Panique et grande confusion à Tel-Aviv

Mourad Slimani, El Watan, 4 juin 2024

On ne sait plus, au final, si la proposition est israélienne ou américaine, si Washington a coordonné réellement avec Tel-Aviv sur la question, ou si la Maison Blanche tente de forcer la main à un Netanyahu de plus en plus désemparé et conscient des limites de son jusqu’au-boutisme.

Benyamin Netanyahu et son gouvernement sont de nouveau sur le point de saborder une nouvelle initiative de négociations sur un cessez-le-feu à Ghaza, en désavouant cette fois le président américain himself !

Les meneurs de l’extrême droite ont durant toute la journée d’hier accentué le chantage sur le Premier ministre, en le menaçant une nouvelle fois de dynamiter la coalition gouvernementale qui le maintient au pouvoir s’il s’aventurait à s’engager sur la voie d’un accord négocié, tel que présenté vendredi dernier par Joe Biden.

La pression est telle, que le chef de l’opposition a appelé la classe politique israélienne à assurer un «filet de sécurité politique» à Netanyahu pour l’encourager à favoriser la poursuite des pourparlers et ne pas céder aux menaces de ses ministres extrémistes.

Le président israélien, Isaac Herzog, a, pour sa part, déclaré soutenir son Premier ministre s’il donnait une chance à l’entame des négociations, même si le système politique ne confère que des pouvoirs symboliques à la Présidence. Itamar Ben Gvir, chef du parti Force Juive et membre influent de la coalition, a clairement signifié que quelque chose se tramait entre Washington et le Premier ministre. Durant la journée d’hier, il a exigé d’avoir accès à l’intégralité de la mouture portant proposition de cessez-le-feu.

Bezalel Smotrich, chef du parti Sionisme religieux et autre «star» suprémaciste du gouvernement, a renchéri qu’Israël avait le devoir de refuser la «défaite» proposée par Biden. Dans leur suite, tous les ministres d’extrême droite, paniqués par une possible cessation des hostilités, ont multiplié les déclarations aux médias pour marteler qu’il est hors de question d’envisager autre chose que la poursuite de la guerre et l’occupation de Ghaza.

C’est donc le grand désordre dans la maison Netanyahu et celui-ci a dû, plusieurs fois, intervenir hier pour assurer qu’un cessez-le-feu temporaire de 42 jours n’était destiné qu’à libérer les «otages» israéliens, et pas du tout à servir de prélude pour un arrêt de la guerre. «Les allégations selon lesquelles nous avons accepté un cessez-le-feu, sans que nos conditions ne soient respectées, sont incorrectes», a-t-il poursuivi. Un porte-parole de la primature israélienne a fait savoir, par ailleurs, que la proposition présentée par Biden était «incomplète».

Proposition américaine ou israélienne ?

On ne sait plus au final si la proposition est israélienne ou américaine, si Washington a coordonné réellement avec Tel-Aviv sur la question, ou si la Maison-Blanche tente de forcer la main à un Netanyahu de plus en plus désemparé et conscient des limites de son jusqu’au-boutisme.

La teneur des propos tenus hier à Tel-Aviv entre en effet étrangement en contradiction avec le discours fait par le président américain à partir de la Maison-Blanche vendredi ; discours dont la substance a été reprise d’ailleurs par son chef de la diplomatie hier en affirmant que la balle était dans le camp du Hamas et que celui-ci devait vite répondre à l’offre «généreuse» du gouvernement israélien.

Joe Biden a pris un sacré «risque», selon plusieurs observateurs, de parrainer directement ce qu’il a appelé «une initiative israélienne» pour un cessez-le-feu durable, en en faisant un thème de discours présidentiel à partir de la Maison-Blanche. La feuille de route articulée autour de trois phases complémentaires, selon la présentation, vise à terme une fin de la guerre et un plan de reconstruction négocié pour Ghaza.

