Surpopulation carcérale, tortures, viols et absence de soins : L’horrible supplice des prisonniers palestiniens
Salima Tlemçani, El Watan, 7 juillet 2024
Torture, agressions sexuelles, viols, privation de nourriture, de soins
médicaux, de visite d’avocats et de membres de la famille, amputation
d’un des membres sans anesthésie, enchaînement des membres et bandage
des yeux font partie du traitement violent et inhumain des détenus
palestiniens dans les prisons israéliennes qui abritent plus de 24 000
détenus, pour des capacités ne dépassant pas les 12 000, selon des
sources officielles. Si la prison Sde Teiman, d’où ont été libérés les
56 détenus ayant témoigné sur les graves violations dont ils ont fait
l’objet, a été fermée, plusieurs autres sont de véritables mouroirs.
Retour vers l’autre guerre contre les Palestiniens dans les prisons
israéliennes.
Jamais le débat sur les détenus palestiniens dans les prisons
israéliennes n’a été aussi enflammé que durant ces derniers jours,
levant, dans son sillage, le voile sur une situation terrifiante et
déshumanisée à laquelle sont soumis les prisonniers. Torture physique et
morale, enchaînement, isolement, privation de soins, de nourriture et
d’eau, de literie, des avocats et des membres de la famille font le
quotidien de ces milliers de Palestiniens arrêtés depuis le 7 octobre
dernier à Ghaza et détenus dans des centres de détention de Sde Teiman,
Anatot, Damon ou Ofer, cités parmi les prisons mouroirs.
Selon les données des services pénitentiaires israéliens, citées par
l’Ong de défense des droits de l’homme, Hamoked, qui assiste les
Palestiniens victimes de violations, jusqu’au 1er juillet courant,
Israël détenait 2059 prisonniers condamnés, 2783 personnes en détention
provisoire, 3379 personnes en détention administrative sans jugement et
1402 détenus, classés comme «combattants illégaux».
Ces statistiques concernent, souligne l’ONG, tous les détenus y compris
ceux qui se trouvent à la prison Ofer, en Cisjordanie, et précise que
«l’écrasante majorité des détenus de sécurité sont des Palestiniens des
territoires occupés.
La détention de prisonniers et de détenus des territoires occupés en
Israël constitue une violation flagrante de la 4e Convention de Genève,
qui interdit le transfert de prisonniers et de détenus hors des
territoires occupés et viole également les droits humains fondamentaux
consacrés, entre autres par la loi israélienne».
Ces chiffres dépassent largement les capacités des centres de détention
poussant les responsables des services du Shin Beth (agence de sécurité
israélienne) à décider de libérer les détenus qualifiés de «moins
dangereux» et ne garder que ceux considérés comme les «plus dangereux».
Des élargissements qui ont suscité des échanges houleux d’accusations
entre les plus hauts responsables des institutions sécuritaires
israéliennes et levé le voile sur le traitement inhumain, voire violent
à l’égard des prisonniers palestiniens soumis à des actes de tortures
ayant abouti à la mort de nombreux détenus.
Le patron du Shin Bet, Ronen Bar, s’en est pris au gouvernement,
particulièrement au ministre extrémiste de la Sécurité nationale, Itamar
Ben-Gvir, qui a fait campagne pour une gestion plus restrictive des
droits des détenus, voire leur exécution sommaire, l’accusant d’avoir
ignoré des mois de mise en garde contre la surpopulation carcérale et
ses appels pour de nouveaux centres d’accueil.
La polémique a démarré avec la libération, lundi dernier, du docteur
Mohammed Abu Selmiya, directeur de l’hôpital Al Shifa à Ghaza, avec plus
d’une cinquantaine d’autres détenus du centre de Sde Taiman, et ses
témoignages sur la torture, le mauvais traitement, l’isolement,
l’enchaînement, les privations de médicaments, de soins, de nourriture,
d’eau, etc.
Témoignages choquants sur la déshumanisation des conditions de détention
Des récits qui ont fait réagir de nombreuses ONG internationales des
droits de l’homme ainsi que les experts onusiens qui ont dénoncé des
violations graves aux droits internationaux et humanitaires. Mais
l’extrémiste Ben-Gvir n’a pas pour autant changé son avis sur le
maintien des conditions terrifiantes de détention imposées aux Palestiniens.
«Il y a une surpopulation dans les prisons (…) Je n’ai jamais pensé à
libérer des »terroristes » des prisons à cause de la surpopulation (…)
C’est l’essence même du désaccord entre moi et le chef du Shin Bet,
Ronen Bar, qui estime que les conditions de détention des
»terroristes », y compris la surpopulation, donnent une mauvaise image
dans le monde et pourraient conduire à une escalade (…) J’ai déjà
proposé une solution beaucoup plus simple, qui consiste à légiférer en
faveur de la peine de mort pour les ‘’terroristes’’, ce qui résoudrait
le problème de la surpopulation – une législation à laquelle le Shin Bet
s’oppose également fermement», a-t-il déclaré.
«C’est une bombe à retardement», a répondu Ronen Bar pour dénoncer la
surpopulation carcérale. Selon lui, le nombre de détenus palestiniens de
la bande de Ghaza et de Cisjordanie a bondi de 14 000 à 21 000 depuis le
7 octobre, «soit presque le double des capacités des prisons», a-t-il
averti, avant de préciser qu’il était «contraint» de relâcher certains
prisonniers jugés les moins dangereux, afin de faire de la place.
Pour le patron du Shin Beth, «il y a urgence» à libérer les espaces ou à
mettre en place de nouveaux. «La surpopulation carcérale est telle, que
nous sommes obligés de renoncer à arrêter des Palestiniens de
Cisjordanie qui préparent des attentats contre des Israéliens (…) Le
niveau de risque élevé d’attentats nécessite des actions préventives de
grande ampleur qui provoquent de nombreuses arrestations.» Cela n’a pas
pour autant convaincu le Premier ministre Netanyahu.
