Controverses Algériennes : l’ombre portée d’Abu Dhabi

Algeria-Watch, 4 mai 2025

Après la tempête Sansal, l’orage Belghit suscite débats et polémiques, entre indignation et déploration, les réseaux sociaux sont l’espace d’échanges intenses et parfois tumultueux. Disons-le d’emblée, sur le fond la pertinence du propos de l’historien sur le plateau d’une télévision émiratie est plus que discutable, quel que soit l’angle d’approche. Représenter la dimension des racines et de la culture amazighe de l’Algérie comme une machination sioniste et néocoloniale est indigne d’un intellectuel digne de ce nom. Le biais idéologique, celui d’un pseudo-nationalisme arabe désuet et nivelateur, ne saurait masquer l’inculture grave, c’est un euphémisme, de l’avocat d’une pareille thèse. Laquelle thèse est relayée par un personnage dont personne n’a oublié le mépris dont il a accablé le mouvement populaire, patriotique, unitaire et pacifique, du Hirak.

Il reste qu’il est inacceptable et contre-productif d’embastiller des citoyens, intellectuels ou non, pour des opinions tenues en public ou en privé, même sur des médias adverses. D’ailleurs il faut bien le rappeler, du MAK aux néo-baathistes, ces voix réductrices existent depuis longtemps, sans vraiment rencontrer une réelle adhésion, à la marge de la scène idéologique contrastée de l’Algérie indépendante. Le Hirak a réitéré de manière éclatante au monde entier l’unité indissoluble de l’Algérie, d’Est en Ouest, du Nord au Sud. Le peuple algérien sait ce qu’il est, ce qui le constitue et d’où il provient.

Les remises en cause de l’histoire du pays ou de son intégrité territoriale ne sont pas surprenantes. La permanence de l’esprit du 1er novembre 1954 demeure insupportable pour les résidus du colonialisme blanc et pour des féodalités arabes capitulardes. Il se trouvera toujours des expressions, plus ou moins mercenaires, pour apporter de l’eau au moulin désaxé des revanchards néocolonialistes. Il est clair dans les péripéties actuelles que le legs révolutionnaire obstinément porté par le peuple algérien est intolérable pour ceux qui prônent une honteuse normalisation et qui se vautrent dans une soumission abjecte aux pieds des génocidaires sionistes.

La réponse la plus efficace à de tels libelles ne peut être le fait de procureurs ou de gendarmes. Une presse libre est le cadre naturel de réponse à ces controverses fumeuses, et permettrait de situer leurs auteurs à leur vrai niveau, de comprendre leurs motivations et de situer leurs objectifs. Et, c’est essentiel pour en comprendre le rôle, d’identifier les milieux qui les mobilisent.

Mais pour l’heure, au-delà de leur caractère outrancier, il semble clair que la dimension la plus importante de ces déclarations ne se situe pas dans leur maigre substance. A l’évidence, ce que ces sorties médiatiques révèlent des relations entre l’Algérie et les Emirats arabes unis (EAU) est autrement plus significatif.

La dégradation des relations bilatérales algéro-émiraties enclenchée depuis plusieurs années – peu après la fin du binôme Bouteflika-Gaïd-Salah – connaît une accélération sensible, très commentée sur les réseaux sociaux. De nombreux observateurs familiers du dossier (voir les deux photos et l’article d’al-Quds ci-dessous), notent que les Émiratis semblent être passés à une phase plus active de leur dispositif anti-algérien en enclenchant très ouvertement une campagne de propagande qui dépasse ostensiblement la critique du système politique au pouvoir à Alger. Comme les nostalgiques de l’Algérie française, les propagandistes golfiques remettent en question l’histoire du pays, son unité et la viabilité de son identité nationale.

L’histoire du Machrek en témoigne : le levier d’action des officines de subversion dans le monde arabe est la question identitaire sous ses diverses déclinaisons ethniques et/ou confessionnelles. Ce levier essentiel des impérialismes se révèle particulièrement efficace pour diviser les sociétés et briser les résistances. Comme on le voit très distinctement dans le développement de la tragédie syrienne par exemple (mais aussi au Soudan et dans le Sahel) où ces mêmes Émirats ont joué le rôle d’agent central de la déstabilisation de l’Etat et de fragmentation du pays. Les EAU, relais actif d’Israël en Asie occidentale et en Afrique, alimentent les séditions libyennes, financent l’armement des putschistes maliens et celui du Makhzen dont ils sont l’un des principaux sponsors. Les EAU sont ainsi activement impliqués dans la colonisation du Sahara occidental où ils ont même ouvert un consulat à al-Ayoun à la fin de l’année 2020. Il semble aujourd’hui se confirmer que l’Algérie est la cible première de l’action subversive émiratie.

