Palestine: La solution à deux Etats , illusion ou réalité*
Rachid Tlemçani**, 05 octobre 2024
La guerre génocidaire en cours dans l’enclave de Gaza a actualisé la solution à deux Etats, un Etat Israélien évoluant aux cotés de l’Etat palestinien indépendant et viable ayant pour capitale Al Qods (Jérusalem-Est). La liste des gouvernements reconnaissant l’Etat palestinien n’a cessé de s’allonger au fil des guerres israélo-arabes. Au 28 mai 2024, l’Etat palestinien est reconnu par 147 Etats sur 193 que comptent les Nations Unies. Trois Etats Européens, notamment la Norvège, l’Irlande et l’Espagne, viennent de reconnaître la Palestine. Il y a aussi 21 organisations internationales qui reconnaissent le statut étatique à la Palestine. La France, curieusement l’amie des Arabes, n’a pas jugé utile de reconnaître l’Etat palestinien. C’est une constance de la position française de dire qu’on reconnaîtra la Palestine au moment opportun. La France temporise au risque de manquer une chance historique pour faire bouger les lignes. Ce momentum ne sera pas de sitôt. La France sous le président Macron a tout simplement aligné sa politique extérieure sur celle des Etats-Unis. L’influence française dans le monde, notamment dans son pré-carré africain, ne pouvait que se rétrécir. Israël via le Maroc est en train d’occuper le vide géostratégique. Ce mini-Etat, sur de lui-même et dominateur, joue désormais dans la cour des grands.
Plus problématique encore, les cheikhs arabes n’ont pas jugé utile d’exercer de pression sur La France ou les Etats-Unis pour la reconnaissance de l’Etat palestinien. L’achat des équipements militaires et sécuritaires de portée stratégique est plus avantageux qu’un soutien indéfectible à la cause palestinienne. La technologie militaire de la dernière génération est un gage sécuritaire, interne et régional. Les dirigeants des pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël pensaient que la question palestinienne était «définitivement enterrée» dans le nouvel ordre sécuritaire régional. Les Palestiniens ne joueraient ainsi plus aux «troubles fête» à l’ouverture à «l’occidentalisation» opérée avant d’avoir procédé au préalable, comme dirait Mohammed Arkoul, à un examen critique en profondeur du modèle islamique lui-même. La guerre les a dissuadés à suspendre au moins temporairement leurs relations. Bien au contraire, leurs relations commerciales et sécuritaires ont continué à s’intensifier au dépens au soutien palestinien. Le carnage des palestiniens a atteint entre temps un degré d’atrocités et sauvagerie inédit. L’Algérie fidèle à sa tradition demeure l’un des rares pays de la région à soutenir inconditionnellement la cause palestinienne. Le président de la République a affirmé que « ce que subit le peuple palestinien, notamment dans la bande de Ghaza, par l’occupation israélienne, depuis plus de six mois, est une guerre de génocide ». Le soutien aux Palestiniens est plus fort au Maghreb qu’au Proche et Moyen Orient.
Israël ne conçoit pas le territoire comme un simple espace géographique mais comme un pouvoir stratégique (Michel Foucault). L’Etat hébreu parvient à agrandir son espace vital après chaque guerre ou conflit armé avec ses voisins. Une stratégie socio-spatiale de conquête est mise méthodiquement en mouvement avant même la mise en branle du processus de nettoyage ethnique des palestiniens dans les années 1940 (Ilan Pappe). L’expansion territoriale est consubstantielle au mouvement sioniste, toutes tendances confondues. Le processus de spoliation est mis en branle avant même l’institutionnalisation de l’Etat juif, un Etat unique dans la typologie des Etats modernes (Rachid Tlemçani). Ce constat nous aide à mieux cerner le phénomène du sionisme/Etat juif qui est examiné dans un paradigme idéologique. Il serait plus pertinent et heuristique d’examiner ce phénomène dans une nouvelle approche qui doit se conformer à la rigueur des Sciences Sociales et Humaines au même titre que les autres systèmes politiques.
