La torture, enfant naturel de la guerre

La torture, enfant naturel de la guerre

Micislas Orlowski *, Le Monde, 29 décembre 2000

AINSI donc, une certaine presse agite l´opinion sur la nécessité de confier à une commission d´enquête parlementaire le soin de révéler les exactions de l´armée française durant la guerre d´Algérie, afin que notre pays manifeste sa « repentance » des tortures infligées aux combattants du FLN.

Que des idéologues fassent écho à de telles accusations montre qu´une générosité factice peut se manifester dans le cadre d´une connaissance intellectuelle dépourvue de contact avec le réel. Il n´est pas possible de percevoir ce qu’est en fait la torture si on est installé dans le confort d´un salon ou d´une salle de rédaction. Pour savoir à quel point la torture est effroyable, inhumaine jusqu´à la nausée, il faut avoir fait l´horrible expérience de son contact.

Car il faut savoir que la torture est un enfant naturel de la guerre qui par essence engendre des sentiments extrêmes. La violence génère des toxines de cruauté auxquelles personne n´échappe. Ceux qui l´ont pratiquée – souvent trop – la perçoivent autrement que ceux qui n´en parlent que par jeu d´esprit. Et ceux-là savent que la guerre est tout autant condamnable que la torture. Car toute guerre connaît de telles dépravations humaines.

La guerre d´Algérie ne présente pas, en ce domaine, un cas particulier. Il faut constater que le comportement de certains Algériens devrait dispenser ce peuple de manifester quelque demande de repentance que ce soit, car il est connu que des consignes furent données à ses combattants de ne pas se satisfaire de tuer, mais qu´il leur fallait auparavant torturer. Des manuels de conseils ont même été distribués. L´incitation à un tel comportement fut d´autant plus fidèlement suivie que ce peuple n´a pas hésité à se livrer à de telles abominables pratiques sur lui-même, ainsi que nous l´apprend trop souvent le récit des épreuves que la malheureuse population algérienne subit actuellement.

Il est cependant certain qu´en ce domaine les crimes de l´adversaire ne peuvent servir d´excuse aux siens propres. Toutefois, il faudrait que les accusateurs ne négligent pas de tenir compte de la contrainte morale que subit le parti soumis aux atrocités répétées de l´autre. Et, surtout, il ne faudrait pas qu´ils utilisent la sensibilité des esprits sains à l´encontre de cette intolérable pratique pour se livrer à une manipulation politicienne. Il semblerait que les accusations actuellement lancées n´échappent pas entièrement à cette intention.

Il faut aussi avoir le courage moral de savoir ce que recouvre la torture en certaines circonstances. La guerre étant ce qu´elle est, des situations peuvent imposer d´exercer une contrainte par le recours à une violence brutale. Ainsi, lorsqu´un individu a placé un engin explosif dans un lieu public qui va, s´il n´est pas neutralisé à temps, déchiqueter des dizaines d´innocents, femmes et enfants, faut-il mieux malmener le terroriste, sans que soit porté atteinte de façon rémanente à son intégrité physique, pour qu´il consente à révéler où est placé l´engin de mort, ou laisser le massacre s´accomplir ? La sensiblerie en de telles circonstances peut équivaloir à une lâcheté.

En Algérie, notre armée reçut la charge d´une telle besogne devant l´incapacité des autorités civiles à faire cesser le massacre d´innocents. Elle le fit du mieux qu´elle put, consciente du drame qu´il lui était ordonné de vivre. Ceux qui furent mêlés à cette tâche, plutôt que d´être l´objet d´attaques de la part de personnes aux intentions troubles, méritent notre respect et notre reconnaissance. La Société nationale « Les Médaillés militaires », dont les adhérents sont porteurs de la plus haute distinction de notre pays, les leur accorde sans retenue, en toute connaissance de cause.

* Micislas Orlowski est président général de la Société nationale « Les Médaillés militaires »

© Le Monde

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