Les formes actuelles de cet antagonisme constituent une mise en garde supplémentaire aux décideurs du système politique en place. Les axes de déstabilisation comme les adversaires et leurs méthodes sont identifiés, le pays est au centre de tensions géopolitiques susceptibles de s’exacerber sans préavis, les manœuvres hostiles des EAU viseraient elles à préparer le terrain à des évolutions plus graves ? Sans alimenter des inquiétudes exagérées, les mesures de précaution et de préparation civiles et militaires à toutes éventualités récemment annoncées sont bien entendu tout à fait indispensables.

La réalité de la guerre psycho-politique en cours visant la cohésion nationale doit imposer un autre niveau de prise de conscience politique : la protection des intérêts nationaux est le fait de la nation toute entière. L’histoire montre que les manœuvres de cette nature qui tentent d’exploiter des fragilités internes, réelles ou supposées, ne peuvent être décisivement annihilées que par l’intelligence collective de la société, par l’implication de ses forces vives. En bâillonnant les voix qui pourraient réduire à néant les argumentaires antinationaux le système se prive d’une réserve de ressources intellectuelles qui lui font cruellement défaut. La riposte qualitative première à la subversion est bien dans la consolidation de l’unité nationale par l’ouverture du champ politique, par la révocation d’un autoritarisme caduc et par le dialogue fondé sur la garantie des libertés publiques.

 

 

 

 

 

 

 

Après la diffusion par une chaîne de télévision émiratie d’une interview d’un historien qui a « diffamé la langue amazighe », la télévision algérienne attaque les Émirats arabes unis et promet de « riposter de la même manière ».

Al-Quds, 2 mai 2025

Algérie – Al-Quds Al-Arabi : La télévision d’État algérienne a violemment attaqué les Émirats arabes unis, suite à la diffusion d’une émission de la chaîne émiratie Sky News Arabia au cours de laquelle l’historien algérien Mohamed Lamine Belghit affirmait que la langue amazighe, qui est une composante de l’identité nationale selon la constitution algérienne, est une « création sioniste française ».

La télévision algérienne a précisé dans un post sur sa page Facebook qu’il y a une « escalade médiatique dangereuse de la part des Émirats arabes unis qui franchit toutes les lignes rouges concernant l’unité et l’identité du peuple algérien », notant qu’il s’agit « d’un ciblage dangereux des principes anciens du peuple algérien et d’une tentative de jeter le doute sur ses origines et sa profondeur historique ».

Il a ajouté que « l’attaque des Émirats arabes unis contre l’Algérie, qui a une histoire de résistance, n’est rien d’autre qu’une tentative désespérée d’entités hybrides dépourvues de racines et de véritable souveraineté », soulignant que « les Émirats arabes unis se transforment en usines de sédition et de diffusion de toxines idéologiques, exploitant le marchand idéologique sur le marché de l’histoire », en référence directe à l’historien Mohamed Lamine Belghit.

Le message souligne que « l’Algérie, qui a sacrifié des millions de martyrs pour la défense de son unité, ne succombera pas aux provocations et ne pardonnera aucune atteinte à ses principes et aux fondements de son identité et de son appartenance », notant que « l’incitation médiatique qui porte atteinte à l’identité du peuple algérien ne restera pas impunie, moralement et populairement ».