La conquête militaire
Historiquement, la terreur a été de tout temps l’instrument privilégié dans la conquête coloniale. «Enlèvement, exécutions sommaires, assassinats purs et simples, torture et agressions sexuelles produisent Metrus atrox, une «peur terrible» (Benjamin Brower). La conquête militaire est une suite ininterrompue de meurtres de masses qui ont indistinctement visé les populations civiles. La conquête militaire française en Algérie a décimé un tiers de la population totale, entraînant un véritable « désastre démographique » (Hosni Kitouni). Israël a expulsé manu militari plus de 750 000 palestiniens de leurs terres et domiciles entre 1947-1949. Plus de 400 villes et villages sont détruits et plus de 80 massacres commis. Comme enjeu crucial, il fallait à tout prix vider la Palestine centrale de ses populations pour installer les nouveaux arrivants en Terre promise. « Le droit souverain de tuer n’est soumis à aucune règle dans les colonies » (Achille Mbembe).
La déclaration de Balfour
Face aux persécutions antisémites et aux pogroms en Europe de l’Est et ailleurs, le mouvement sioniste, toutes tendances confondues, avait pour objectif le transfert de population de la diaspora en Palestine. Cette terre ancestrale appartenant de droit divin à Eretz Israël, selon le discours sioniste, était « une terre vide pour un peuple sans terre ». Pour Theodore Herzl, fondateur et principal dirigeant du sionisme, un Etat juif souverain était l’objectif fondamental du mouvement. La bible est considérée, dans la pensée sioniste, comme un livre d’histoire. Tout israélien croit que le peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Torah. Historiquement, la diaspora juive ne naquit pas de l’expulsion des hébreux de Palestine, mais de conversions successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au Proche-Orient (Shlomo Sand). Theodore Herzl, le fondateur du sionisme, n’a-t-il pas proposé en 1903, avant la publication de la Déclaration de Balfour, l’établissement d’une implantation juive au Kenya, connu sous le nom de projet Ouganda?
Le 2 novembre 1917, le gouvernement mandataire de la Palestine, dans un court texte de 67 mots, appelé «Déclaration de Balfour», décide unilatéralement d’octroyer « un foyer national au peuple juif ». La Déclaration est la lettre envoyée par le ministre britannique des affaires étrangères, Arthur Balfour, au baron Lionel Walter Rothschild, financier du mouvement sioniste. La lettre précise que « les droit civils et religieux » seront respectés mais il ne sera jamais question des droits politiques des Palestiniens. Les indigènes sont ici désignés en tant que « communautés non juives », ils n’obtiennent pas, contrairement aux juifs, de reconnaissance politique. La Déclaration est un des documents diplomatiques les plus importants de l’histoire moderne du Moyen-Orient. Ce document constitue une grande avancée pour le sionisme politique qui obtient une garantie juridique internationale qui lui servira de faire-valoir à légitimer la création de l’Etat hébreu (Lisa Romeo). Une correspondance entre un homme politique et un banquier qui n’a aucune force de loi est considérée comme le texte constitutif de l’Etat juif. Une simple lettre a contribué à mettre en branle une dynamique conflictuelle qui n’a pas cessé de bouleverser le MENA et les autres régions géopolitiques.
Après la défaite de l’Empire ottoman, la Société des nations confie en 1920 au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine. La décision de partage de la Palestine trouve sa première expression dans plusieurs propositions au cours de la période 1920-1948. La proposition de création d’un Etat fédéral ne fut pas acceptée. Curieusement plusieurs groupes, juifs et palestiniens, sont en train aujourd’hui d’examiner cette proposition comme solution pour l’après-Gaza. Le Conseil de sécurité adopta finalement la proposition de deux Etats bien qu’on était conscient qu’elle ne réglerait pas le problème. La résolution du 29 novembre 1947 est adoptée par un vote au nombre inférieur au deux tiers exigé réglementairement. L’assemblée générale des Nations Unies était constituée seulement de 59 Etats, le reste du monde, le Tiers Monde, absent, était sous domination coloniale européenne. La Grande Bretagne qui a intrigué avant même l’attribution du mandat de la Palestine s’était finalement abstenue tandis que la France avait voté pour le partage.
