Épuisées par des déplacements sans fin sous les balles et les bombes : 57 000 femmes enceintes de Ghaza exposées à la mort et aux fausses couches

Salima Tlemçani, El Watan, 9 juillet 2024

Soumises à l’épuisement engendré par les déplacements forcés d’une zone
vers une autre, plus de 57 000 femmes enceintes que compte la ville de
Ghaza risquent de perdre leur fœtus, et au pire leur vie. Selon les
services de santé de l’enclave, chaque heure, deux mères perdent la vie
alors que des centaines d’autres avortent ou donnent naissance à des
prématurés, faute de soins, de prise en charge, de nourriture, ou tout
simplement en raison de l’épuisement, la guerre et la peur. Une
situation inquiétante suscitée par cette guerre génocidaire menée par
Israël, depuis déjà huit mois.

Déplacées sous un déluge de bombes et de balles israéliennes, du nord
vers le sud, du sud vers le centre, et encore une fois du centre vers le
sud, les femmes enceintes de Ghaza vivent continuellement dans la peur
et la terreur, et ce, depuis le début de la guerre génocidaire il y a
neuf mois. Un traumatisme à répétition qui les met en danger de mort à
chaque instant et expose leur grossesse à une interruption brutale, avec
toutes les complications possibles, en l’absence de prise en charge
médicale.

Des récits glaçants ont été rapportés par de nombreux médias
palestiniens sur cette pénible marche de centaines, voire de milliers de
femmes enceintes. Certaines n’ont pu résister à la fatigue, la soif et
le manque de nourriture et surtout la peur d’être la cible des balles et
des bombes qui pleuvent sur leur route durant ces nombreux va-et-vient
entre le Nord et le Sud, trimballant des ballots d’effets personnels sur
le dos. Epuisées, bon nombre d’entre elles ont perdu leur enfant dès les
premiers mois de leur grossesse.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms), les 57 000 femmes
enceintes à Ghaza «ont du mal à maintenir leur grossesse, exposant ainsi
leur fœtus, leur vie, ou les deux à la fois, au risque de mort en raison
de leur manque de protection, exigence minimale pour le suivi périodique
de la grossesse». Dans un rapport publié il y a moins d’un mois,
l’Organisation a affirmé qu’au moins deux mères meurent chaque heure à
Ghaza. Ce qui donne une moyenne de 48 mamans qui décèdent chaque jour
dans l’enclave.

A cela s’ajoute, précise l’OMS, «les centaines d’avortements et de
naissances prématurées enregistrés par les hôpitaux de Ghaza. Parmi ces
dernières, certaines ont eu lieu dans des conditions très difficiles,
voire sans les soins primaires et sans respect des normes
protocolaires». Le rapport précise, par ailleurs, que «les
préoccupations vont au-delà de la question de la vie des mères à la
naissance du bébé», expliquant que «sur les 20 000 naissances
enregistrées à Ghaza, la majorité des bébés souffrent de malnutrition,
en raison du manque sur le marché de nombreux produits alimentaires que
la mère doit prendre pendant l’allaitement».

En effet, la guerre contre Ghaza a réduit à néant toutes les
infrastructures de base et détruit une grande partie des commerces,
marchés et bâtiments résidentiels, mettant à l’arrêt tous les circuits
d’approvisionnement en produits de première nécessité. Même l’aide
humanitaire sur laquelle comptait la population de Ghaza est bloquée
durant des mois.

Utilisée comme arme de guerre, la famine a fini par s’installer et tuer
de nombreux enfants. Le lait infantile, recommandé pour remplacer le
lait maternel, n’est plus disponible et les alternatives utilisées à
Ghaza, comme le lait de l’Unrwa, «ne conviennent pas aux nourrissons et
provoquent de très mauvais symptômes de santé lorsqu’elles sont
consommées», affirment certaines mamans au journal électronique
palestinien Al Quds Press.

700 000 femmes et filles à Ghaza peinent à trouver des produits d’hygiène

Les femmes enceintes font face aussi à un défit majeur, celui de trouver
des serviettes hygiéniques et surtout de l’eau potable. Le rapport de
l’OMS avance un nombre de «700 000 femmes et filles de Ghaza qui ont du
mal à se procurer des produits d’hygiène personnelle en raison de leur
rareté sur les marchés».

La situation dans les camps de personnes déplacées est encore pire en
raison de la rareté des installations sanitaires. Certaines ONG ont
évoqué un nombre d’utilisateurs de toilettes dépassant les 700 personnes
déplacées par salle de bains. L’une des sages-femmes travaillant à
l’hôpital Al Awda, au centre de Ghaza, a déclaré au site Al Quds Press
que «l’hôpital, doté de capacités modestes, est responsable du suivi de
20 000 grossesses dans le sud de la bande de Ghaza.

Les défis auxquels nous sommes confrontés sont le manque de consommables
médicaux pour couvrir le grand nombre d’accouchements qui ont lieu par
césarienne et non par des accouchements naturels, comme c’était le cas
dans le passé en raison du manque de lits suffisants pour couvrir les
besoins de tout le département».

Selon l’interlocutrice du média palestinien, il existe «une augmentation
significative des fausses couches, dont certaines sont liées à la
malnutrition, à l’épuisement et à la fatigue dus aux déplacements et aux
mouvements constants, les mères portant des objets lourds, en
particulier des gallons d’eau, l’étouffement auquel les mères sont
exposées en allumant un feu, etc.».

Elle ajoute que «les fours à bois et à papier, en plus de la propagation
des risques pour la santé et des odeurs de déchets, provoquent des
fluctuations hormonales chez les femmes, entraînant une fausse couche»,
écrit le média.

Il y a quelques jours, le ministre palestinien de la Santé avait prévenu
que «le travail des hôpitaux s’arrêtera d’ici quelques heures en raison
de l’épuisement du carburant nécessaire au fonctionnement des
générateurs, malgré les dures conditions météorologiques».

Une situation dramatique aggravée par la rareté du carburant et des
médicaments bloqués par l’entité sioniste, mais aussi par les opérations
de bombardement des infrastructures de santé, qui ont mis hors-service
plus d’une trentaine d’hôpitaux depuis le 7 octobre dernier.

Selon l’Unrwa, sur les 84 000 personnes nouvellement déplacées, 10 600
ont trouvé refuge dans 27 endroits, dont des écoles de l’agence
onusienne, où des points de santé provisoires sont disponibles et sont
de plus en plus sollicités pour faire face à la demande, alors que les
raids israéliens continuent à les prendre pour cibles.

«De nombreuses personnes ont perdu des membres de leur famille. Les
femmes enceintes et les personnes handicapées sont parmi les plus
vulnérables, car elles ne peuvent pas se déplacer facilement lors des
déplacements forcés, et les milliers d’enfants non accompagnés et
séparés de leur famille suscitent une grande inquiétude», a déclaré un
responsable de l’Office onusien de coordination des affaires
humanitaires (Ocha).

Et d’ajouter cependant qu’«il devient presque impossible pour l’ONU de
fournir une quelconque réponse en raison du siège imposé par Israël, du
manque de carburant, du manque de fournitures d’aide, du manque de
sécurité et de toutes les difficultés pour notre personnel, qui lutte
lui-même pour survivre pendant cette guerre». Et de relever que «depuis
l’invasion de Rafah et les vastes opérations militaires dans le Sud, les
zones sud de Ghaza sont désormais semblables aux scènes apocalyptiques
du nord et de la ville».