La tension monte de nouveau entre le Hezbollah et Israël : Aux limites de l’«escalade contrôlée»
Mourad Slimani, El Watan, 8 juin 2024
Depuis le 8 octobre dernier, une tension chronique faite d’incursions de drones, de tirs de roquettes et d’artillerie marque la zone, avec des pics de gravité sporadiques qui font monter les probabilités d’un conflit ouvert.
António Guterres s’alarme de l’escalade en cours entre l’armée israélienne et le Hezbollah libanais. Le secrétaire général de l’ONU, par la voix de son porte-parole, Stéphane Dujarric, a averti, jeudi dernier, que les échanges de feu depuis plusieurs jours pourraient déclencher «un conflit plus large avec des conséquences dévastatrices pour la région», avant d’appeler les deux parties à un cessez-le-feu urgent pour éviter un fort probable point de non retour.
Ce n’est pas la première fois que l’instance onusienne attire l’attention sur une montée des périls le long de la frontière. Jeudi dernier, un nouveau palier opérationnel a été franchi : pour la première fois depuis huit mois, les forces du Hezbollah ont fait usage de missiles de défense aérienne contre des avions israéliens, et affirment avoir repoussé le raid.
Michael Horowitz, analyste géopolitique spécialiste du Moyen-Orient, interrogé par l’AFP, note que le nombre de roquettes tirées à partir du Sud-Liban a triplé en mai par rapport à janvier. «Le Hezbollah utilise aussi de nouvelles armes plus efficaces, notamment les drones «kamikazes», tout en étendant sa zone d’opération», ajoute-t-il.
Depuis la semaine dernière, on est dans cette configuration ; des «dizaines de milliers de personnes», selon des comptes rendus de presse, ont dû être évacuées en Haute Galilée, au nord des territoires occupés, après que de gigantesques incendies se sont déclarés dans le périmètre.
A l’origine, des tirs de roquettes opérés à partir du territoire libanais par les unités du Hezbollah. Dans le même contexte, l’Agence de presse libanaise (ANI), rapportait, mardi dernier, que deux villages, Alma al-Chaeb et Dhayra, ont été encerclés par les feux suite au largage «de bombes incendiaires au phosphore» par l’armée israélienne.
Les grosses chaleurs qui frappent la région ont joué comme circonstances aggravantes, conférant un effet spectaculaire aux combats. Les choses ne se sont pas calmées depuis. Hier, des informations ont fait état des déclenchements de sirènes d’avertissement, «pour la première fois depuis 6 mois», à Nazareth, Reineh, Kafr Kanna, Mashhad et Nof HaGalil, au «nord d’Israël».
L’obsession de «brûler le Liban»
Mercredi dernier, le Premier ministre israélien a menacé de déclencher une offensive d’envergure contre le mouvement libanais, une «opération très intense» a-t-il dit, pour anéantir au moins les bases de lancement des attaques.
Comme toujours, les ministres d’extrême droite font monter les enchères. Itamar Ben Gvir, partisan décidément de la guerre tous azimuts, déclare qu’il était temps de lancer une opération pour «brûler», non pas seulement le Hezbollah, mais le Liban en entier.
Ces menaces ont été déjà agitées régulièrement depuis 8 mois et l’implication, certes, à basse intensité, du Hezbollah dans des «opérations de soutien à la résistance palestinienne à Ghaza».
En décembre dernier, Benyamin Netanyahu, qui pouvait compter sur une complicité plus assumée de ses alliés occidentaux, avait carrément menacé de «transformer Beyrouth et le Liban-Sud en Ghaza et Khan Younès», en référence aux massacres et dévastations que sa machine de guerre perpétrait dans l’enclave palestinienne.
Hassan Nasrallah, leader de l’organisation politico-militaire, avait, dès le 3 novembre 2023, tracé les grandes lignes de l’attitude de son mouvement dans le conflit, dans un discours très attendu et redouté par une société libanaise prise d’angoisse à l’idée d’un conflit militaire qui viendrait lui donner le coup de grâce, après des années de grave crise économique et politique, et par une communauté internationale appréhendant une déflagration régionale.
Le chef du Hezbollah s’est finalement contenté d’assurer que son organisation faisait front avec la résistance palestinienne, sans évoquer une quelconque résolution d’engager des opérations militaires d’envergure contre l’Etat hébreu.
La puissante formation chiite, dont les liens organiques avec la République islamique d’Iran sont ouvertement assumés, observe en ce sens la même attitude ambivalente, ou prudente, de Téhéran : soutien au Hamas palestinien en la conjoncture, mais pas d’implication directe et massive sur le terrain militaire.
18 ans de «dissuasion stratégique»
Du côté israélien également, et malgré une inflation de déclarations hautement belliqueuses ces derniers jours, la tendance ne serait pas forcément au conflit ouvert.
L’impact des images montrant l’évacuation de milliers d’Israéliens fuyant les incendies de la semaine dernière, ajoute un surcroît de pression sur le gouvernement, déjà enlisé dans une guerre sans fin et sans résultats à Ghaza. La radicalité des menaces qu’il profère en ce moment serait destinée à répondre à une attente de l’opinion en interne, en plus d’un effet dissuasif escompté sur l’ennemi libanais. Celui-ci développe, quant à lui, un discours pour le moins différent.
Naïm Qassem, numéro deux du Hezbollah, a déclaré, il y a quelques jours, que le but de l’organisation n’est «pas d’élargir la bataille». Il réitère, néanmoins, que le mouvement et son potentiel militaire sont prêts à «la guerre totale» si elle leur est imposée par Israël. Un autre expert interrogé par l’AFP introduit une formule qui, pour lui, résume la situation actuelle.
Michael Young, analyste au centre Carnegie pour le Moyen-Orient, estime que les deux parties procèdent à une «escalade contrôlée». «Ce ne sont pas tant des préparatifs de guerre, mais plutôt des préparatifs pour des négociations», avance-t-il tout en nuançant que cela n’exclut pas cependant la «possibilité réelle» d’une guerre.
En résumé, tous les observateurs soutiennent qu’objectivement, et compte tenu des enjeux militaires et géopolitique complexes d’une confrontation directe, les deux parties ne devraient pas laisser les choses s’emballer au-delà du niveau actuel des hostilités.
Depuis la guerre de l’été 2006, les épisodes de tension n’ont pas manqué, mais la phase de «dissuasion stratégique» dans laquelle les deux entités sont entrées est restée de mise depuis près de 18 ans. La guerre contre Ghaza la met sévèrement à l’épreuve, certes, depuis huit mois, mais la donne demeure globalement figée. Il est dans la nature des conflits armés, cependant, d’être imprévisibles et de pouvoir déborder, avertit-on encore.