La partition avait créé unilatéralement un Etat juif sur une superficie de 56 %, un État arabe, 42 % et la ville d’Al Qods, 2 %. La population totale de Palestine était composée pour deux tiers d’Arabes et un tiers de Juifs. Le plan fut accepté avec empressement par l’Agence juive mais rejeté par les Etats arabes avec indignation sans présenter d’alternative crédible et pratique. Le plan de partage de 1947 est établi de telle sorte que son application entravera la libre circulation des populations. Le partage constitue une importante étape dans le « vol de l’histoire » des Palestiniens pour ne pas citer le titre de l’ouvrage de Jack Goody. Cette partition à laquelle les Palestiniens n’ont pas pris part est l’imposture la plus scandaleuse du XXe siècle. Dès le début, le jeu était pipé, ‘El rakba mailya’, comme dirait le dicton populaire algérien.
La résolution 242 a activé cette tromperie en lui fabricant un consensus international. Il n’est plus aujourd’hui question de se référer à la résolution de 1947 mais à celle de 1967. Le conflit israélo-palestinien n’est pas contextualisé comme la condamnation sans équivoque de l’attaque du 7 octobre 2023 par les groupes armés palestiniens sous la houlette de HAMAS l’illustre fort bien aujourd’hui. Certes, «From the river to the see», le slogan phare du mouvement palestinien des années 1960 et 1970, a donné un grand espoir à « la rue arabe ». Toutefois, la déconstruction du fait colonial et du sionisme ne peut pas être un instrument de propagande populaire. Une analyse rigoureuse sans complaisance idéologique s’impose aujourd’hui plus qu’hier.
La construction d’un Etat colonial singulier
En Suisse en août 1897, lors de la tenue du premier congrès sioniste mondial, Theodore Hertz a affirmé: « A Bâle, j’ai créé l’Etat juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, tout le monde se moquerait de moi. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante ans sûrement, tout le monde acquiescera ». Cet Etat fut créé comme prédit alors que l’Etat palestinien reste une illusion aujourd’hui plus que hier. Les Palestiniens resterons probablement l’un de rares peuples sans Etat-nation.
Avant même le partage de la Palestine, les groupes armés, Irgoun et Lehi, utilisaient la terreur comme une arme privilégiée pour faire fuir les Palestiniens de leurs terres et maisons. Une « Tour et Enceinte », une stratégie de colonies, est déjà élaborée dans les années 1930. Elle a édifié 188 colonies et villages des frontières de la Palestine centrale (Hervé Amiot). D’autres programmes sont aussi mis en application pour loger les nouveaux arrivants. Depuis, les colonies poussent comme des champignons jusqu’à nos jours. Le contrôle territorial s’accompagne de la destruction les lieux de mémoire collective afin de considérer l’occupation comme un fait accompli sur une terre sans peuple (Azmi Bishara). « Les animaux humains », selon le ministre israélien de la Défense, ne peuvent pas avoir de patrimoine culturel et archéologique.
Le Premier ministre Yitzhak Shamir, en se remémorant de l’époque où il était commandant de Lehi également connu sous le nom de « Gang Stern » admet l’utilisation des actes de terrorisme. Les juifs auraient été en droit de recourir au terrorisme pour construire l’Etat juif. « Ni l’éthique juive, ni la tradition juive ne peuvent disqualifier le terrorisme comme moyen de combat », écrit-il en 1943 in le Journal de l’organisation de Lehi (Alain Marshal). Mais les Palestiniens, souligne-t-il, « se battent pour une terre qui n’est pas la leur. C’est la terre du peuple d’Israël ».