Pour lui, la décision du Shin Beth est une «grave erreur et un échec
moral», dont il n’a pas été mis au courant. Il a donc annoncé la mise
en place d’une commission qui aura la mission de statuer sur les mises
en libération. Largement médiatisées, toutes ces querelles n’ont pas
pour autant fait de l’ombre aux témoignages poignants des détenus
libérés sur les graves violations dont ils ont été victimes lors de leur
détention de plusieurs mois et qui ont laissé de lourdes séquelles sur
leur santé physique et morale.
«La crise dans les prisons porte atteinte à la légitimité de la
poursuite de la guerre, car elle affaiblit la défense d’Israël face à la
Cour pénale internationale», a averti le chef du Shin Beth en faisant
allusion aux mandats d’arrêt internationaux, réclamés le 20 mai dernier
par le procureur en chef de la CPI et que les magistrats de la Chambre
préliminaire de cette juridiction devraient entériner.
Raison pour laquelle la Cour suprême de l’Etat hébreu a ordonné la
fermeture, depuis mercredi dernier, du centre de détention de Sde Teiman
dans le sud d’Israël, d’où ont été libérés lundi dernier les 56 détenus.
Au moins 9623 prisonniers palestiniens sont détenus par Israël, a
déclaré le groupe de défense des droits de l’homme Hamoked, citant les
données de l’administration pénitentiaire israélienne.
«Au 1er juillet 2024, Israël détenait 2059 prisonniers condamnés, 2783
détenus et 3379 détenus administratifs sans procès. Israël détient
également 1402 personnes qualifiées de »combattants illégaux »», a
déclaré le groupe. Le terme «combattants illégaux» est utilisé par
Israël pour désigner les Palestiniens de la Bande de Ghaza détenus au
cours de l’offensive qu’il mène contre l’enclave depuis le 7 octobre
dernier.
Une couverture légale pour la pratique de la torture
Pour le Club des prisonniers palestiniens «les éléments les plus
marquants reflétés dans les récits des détenus et les témoignages d’un
certain nombre d’entre eux lors des visites limitées dans les prisons et
centres de détention «israéliens» sont le maintien des détenus
enchaînés et les yeux bandés, 24 heures sur 24 et les yeux bandés, les
passages à tabac avec tous les moyens et outils, y compris des matraques
et des chiens policiers, la privation de nourriture, pratiques
humiliantes en utilisant divers moyens et outils, les insultes à tout
moment et intimidations et des menaces, l’interdiction des
communications entre détenus sous peine de sanctions, la privation de
soins médicaux et amputation (dont certains, faute de soins ou en
conséquence aux mauvais traitements, d’un des membres sans anesthésie,
agression sexuelles, viols».
Selon l’Ong, «les récits et les témoignages des détenus de Ghaza
constituaient un changement notable dans le niveau de brutalité du
système d’occupation, qui reflétait un niveau sans précédent de crimes
de torture, de tortures et de famines, ainsi que de crimes médicaux
organisés, qui ont entraîné le martyre de dizaines de détenus, en plus
des exécutions sur le terrain qui ont été perpétrées contre d’autres,
bien que les institutions compétentes n’aient annoncé que six témoins
parmi les 18 martyrs arrêtés depuis le début de la guerre du génocide,
dont le médecin Adnan Al Barch, tandis que l’occupation continue de
cacher les noms des détenus qui ont été tués dans les prisons de
l’occupation».
Des récits d’horreur qui ont poussé les experts de l’Onu, à exprimer
leur «inquiétude face aux abus inacceptables», subies par les détenus
palestiniens dans les prisons israéliennes, avant d’exiger «une enquête
indépendante». Intervenant à partir de Genève, la porte-parole du
Haut-Commissariat des droits de l’homme, Ravina Shamdasani, a déclaré
avoir «reçu des rapports très inquiétants et très pénibles sur la façon
dont les détenus palestiniens sont traités par les forces israéliennes
depuis le 7 octobre».
Ces informations font état de personnes détenues au secret… de
torture, de mauvais traitements, de menottes, de privation de
nourriture, d’eau, de médicaments (…) mais également signalant «des
allégations d’abus sexuels sur des détenus». Pour l’experte : «C’est
inacceptable et cela doit cesser», dit-elle.
Parallèlement à ce point de presse, dans une déclaration commune, la
rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’indépendance des juges et
des avocats, Margaret Satterthwaite, et la rapporteuse spéciale sur les
droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Francesca
Albanese, ont déclaré affirmé que «le double système des tribunaux
israéliens en Cisjordanie fournit une couverture légale à la torture et
aux traitements cruels contre les détenus palestiniens et rend
impossible la tâche de leur défense».
Pour les deux expertes onusiennes, «les garanties d’un procès équitable
et public, conformément aux normes internationales, incluent
l’indépendance et l’impartialité des tribunaux et exigent que le système
judiciaire ne s’appuie pas sur le pouvoir discrétionnaire d’une branche
quelconque du gouvernement, en particulier du pouvoir exécutif et les
forces armées».
Les deux rapporteurs ont par ailleurs expliqué que «le double système
judiciaire établi en Cisjordanie, en violation du droit international, a
renforcé la légitimité de l’occupation et des colonies illégales dans le
territoire palestinien occupé grâce à un régime de sanctions militaire
strict qui n’est appliqué que aux Palestiniens sans garantie d’une
procédure régulière». Ils ont appelé Israël à «annuler l’ordre militaire
et les lois et réglementations connexes à dissoudre le tribunal
militaire et à garantir le droit à un procès équitable en Cisjordanie».