Douze anciens fonctionnaires américains dénoncent le soutien de leur pays à Israël : «Les choix politiques des USA ont engendré un désastre»
Salima Tlemçani, El Watan, 4 juillet 2024
Les douze responsables du Département d’Etat américain qui ont
démissionné, il y a plus d’un mois, estiment que la politique américaine
à l’égard de Ghaza constitue un «échec» et est «une menace pour la
sécurité nationale des Etats-Unis».
Dans une déclaration commune, diffusée hier, les douze fonctionnaires de
l’administration américaine qui avaient démissionné, il y a un mois, en
signe de protestation contre le soutien de leur gouvernement à la
guerre que mène Israël contre Ghaza, depuis neuf mois, ont qualifié la
politique américaine du président Joe Biden, d’«échec» et de «menace
pour la sécurité nationale des Etats-Unis» et affirmé que «la couverture
diplomatique et le flux continu d’armes vers Israël ont assuré notre
indéniable complicité dans les meurtres et la famine forcée d’une
population palestinienne assiégée à Ghaza».
Dans cette déclaration de deux pages, les signataires commencent par se
désigner comme «experts représentant l’inter-agence» qui «constituent
une communauté multiconfessionnelle et multiethnique de professionnels
et patriotes dévoués au service des Etats-Unis d’Amérique, de son peuple
et ses valeurs.
Que ce soit dans la fonction publique, le service extérieur, les forces
armées ou en tant que politiques nommés, chacun de nous a prêté serment
de protéger et de défendre la Constitution des Etats-Unis», avant de
rappeler avoir démissionné «en raison de nos graves inquiétudes
concernant la politique actuelle des Etats-Unis face à la crise à Ghaza,
et plus largement les politiques et pratiques américaines à l’égard de
la Palestine et d’Israël.
Et alors que notre nation célèbre son jour d’Indépendance, chacun de
nous se voit rappeler à démissionner du gouvernement non pas pour
mettre fin à ce serment, mais pour continuer à le respecter ; ne pas
finir notre engagement de service, mais de le prolonger. Seuls, nous
avons chacun pris la sombre et difficile décision de démissionner en
fonction de nos besoins individuels (…) Mais aujourd’hui, nous sommes
unis dans la conviction commune que c’est notre responsabilité collective».
Pour les signataires, «nous sommes unis dans la conviction commune que
c’est notre responsabilité collective de prendre la parole». Ils
estiment que la politique américaine à l’égard de Ghaza constitue un
«échec» et est «une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis».
Ils soulignent que «la couverture diplomatique et le flux continu
d’armes vers Israël ont assuré notre indéniable complicité dans les
meurtres et la famine forcée d’une population palestinienne assiégée à
Ghaza.
Ce qui est non seulement moralement répréhensible et constitue une
violation flagrante du droit international humanitaire et les lois
américaines, mais cela a également mis une cible dans le dos de l’Amérique.
Cette politique intransigeante met en danger les Etats-Unis, la sécurité
nationale et la vie de nos militaires et diplomates, comme cela a déjà
été fait avec le meurtre de trois militaires américains en Jordanie en
janvier et les évacuations des installations diplomatiques au
Moyen-Orient (…) et pose également un risque pour la sécurité des
citoyens américains au Moyen-Orient».
S’adressant aux «milliers de personnalités honorables encore au
gouvernement qui sont quotidiennement face à des choix moraux et
personnels difficiles» en soulignant que «les choix politiques
américains ont engendré un désastre».
«Famine fabriquée»
Ils rappellent qu’à ce jour, «plus de 37 000 Palestiniens ont été tués,
la majorité des infrastructures civiles et humanitaires ont été
détruites, des milliers d’innocentes personnes restent portées disparues
sous les décombres et des millions d’autres continuent d’être
confrontées à une famine fabriquée de toutes pièces en raison des
restrictions arbitraires imposées par Israël sur la nourriture, l’eau,
les médicaments et d’autres aides humanitaires essentielles».
Pourtant, font-ils savoir, «plutôt que de tenir le gouvernement
israélien pour responsable de son rôle, entravant l’aide humanitaire,
les Etats-Unis ont coupé le financement du plus grand fournisseur d’aide
humanitaire à Ghaza : l’Unrwa, l’agence des Nations unies pour les
Palestiniens.
Nous notons avec davantage d’inquiétude et de tristesse que la politique
américaine depuis de nombreuses années, mais en particulier depuis
octobre 2023, a non seulement contribué à d’immenses dégâts
humanitaires, mais a échoué par rapport à sa propre intention déclarée :
contribuer à la paix et à la sécurité au Moyen-Orient, et
particulièrement celui d’Israël.
Plutôt que d’utiliser notre immense levier pour établir des garde-fous
qui peuvent guider Israël vers une paix durable et juste, nous avons
facilité ses actions autodestructrices qui ont approfondi son bourbier
politique, contribué à sa persistance et son isolement mondial».