Le président Harry Truman (1945-1953) a subi d’énormes pressions sans pareil mesure de l’Organisation sioniste mondiale et d’autres forces politiques pour endosser la proclamation de l’Etat israélien. « Je pense n’avoir jamais vu autant de pressions et de propagande ciblant la Maison Blanche qu’à cette époque-là. L’opiniâtreté de certains dirigeants extrémistes du sionisme, animés par des desseins politiciens et proférant des menaces politiques, me perturbait et m’irritait ». Le président des Etats-Unis ajoute dans ses Mémoires, « Certains suggéraient même que l’on exerçât des pressions sur des nations souveraines afin qu’elles aillent dans le sens d’un vote favorable à l’Assemblée générale ». Le sionisme était en capacité d’exercer d’énormes pressions sur la première puissance mondiale pour endosser la proclamation de l’Etat juif. Ce pays n’était pas pourtant impliqué dans l’extermination et la persécution de plusieurs millions de juifs. Cela n’empêche pas que les Etats-Unis soutiennent Israël militairement sans limites en dépit de la Loi Leahy interdisant la vente d’armes à toute armée étrangère commettant des « violations fragrantes » du droit humanitaire. Une potentielle opposition du Congrès n’est nullement nécessaire pour cesser la livraison d’armes. Il suffirait juste d’appliquer la loi qui existe depuis 1997 renforcée en 2008 (Sylvian Cypel).
Le président Barack Obama, à la veille de son départ de la Maison Blanche, n’a même pas pu exercer son droit de veto au Conseil de Sécurité pour bloquer l’implantation de nouvelles colonies juives. Au début du mandat, il avait été pourtant « grassement payé » à Oslo pour faire respecter les résolutions des Nations Unies et le droit international.
Le soutien américain à Israël, après la tenue des élections présidentielles, ne sera pas réformé, il sera inconditionnel, comme par le passé. L’administration américaine sous la direction des républicains ou démocrates ne modifiera pas fondamentalement la donne. Le nouvel enjeu se jouera en Ukraine où une guerre s’enlise depuis deux années. Le soutien militaire occidental à l’Ukraine a aggravé la situation et a prolongé les souffrances des populations. Le président Trump a promis lors de la campagne électorale de sceller un deal avec le président Poutine pour mettre un terme au conflit russo-ukrainien.
La politique extérieure américaine, contrairement à une large opinion, n’est pas souvent conduite par l’intérêt national quand il est question du conflit israélo-palestinien. C’est Israël qui a été dans plusieurs instances en capacité d’instrumentaliser les Etats-Unis. C’est la première fois qu’un pont aérien de livraisons d’armes à Israël est mis en place sans interruption depuis le début de la guerre jusqu’ à nos jours (Gilbert Achcar). Bombes et obus d’artillerie sont tirés sur le territoire palestinien et au Liban. L’administration américaine agit aussi pour dissuader des acteurs régionaux de prêter main forte à la résistance palestinienne. Tsahal habituée aux guerres éclaires n’aurait pas eu la capacité de mener une telle guerre sans ce ravitaillement. Cette guerre trouvera son premier dénouement qu’au lendemain de la tenue des élections présidentielles américaines.