En somme, le cauchemar pour le noyau dur de l’extrême droite israélienne. Mais avant d’y arriver, la feuille de route prévoit des négociations sur un cessez-le-feu de six semaines devant voir la libération d’un contingent de détenus israéliens contre des «centaines» de prisonniers palestiniens, le droit accordé aux populations réfugiées au sud de Ghaza de regagner le nord, l’accroissement des aides humanitaires…

Cette étape devrait voir également s’amorcer des discussions entre les deux parties, sous la supervision des négociateurs américains, qataris et égyptiens, pour déblayer le terrain à la deuxième phase du plan : libération de tous les «otages», retrait des forces israéliennes de Ghaza et «cessation permanente des hostilités». La troisième séquence du plan serait celle qui plancherait sur la reconstruction de Ghaza et la mobilisation des partenaires internationaux pour encadrer et financer l’opération. Cette étape se ferait bien évidemment sans le Hamas qui ne devrait plus gouverner l’enclave palestinienne, stipule encore la mouture.

Chaos politique

Biden, dans son discours, a par ailleurs glissé que les capacités militaires du Hamas ont été réduites à néant durant ces huit mois de guerre et que les israéliens ne devraient plus craindre d’«autres 7 octobre» à l’avenir. Pas tout à fait ce que passe son temps à déclarer Benyamin Netanyahu, qui, hier encore, affirmait que la guerre ne s’arrêtera qu’une fois que l’objectif d’anéantissement complet du Hamas serait réalisé.

A la fin de son discours, le président américain s’est adressé indirectement, et par anticipation, au Premier ministre israélien pour l’appeler à prendre ses responsabilités. «Je sais que certains, en Israël, n’accepteront pas ce plan et qu’ils appelleront de leurs vœux une guerre qui durera indéfiniment (…). Ils veulent occuper Ghaza, ils veulent se battre pendant des années et les otages ne sont pas une priorité pour eux.

J’ai vivement recommandé aux dirigeants israéliens de défendre cet accord, indépendamment des pressions qui pourront être exercées», a-t-il conclu. Et c’est ce scénario qui semble se jouer en ce moment à Tel-Aviv. Jusqu’à hier dans l’après-midi, il était impossible de déterminer quelle était la position exacte du gouvernement israélien sur ce qui est présenté comme sa propre proposition d’accord avec le Hamas.

Le cabinet de guerre, lui-même traversé par des divergences profondes quant à la suite des événements, devait encore se réunir pour trancher, alors que des dirigeants de l’extrême droite ont remis en cause la légitimité de cet organe d’exception à statuer sur des questions qui engagent, arguent-ils, «l’avenir» de l’Etat hébreu.

Pendant ce temps, le Hamas, qui a accueilli «positivement» la nouvelle proposition d’accord, selon le chef de la diplomatie égyptienne, attend sans doute de voir un début de décantation dans le chaos politique actuel au sein du pouvoir israélien pour faire part de sa réponse «officielle». Pour l’heure, la régularité et l’intensité des frappes et assauts israéliens dans la région de Rafah et dans plusieurs camps de réfugiés plus au nord disent que la tendance n’est pas à la négociation du côté de Tel-Aviv.

Téhéran appelle à une réunion d’urgence de l’OCI

Le ministre intérimaire iranien des Affaires étrangères, Ali Bagheri Kani, a appelé, hier depuis Beyrouth, à la convocation d’une réunion ministérielle d’urgence de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour prendre des mesures collectives contre l’agression de l’armée sioniste dans la bande de Ghaza. «Les pays islamiques doivent adopter un mouvement commun pour faire face à l’agression (de l’armée d’occupation) et protéger le peuple palestinien», a-t-il déclaré à l’issue d’une réunion avec son homologue libanais, Abdallah Bou Habib, selon l’agence de presse libanaise. Pour sa part, Bou Habib a déclaré que les deux parties étaient parvenues à un consensus sur le fait que la poursuite de l’agression sioniste contre Ghaza «compromet les chances d’une paix juste et globale dans la région».

Le ministre libanais a indiqué que son pays cherche à éviter une guerre plus large et à trouver des «solutions durables qui rétablissent le calme et la stabilité dans le sud du Liban», où l’armée d’occupation sioniste poursuit ses bombardements contre différentes localités. Des dizaines de Palestiniens sont tombés en martyrs depuis lundi à l’aube lors de raids et de bombardements sionistes sur le centre et le sud de la bande de Ghaza. Le bilan de l’agression génocidaire sioniste contre la bande de Ghaza s’est alourdi à 36 479 martyrs et 82 777 blessés, depuis le 7 octobre dernier, ont indiqué hier les autorités palestiniennes de la santé.