Barbouze un jour, barbouze Toujours
Ali Bensaad, Blog Médiapart, 25 octobre 2024
Le cyber et les youtubeurs installés à l’étranger sont devenus un des moyens d’influence majeur du régime algérien qui les alimente en révélations croustillantes pour leur assurer une audience et une identité « d’opposants ». Le parcours de Hicham Aboud, officier du renseignement militaire en est une illustration.
L’affaire du supposé enlèvement de Hichem Aboud à Barcelone est une barbouzerie en millefeuille.
Pour ma part, ce qui me sidère et m’indigne, c’est de voir Hichem Aboud présenté comme « journaliste », « opposant » et « réfugié politique ». Capitaine au DRS, il y avait une fonction qui surclassait la position de beaucoup de généraux. Il était le secrétaire particulier du patron du DRS, le général Betchine qu’il continuera à servir comme son fondé de pouvoir et gérant de ses journaux nourris à la manne publicitaire, quand celui-ci, après avoir quitté sa fonction, continuera à être un influent baron politique et sécuritaire. Il a accompagné son patron, conçu pour lui et participé à ses opérations de flicage, de torture et de prédations et il a continué à être le planificateur de ses opérations d’influence, une fois celui-ci versé dans le civil.
Lorsque les décideurs militaires, indisposés par les velléités d’autonomie du président Zeroual dans les négociations avec les islamistes armés, décident de le déstabiliser, ils vont utiliser son point faible, le général Betchine. Général voyou à la réputation sulfureuse et revenu aux affaires comme conseiller du président, Betchine avait beaucoup de casseroles sur lesquels les services avaient accumulé des dossiers dormants qu’ils feront ressortir pour l’éclabousser. Comprenant que le navire de son patron coulait, le capitaine Hichem Aboud se ralliera à eux et en bon flic qui a aussi fliqué son patron, leur fournira des éléments intimes et les aidera à lui porter l’estocade.
C’est de cet acte de trahison qu’il veut faire aujourd’hui un acte d’opposition. Depuis, il continue de naviguer entre les différents clans pour lesquels il a continué à travailler en France, se mettant au service de leur influence et de leurs querelles et les moyennant. Et comme c’est la pratique dans les services où l’on fabrique des légendes, il s’est réinventé une biographie sur Wikipédia dont il a expurgé toute référence à sa pourtant longue carrière d’officier majeur du renseignement militaire pour se réinventer en journaliste opposant.
Les nouveaux « opposants » youtubeurs à l’instar de Aboud Hicham, Bensedira, Abdou Semmar, Amir DZ et autres, en divulguant des secrets du sérail fournis par les différentes branches concurrentes des services et qui, par leur caractère croustillant, leur assurent une audience, ont pour mission de saturer l’espace médiatique et informationnel par du sensationnel pour faire diversion aux véritables enjeux politiques, pour couvrir de leur bruit les messages de l’opposition, l’invisibiliser et s’y substituer. Ils sont le complément à la politique de verrouillage de l’espace médiatique interne. C’est vers eux que se trouve rabattue la demande inassouvie d’information, pour être manipulée, dans l’opacité, à coup de « révélations » dosées par les services en fonction du sens vers lequel ils veulent orienter le regard. Derrière le sensationnel et les dénonciations personnalisées, ils lancent les sondes et préparent les opinions aux recompositions des rapports de force internes, aux bifurcations du régime. Mais ils sont aussi les porte-flingue cyber des différentes factions rivales du régime. C’est par eux que celles-ci se passent les messages, les mises en garde ou se déclarent la guerre, utilisant ces youtubeurs comme des snipers.
Abdou Semmar, sous le pseudonyme de « Louise Dimitrakis », en étalant sur les colonnes de « Mondafrique », le journal de Nicolas Beau, des révélations fracassantes sur le DRS que lui fournissait le clan Bouteflika, a aidé ce dernier à fragiliser le DRS et à s’en emparer.
L’incarcération récente du DGSN Bencheikh a un lien direct avec la guerre informationnelle entre factions, par youtubeurs interposés, et a révélé une fois de plus que ces derniers avaient des commanditaires directs au sein du pouvoir. Pour tenter de faire cesser les attaques du Youtubeur Bensedira qui gênaient la reconduction de Tebboune, Bencheikh a cru devoir faire pression sur les donneurs d’ordre de ces attaques au sein de l’armée en dévoilant leur identité auprès des cercles décideurs. Il en a apporté la preuve et les noms en faisant voler par ses agents l’agenda de Bensedira. Néophyte en culture politique du réel algérien, il n’avait pas compris que Tebboune ne pouvait le protéger et qu’on ne met pas impunément les pieds dans les platebandes d’un général, surtout s’il est des services. Il dort en prison alors que « l’opposant » youtubeur Bensedira continue, luxueusement depuis Londres, à livrer « contre » le régime ses diatribes savamment dosées dans les laboratoires du DRS.
Que Hichem Aboud affiche aujourd’hui sa proximité avec le Maroc et donc ses services, n’exclut pas qu’il continue à travailler pour une partie des services algériens et, en passant, fatalement, pour les services français. Tous les services se méfient et s’accommodent à la fois de ces agents doubles et triples qui sont des « passeurs » d’informations et d’intox. Ils sont présents dans tous les services du monde mais peuvent de ce fait connaitre des déconvenues avec l’un ou l’autre des services ou faire les frais des rivalités à l’intérieur d’un service. Cela n’en fait ni des persécutés, ni des militants mais des victimes de leur propre duplicité et cupidité.
J’écris ce post avec une grande colère en moi en pensant à tous ceux que ces « opposants » ont contribué, directement et indirectement, à jeter sur les routes de l’exil et dans les prisons et dont ils veulent voler même l’identité de militants. En les voyant se targuer d’être journalistes, je pense avec colère à Ihsan El Kadi dans sa prison, à Mustapha Benjamaa qui, après la prison, se voit frappé insidieusement d’interdit professionnel et de circulation, aux journalistes qui, de « La Nation » à « Liberté », ont vu leur outil de travail brisé. Je pense même aux journalistes d’El Watan qui, après plusieurs années de résistance, ont été mis devant une équation diabolique. Et si je ne les lis plus pour ne plus partager ce qu’ils écrivent, je serai le dernier à leur faire la leçon.