La superficie d’Israël est passée de 56 % à plus de 76 % au lendemain de la guerre de 1948. En plus Israël en 6 jours de guerre en 1967 s’est accaparé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est, de la bande de Gaza, de la péninsule égyptienne du Sinaï et du plateau syrien du Golan. En moins d’une semaine, Israël tripla son emprise territoriale et détruit le potentiel militaire des Etats arabes. Les terres et biens conquis en 1967 constituent le nouveau butin de guerre d’autant plus que la question sécuritaire devient le leitmotiv dans le nouveau discours israélien. Dès son retour au pouvoir en 2009, Le PM Netanyahou, selon ses propres propos, a mené une politique systématique pour saper toute tentative conduisant à diviser les groupes palestiniens et par conséquent à rendre l’idée de deux Etats caduque. A la veille l’attaque du 7 octobre, PM israélien a exposé aux Nations Unies une carte récente d’Israël sur laquelle la Palestine n’existe plus. Cette carte ne montre plus les territoires occupés et les terres annexées sur lesquels l’Etat palestinien indépendant verrait le jour. Il a même effacé « l’Etat gruyère » supposé être le futur Etat Palestinien soutenu par tous les acteurs de la communauté internationale.
Le processus du nettoyage ethnique mis en branle dans les années 1940 a entamé sa deuxième grande étape dans la bande de Gaza en octobre 2023. La troisième étape serait, selon toute vraisemblance, le Liban-Sud. Ben Gourion, fondateur du parti Travailliste, déclara bien avant le déclenchement de la guerre de six jours, que « les frontières des aspirations sionistes incluent le Liban-sud, le sud de la Syrie, la Jordanie, toute la Cisjordanie et le Sinaï ». Il ajoute sans détours de langage : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place ». Les autres responsables, du Likoud qu’aussi bien du parti travailliste et des autres partis de droites et d’extrêmes droites abondent dans le même sens.
La question de deux Etats indépendants
La solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien, acceptée par la communauté internationale, ambitionne à la fois de délimiter définitivement les frontières de l’Etat hébreu et de créer un Etat palestinien indépendant et viable ayant pour capitale Al Qods. Cette approche suppose que le pouvoir colonial israélien est assimilable à n’importe quel fait colonial. Historiquement le sionisme n’est ni le pouvoir britannique en Inde ni le pouvoir français au Vietnam, en Algérie ou ailleurs. L’Etat hébreu est un « Etat guerrier résolu à s’agrandir » (le général Charles de Gaulle). Toute la population israélienne est mobilisée en permanence pour faire face un danger imminent qui anéantirait, selon le discours officiel, l’existence de l’Etat juif et du peuple élu. La menace existentielle utilisée comme un leitmotiv dans le discours sioniste, selon John Mearsheimer, n’est pas un argument sérieux. Ni Hamas ni le Hezbollah n’ont l’intention de remettre en cause l’existence de l’Etat hébreu et encore moins de jeter les juifs à la mer.
L’idée à deux Etats a été soutenue depuis 1967 par un fort consensus dans le monde: la communauté internationale, les partis politiques, des ONG, des hommes d’affaires, des faiseurs d’opinion et des intellectuels. Noam Chomsky, un juif américain dont son monumentale œuvre a influencé deux à trois générations de la mouvance progressiste et démocrate dans le monde s’inscrit finalement dans le mainstream sur la question palestinienne. Edward Saïd, un palestinien chrétien, né à dans la ville occupée de Jérusalem, a aussi soutenu l’idée de deux Etats. A Oslo, Saïd constata la grande tromperie et se retira toutefois du projet mort-né. L’auteur de l’Orientalisme qualifia les Accords d’Oslo, salués âprement par les médias, de « Traité de Versailles ». Yasser Arafat, entouré d’une équipe d’incompétents, a accepté sans coup férir les accords d’Oslo (Edward Saïd). Son successeur, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, travaille sans relâche et avec zèle à l’exécution des résolutions pour le partage Kafkaien de la Cisjordanie (Alain Gresh).
Le succès du projet de deux Etats reposait en réalité sur la mise en place d’un préalable cardinal : la dé-sionisation de l’Etat Israélien. L’Etat hébreu ne pouvait pas à la fois rester un Etat théocratique et prêchait un Etat palestinien à côté de lui. La loi du 19 juillet 2018 consolide la judaïsation de l’Etat définissant Israël comme « l’État-nation du peuple juif ». Cette loi précise que « le droit d’exercer l’auto-détermination au sein de l’État d’Israël est réservé uniquement au peuple juif ». Un Etat paria parvient à imposer en toute impunité « un régime d’apartheid » aux Palestiniens en opposition aux résolutions des Nations Unies et au droit international.
