Les écolos à la peine face à la montée en puissance des lobbys pro-schistes

Les écolos à la peine face à la montée en puissance des lobbys pro-schistes

Mehdi El Amine et AFP,Maghreb Emergent, 23 septembre 2013

Si l’Amérique du Nord est pionnière dans l’exploitation industrielle du pétrole et du gaz de schiste, de plus en plus de pays aux profils très différents s’ouvrent à l’exploration de ce type d’hydrocarbures malgré ses implications environnementales. L’Algérie est dans la tendance : l’après-pétrole, c’est…le pétrole de schiste.

Les « succès » rencontrés aux Etats Unis et au Canada par l’exploitation commerciale du gaz et pétrole de schiste à donné des idées à de nombreux pays à travers le monde, qui ont engagé des investissements dans l’exploration afin d’évaluer leur potentiel et étudier la possibilité de développer les gisements. La France étant encore réfractaire à ce type d’hydrocarbures, c’est la Pologne qui mène le bal en Europe en accueillant une quinzaine de groupes internationaux pour prospecter le potentiel de ce pays. Si d’autres nations comme le Royaume Uni, le Danemark, l’Ukraine, la Roumanie et l’Espagne ont suivi la même voie en accordant des autorisations de forage et d’exploration, c’est la Russie, dont les vastes territoires recèlent les plus grosses réserves mondiales de pétrole de schiste, qui suscite l’intérêt des majors internationales telles que Total et Shell, qui ont signé cette année un accord avec une filiale de Gazprom afin d’extraire du pétrole de schiste dans la région de Khanty-Mansiïsk (Sibérie centrale).

Exit le renouvelable en Algérie

En Algérie, le gouvernement s’apprête à investir massivement dans l’exploitation de ses ressources de schiste que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) considère comme parmi les plus importantes dans le monde. L’amendement de la loi sur les hydrocarbures en intégrant les hydrocarbures non-conventionnelles a donné le ton concernant les intentions du gouvernement malgré les lourds investissements nécessaires et la complexité de l’exploitation de ce type de gisements. Selon le directeur de l’agence de régulation des hydrocarbures Alnaft, l’Algérie devrait investir 300 milliards de dollars pour le forage de 12 000 puits sur 50 ans pour arriver à produire 60 milliards de m3 de gaz de schiste, c’est-à-dire un peu plus que le niveau de production actuel. Malgré une levée de boucliers médiatique sur le coût environnemental d’une telle option, l’Etat ne semble pas faire marche-arrière.

L’impact environnemental

L’exploitation des gaz et pétroles de schiste a de nombreuses implications environnementales, qui justifient pour certains son interdiction, d’autres estimant que des réglementations et des pratiques plus strictes permettront de corriger certaines dérives constatées aux Etats-Unis. Le « fracking », ou fracturation hydraulique, est l’un des principaux sujets de discorde. Cela consiste à injecter via les tubes d’un forage et sous très forte pression, un mélange d’eau, de sable et d’additifs chimiques. Ce mélange va fissurer la couche dite de « roche-mère » dans laquelle se trouvent le gaz ou le pétrole visés, le plus souvent entre 2.000 et 4.000 mètres de profondeur. Le tout est ensuite partiellement re-pompé à la surface, les fissures créées libérant les hydrocarbures. Le risque principal vient de la partie supérieure du puits, celle qui traverse les nappes phréatiques, essentiellement à cause d’une mauvaise étanchéité de la couche de ciment qui entoure les tubes métalliques du forage.

Eau, produits chimiques, séismes et méthane

Autre problème majeur : la question de l’eau. Chaque puits de gaz de schiste nécessite en effet « entre 10.000 et 20.000 mètres cubes » d’eau, soit 10 à 20 millions de litres, plus 500 tonnes de sable et environ 50 tonnes de produits chimiques, rappelle à l’AFP Thierry Froment, directeur général de la division « Oil and Gas » du géant français de l’eau Veolia. Les produits chimiques nécessaires à la fracturation sont dénoncés par ses opposants. Dans un catalogue de plus de 500 produits, le mélange retenu va généralement de moins d’une dizaine à une trentaine de produits, selon le secteur. Certains « ingrédients » –mais pas tous– peuvent être remplacés par des équivalents biodégradables, comme la gomme de guar. Autres effets de la fracturation, les séismes : si ceux-ci sont infimes, avec des magnitudes que seuls les appareils peuvent enregistrer, le risque est de fracturer près d’une faille géologique active, comme au Royaume-Uni en 2011. Une activité sismique beaucoup plus significative peut-être générée par les puits d’injection des eaux usées, où des quantités considérables sont poussées dans les profondeurs. Autre conséquence des forages, les fuites de méthane. C’est un gaz à effet de serre au moins 25 fois plus puissant que le CO2, ce qui signifie que si seulement 3 ou 4% s’échappe, le bilan carbone du gaz de schiste est équivalent à celui du charbon, l’énergie fossile la plus sale.

Menace sur la géopolitique du pétrole

L’exploitation de pétrole et gaz de schiste représente également une menace pour les pays exportateurs de pétrole du Golfe en termes de parts de marché et d’influence géopolitique, estiment des experts. Un influent prince saoudien, le milliardaire Al-Walid ben Talal, a tiré la sonnette d’alarme en soulignant en juillet que la demande mondiale sur le brut était en « baisse continue », évoquant la menace présentée par les hydrocarbures de schiste. Le Fonds monétaire international, dans une récente note sur le royaume saoudien, a averti que « la révolution du schiste en Amérique du Nord » pourrait réduire la demande sur les produits pétroliers après avoir détourné de la consommation du charbon. « Les producteurs du Golfe vont être affectés à court terme plutôt qu’à moyen terme », a affirmé à l’AFP un expert pétrolier, les Etats-Unis devant devenir le premier exportateur mondial de pétrole en 2017 et atteindre l’indépendance énergétique d’ici 2030.