sur lequel sont inscrits les noms des soldats américains morts au Vietnam. Faute de place et d’argent, le monument qu’inaugure aujourd’hui Jacques Chirac, quai Branly à Paris (VIIe), est plus modeste. Il n’est pourtant pas à l’abri des polémiques. Le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie 1952-1962 se compose de trois colonnes carrées, hautes de six mètres, moulées dans du béton. Sur la première est installé un afficheur électronique. Les noms des «soldats et supplétifs morts pour la France» en Afrique du Nord y défileront en permanence. Une borne interactive devrait en outre permettre de rechercher un nom.

Tombé dans l’oubli, un autre monument parisien est déjà dédié à la mémoire des victimes civiles et militaires tombées en Afrique du Nord de 1952 à 1962. Installé dans le square de la Butte du Chapeau- Rouge (XIXe), il a été inauguré le 11 novembre 1996… par Chirac. L’idée de ce nouveau mémorial remonte à 1998 et le projet, confié à l’architecte Gérard Collin-Thiébaut, a été lancé par le gouvernement Jospin en novembre 2001. Le secrétaire d’Etat (PS) aux Anciens Combattants d’alors, Jacques Floch, expliquait à Libération que «les noms ne seront pas gravés. On devrait y faire figurer tout le monde, sauf si une décision de justice intervient. Il faut que la France accepte de se raconter sa guerre d’Algérie. Même si cela fait mal».

Douleur. Cela pourrait être douloureux. Ainsi, le sort du capitaine Jean Graziani, tué au combat et donc «mort pour la France» à la tête de sa compagnie parachutiste en janvier 1959. Son nom a toute sa place sur l’afficheur électronique. Mais cet officier, qui a pris part deux ans plus tôt à la bataille d’Alger, est accusé d’être un bourreau. «Lui était innommable, c’était un pervers qui prenait plaisir à torturer», assure Louisette Ighilahriz, l’Algérienne dont le témoignage, en 2000, a relancé la polémique sur la torture en Algérie.

D’autres cas pourraient surgir, sans compter les réclamations de familles notamment de «supplétifs» harkis s’estimant oubliées. Prudent, le secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants précise que «le monument s’avère, dans sa conception, propice aux modifications, qui seraient apportées via le dispositif informatique». Pour l’heure, 22 959 noms défileront sur le mémorial. Le nombre des militaires français morts en Afrique du Nord n’est néanmoins pas connu avec précision. L’un des meilleurs spécialistes de la question, l’historien Guy Pervillé, auteur d’un Atlas de la guerre d’Algérie (1), explique qu’«il existe plusieurs bilans officiels qui ne concordent jamais exactement. L’ordre de grandeur est de 24 000 à 25 000». «Mais qui compte-t-on dans les « morts pour la France » ? On estime que 15 000 militaires français sont morts lors des combats ou dans des attentats. Les autres, une dizaine de milliers, ont été victimes d’accident, de maladie ou de suicide. Mais cela n’est pas non plus sans rapport avec la guerre», indique-t-il.

Date inconnue. Dernier problème, celui de la date de la fin de la guerre. Faute de consensus, le gouvernement Jospin avait renoncé, au printemps, à la fixer au 19 mars, date du cessez-le-feu en 1962. Installée le mois dernier, une commission présidée par l’historien Jean Favier doit en choisir une pour la future Journée nationale de commémoration. Le Mémorial a tranché pour le 2 juillet 1962, «dernier jour de l’Algérie française» selon Guy Pervillé. Mais d’autres soldats français sont morts en Algérie après cette date. Pas «pour la France» ?.

(1) Editions Autrement. Parution janvier 2003.