La communauté internationale salue la chute de l’apartheid en Afrique du Sud mais reste silencieuse quant à son institutionnalisation dans le pays «le plus démocratique» de la région.
Le choix de la démocratie occidentale a été imposé paradoxalement par le courant socialisant du sionisme. Un double enjeu caractérise ce choix stratégique. Le premier objectif favorise le soutien idéologique et symbolique de l’occident au processus à la construction étatique. Le second vise à disposer de la rente que « l’industrie de l’holocauste » génère en Europe et aux Etats Unis (Norman Finkelstein). Le financement des institutions modernes, la prise en charge de la modernisation et de l’implantation de nouvelles colonies sont soutenus par une rente singulière plus stable et régulière que la rente énergétique.
L’ancien président James Carter, le sponsor des Accords de Camp David, n’a pas attendu la loi de 2018 pour décrire une situation d’apartheid prévalant en Cisjordanie. En 2006 il constate lors de sa mission d’observation: « Quand Israël occupe une grande partie de la Cisjordanie, relie par des routes quelque deux cents colonies, mais interdit aux Palestiniens de les utiliser ou même, souvent, de les traverser, ce sont des formes de ségrégation ou d’apartheid pires que ce qu’on a jadis connu en Afrique du Sud ». Cette loi a fait dissiper tous les espoirs de voir un jour un Etat Palestinien du moins pour ceux qui ont cru au mirage des deux Etats.
En 2006, l’envoyé spécial du président Jacques Chirac en territoires occupés, Régis Debray, rapporte le constat accablant : « Les bases physiques, économiques et humaines d’un État palestinien sont en voie de disparition». Plus 5 000 franco-israéliens participent aujourd’hui la guerre génocidaire dans l’enclave de Gaza. Les autorités françaises ne peuvent rester silencieuses lorsque leurs citoyens sont impliqués dans des crimes contre l’humanité. Les manifestations pour l’arrêt de cette guerre sont interdites dans le pays des droits et du citoyen. Les vas-t-en guerre considèrent que les manifestants de paix sont des antisémites, Le lobby sioniste exprime une force politique très influente, il représente pourtant une communauté minoritaire n’excédant pas un demi-million de personnes sur une population totale de plus de 68 million. Les critiques émises en Israël à l’égard du gouvernement hébreu sont parfois beaucoup plus virulentes dans les médias que celles que l’on peut lire ou entendre en France. Il n’est pas permis en France de critiquer la politique israélienne, a conclu Pascal Boniface en proposant son livre à des maisons d’éditions. Le CRIF est aujourd’hui plus intransigeant que l’AIPAC.
L’espoir de récupération des terres et biens spoliés apparaît de plus en plus chimérique. Dès lors, la lutte pour l’égalité des droits entre les deux peuples, en dépit qu’elle soit séparée par un fossé abyssal, doit être intégrée dans une nouvelle stratégie. Le principe de « l’échange la terre contre la paix » adopté par la ligue des Etats arabes au début des années 1980 pourrait trouver sa pleine justification pour sa mise en place dans le nouvel ordre sécuritaire. Autrement, c’est le chaos régional en perspective que les Etats-Unis redoutent, paradoxalement!!!!!
Dr Rachid Tlemçani, Professeur des universités
*Cet article est un résumé de l’ouvrage, La guerre génocidaire à Gaza : la deuxième Nakba
** Rachid Tlemçani, professeur en Relations Internationales et Etudes Comparées, a exercé dans plusieurs universités et think tanks, notamment, à Harvard University, Georgetown University, Uppsala University, European University Institute et Carnégie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles dans des revues spécialisées et la presse algérienne.