La télévision d’État algérienne a décrit l’attaque contre l’unité du peuple algérien non seulement comme une faute médiatique, mais comme une agression contre les valeurs, la souveraineté et un destin commun. Il a souligné que l’attaque vise simplement à gagner davantage de loyauté de la part de ceux qui se soucient de la stabilité et du progrès de l’Algérie. Il a ajouté : « L’Algérie ne pleurera pas sur les ruines du soutien et de l’aide qu’elle a apportés, mais, comme le font les fiers, elle répondra de la même manière. »

La déclaration de l’historien algérien Mohamed Lamine Belghit, dans laquelle il affirmait que la langue amazighe était un « projet idéologique franco-sioniste » et que les Berbères tiraient leurs origines des « Arabes phéniciens », a suscité un ressentiment généralisé et un débat houleux dans les cercles politiques et culturels en Algérie. Beaucoup ont vu dans ces déclarations une attaque directe contre l’une des trois composantes de l’identité nationale, telles que stipulées dans la constitution algérienne : l’islam, l’arabisme et l’amazighité.

Les déclarations de Belghit sont intervenues lors d’une interview avec Sky News Arabia, lorsque le présentateur algérien lui a demandé de clarifier ses opinions controversées sur l’identité amazighe et si de telles positions représentaient une oblitération de l’identité de tout un peuple. Il a répondu : « Il n’y a pas de culture. C’est un projet idéologique sioniste purement français. L’Amazigh n’existe pas. Il y a des Berbères, et ce sont d’anciens Arabes, selon les convictions des plus grands historiens d’Orient et d’Occident. »

Belghit a ajouté : « La question amazighe est unanimement considérée par les sages de Libye, d’Algérie et du Maroc comme un projet politique visant à saper l’unité du Maghreb, au service d’un projet français cherchant à imposer un Maghreb francophone. » Il a conclu son discours en disant : « Nos origines remontent aux Phéniciens cananéens, et c’est là le secret entre nous et nos adversaires, tant au pays qu’à l’étranger. »

Immédiatement après que la vidéo soit devenue virale, Belghit a dû faire face à une vague de critiques acerbes de la part d’activistes, de chercheurs et de journalistes, qui ont décrit ses déclarations comme provocatrices et politiquement motivées. Certains d’entre eux ont comparé ses déclarations à celles de l’écrivain Boualem Sansal, actuellement en prison.
> Ces dernières années, la thèse des « racines phéniciennes » de l’Algérie a refait surface, se répandant à profusion sur certaines pages et comptes de réseaux sociaux influents, dans le contexte du débat identitaire qui revient chaque fois sous des formes différentes.

Calme temporaire

Cette nouvelle position algérienne à l’égard des Émirats arabes unis ramène les relations au bord de la crise après une trêve temporaire. Le dernier contact entre le président Abdelmadjid Tebboune et Mohammed ben Zayed Al Nahyan a eu lieu lors de la récente fête de l’Aïd el-Fitr, lorsqu’ils ont convenu de « se revoir dès que possible ».

Les relations entre l’Algérie et les Émirats arabes unis sont tendues depuis deux ans, suite aux accusations de l’Algérie selon lesquelles Abou Dhabi se livrerait à des actes hostiles contre elle dans la région. L’Algérie a également exprimé sa profonde inquiétude quant au rôle des Émirats arabes unis dans la pression exercée par les pays voisins pour la normalisation, qu’elle considère comme une menace directe. Cette inquiétude s’est traduite par des campagnes politiques et médiatiques ciblées mettant en garde contre la menace émiratie.

Après être restés largement confinés aux médias, les Émirats arabes unis ont obtenu un statut officiel en janvier 2024 lorsque le Conseil suprême de sécurité algérien a publié une déclaration exprimant ses regrets pour ce qu’il a appelé « des actions hostiles contre l’Algérie par un pays arabe frère ». Cette déclaration a été immédiatement interprétée comme un avertissement aux Émirats arabes unis.

En mars 2024, le président algérien a explicitement accusé les Émirats arabes unis de provoquer des conflits dans le voisinage et les environs de l’Algérie, déclarant : « Partout où il y a un conflit, l’argent de ce pays est toujours présent. Dans notre voisinage, il y a le Mali, la Libye et le Soudan. Nous ne nourrissons d’inimitié envers personne, car nous avons besoin de Dieu Tout-Puissant et des Algériens et des Algériennes. Nous espérons vivre en paix avec tous, et quant à ceux qui nous oppriment, la patience a des limites.»

La première rencontre de dégel entre les deux hommes s’est produit en marge du sommet du G7 à Rome en juin 2024, lorsque le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le président émirati Mohammed ben Zayed sont apparus dans une conversation parallèle qui a suscité un intérêt général, compte tenu des tensions qui l’ont précédée.