Les signataires estiment que «la politique de soutien à Israël a incité
un certain nombre de responsables de son administration à démissionner,
exprimant leur opposition à sa politique et l’accusant d’ignorer les
atrocités israéliennes dans la bande de Ghaza».
Ils pensent que leur gouvernement «devrait utiliser tous les leviers
nécessaires et disponibles pour mettre un terme immédiat au conflit et
obtenir la libération de tous les otages, les Israéliens kidnappés le 7
octobre, ou les milliers de Palestiniens, dont beaucoup d’enfants,
maintenus sans inculpation en détention administrative dans les prisons
israéliennes».
Ils pensent aussi que «les Etats-Unis devraient engager le financement
et le soutien nécessaires pour garantir une expansion immédiate de
l’aide humanitaire à la population de Ghaza, et la reconstruction de ce
territoire qui est une obligation morale, étant donné que jusqu’à
présent, les destructions ont été largement causées par les armes
américaines».
Les auteurs estiment aussi que «les Etats-Unis devraient immédiatement
annoncer le soutien à l’autodétermination du peuple palestinien et la
fin de l’occupation militaire et des colonies, notamment en Cisjordanie
et Jérusalem-Est (…)».
Ils s’engagent à «travailler avec les pouvoirs exécutif et législatif
pour détailler et poursuivre ces réformes» et préviennent que «la
liberté d’expression est menacée dans ce pays», en raison «des pressions
politiques sur les collèges et les universités en particulier, qui ont
conduit à une militarisation de la réponse de la police aux
manifestations pacifiques».
«Netanyahu défie son allié»
S’adressant à leurs anciens collègues encore en poste, ils les exhortent
à utiliser leurs «positions pour amplifier les appels pour la paix» et à
tenir «vos institutions respectives responsables de la violence qui se
déroule en Palestine». Ils les interpellent en leur demandant de ne pas
«être complice» et les encouragent «à consulter vos inspecteurs
généraux, vos conseillers juridiques, avec les membres appropriés du
Congrès, et via d’autres canaux protégés, pour remettre en question la
véracité et/ou la légalité d’actions ou de politiques spécifiques».
Parmi les signataires de cette lettre, Mohammed Abu Hashem, officier du
316e Escadron de génie civil, du Département de l’armée de l’air, Anna
Del Castillo, ancien homme politique et directeur adjoint du Bureau de
gestion et d’administration à la Maison-Blanche, Tariq Habash, ancien
conseiller politique du Bureau de la planification, de l’évaluation et
de l’élaboration des politiques du Département américain de l’Education,
Maj Riley Livermore, ancien commandant de bord du Futures Flight du 413e
Escadron d’essais en vol, du Département de l’armée de l’air des
Etats-Unis, Josh Paul, ancien directeur du Bureau des affaires
politico-militaires du Département d’Etat, Annelle Sheline, ancien
officier des Affaires étrangères, du Bureau de la démocratie, des droits
de l’homme et du travail, au Département d’Etat, Lily Greenberg, ancien
responsable politique, assistante spéciale du chef de cabinet du Bureau
du secrétaire au Département américain de l’Intérieur, Stacy Gilbert,
ancien conseiller civilo-militaire principal du Bureau de la population,
des réfugiés et des migrations au Département d’Etat, Maryam Hassanein,
ancienne assistante spéciale, au Bureau du secrétaire adjoint pour la
Gestion des terres et des minéraux, du Département américain de
l’Intérieur, Harrison Mann, ancien officier de l’armée et officier
supérieur du Centre régional Moyen-Orient/Afrique de l’Agence de
renseignement de défense, Hala Rharrit, ancienne diplomate au
Département d’Etat, porte-parole pour le Moyen-Orient et l’Afrique du
Nord, Alexandre Smith, ancien conseiller principal, au Bureau de la
Santé mondiale.
Cette lettre a été publiée alors que le journal britannique The Guardian
publiait un rapport qui affirme que le Président a «échoué politiquement
et moralement dans sa gestion de la guerre israélienne contre Ghaza» et
«a fait preuve d’une faiblesse déconcertante face au Premier ministre
israélien, Benyamin Netanyahu.
Elaboré par le Centre Hagop Kevorkian pour les études sur le
Proche-Orient à l’Université de New York, le rapport affirme que Biden a
montré, depuis le 7 octobre dernier, «un soutien absolu à Israël et à
ses dirigeants, représenté par la fourniture d’armes à Tel-Aviv, le
blocage des résolutions de l’Onu, au Conseil de sécurité, contre la
tentative de saper la légitimité de la Cour internationale de justice
(CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI), en raison de leurs
critiques des actions israéliennes».
Cependant, ajoute le rapport, cité par le journal britannique, Biden
«n’a reçu aucune gratitude de la part de Netanyahu, qui a constamment
défié l’allié le plus important d’Israël et n’en a pas payé le prix. Au
contraire, il a commencé à se moquer ouvertement de Biden et de son
administration, et s’efforce de le faire, pour détruire la capacité de
Biden à utiliser les armes américaines comme moyen de pression sur Israël».