Torture durant la guerre de Libération nationale: Des Associations demandent à la France d’assumer sa responsabilité

A. Z., Le Quotidien d’Oran, 5 mars 2024

La pratique de la torture par la France coloniale contre les Algériens, qui a toujours occupé l’espace mémoriel, a refait surface dans le débat franco-français dans un contexte où une Commission mixte d’historiens algériens et français s’attelle depuis quelques mois à dénouer les fils de l’histoire pour «mieux se comprendre et réconcilier les mémoires blessées», selon l’expression de l’Elysée.

Plusieurs ONG et associations, notamment d’anciens combattants, ont demandé, hier lundi 4 mars, la reconnaissance par l’Etat français de sa «responsabilité» dans le recours à la torture durant la guerre de Libération nationale (1954-1962), une tâche noire qu’elles appellent à «regarder en face», selon des termes qui reviennent le plus dans les propos d’historiens français.

Durant ce qui a longtemps été appelé les «événements» d’Algérie, «la torture comme système de guerre a été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements français, ce qui engage pleinement la responsabilité de l’Etat», ont estimé les organisations. «S’engager dans la voie de la compréhension de l’engrenage répressif conduisant au recours à la torture, dont le viol est un instrument constitutif, n’est (…) pas un acte de contrition, mais un acte de confiance dans les valeurs de la nation», ont écrit une vingtaine d’organisations dans un dossier transmis à l’Elysée et présenté lors d’une conférence de presse.

Parmi ces auteurs figurent la Ligue des Droits de l’homme (LDH) ou encore les «Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre», qui ont présenté leur action sous le titre de «l’apaisement». Rappelant dans ce contexte que la présidence française avait fait un petit pas hésitant dans cette direction, il y a deux ans, à l’occasion d’un hommage aux combattants de «la guerre d’Algérie», faisant l’aveu d’une «reconnaissance lucide» que dans cette guerre, une «minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture», selon les termes d’un communiqué de l’Elysée daté du 18 octobre 2022. Une reconnaissance «importante» et «courageuse» mais incomplète car elle n’établit pas de chaîne de responsabilités, surtout au plus haut niveau de l’Etat, juge auprès de l’AFP, Nils Andersson, président d’ «Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA), signataire de l’appel.

La torture érigée en école

«Il ne s’agit ni de condamner ni de juger, mais de regarder l’Histoire en face, dans un souci d’apaisement», a-t-il plaidé. Soutenant dans ce sillage que «cela permettra de passer à la prochaine étape: comprendre comment cela a été possible et avancer dans le vivre ensemble. C’est important car la question algérienne est sensible dans l’opinion française».

Les initiateurs de cette action en veulent pour preuve que la torture était «enseignée dès 1955» dans les principales écoles militaires comme Saint-Cyr et que ceux qui s’y sont opposés durant la guerre de Libération nationale ont été «condamnés». Les organisations ne le disent pas, mais il faut soulignée que la torture par la France coloniale a été érigée en école, à travers la création, en Algérie, des écoles de torture à travers plusieurs régions du pays, à l’instar de l’école ‘Jeanne D’arc’ à Skikda, l’école d’Aflou (Laghouat) et l’école de Sidi Chahmi à Oran où diverses méthodes de torture furent enseignées aux agents de renseignement français, selon les propos de l’universitaire Soraya Hossem, du département d’histoire de l’Université d’Oran 1, ‘Ahmed Ben Bella’, lors d’une conférence organisée le 1er Novembre 2021. Pour dire que la torture est sujet qui pré(occupe) la mémoire d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. Dès 1958, le journaliste Henri Alleg, membre du Parti communiste français (PCF) et ancien directeur d’Alger républicain, témoigne des tortures qu’il a subies de la part de l’armée française, dans un livre sous le titre «La Question», qui fut frappé d’interdiction. Plus tard, les témoignages à propos de la pratique de la torture par l’armée coloniale ont été largement médiatisés, puis avoués par ceux qui la pratiquaient, comme le général Paul Aussaresses. Les ONG et associations qui déplorent ne pas avoir été reçues par l’Elysée, ont, à l’appui de leur action, publié des dizaines de témoignages de personnes torturées pendant la guerre qui a mené à l’indépendance de l’Algérie. Ainsi de Hour Kabir, qui décrit sa détention d’octobre 1957 dans une lettre au procureur de la République de Lyon: «nous avons subi les sévices les plus atroces», affirme-t-il, énumérant le «supplice de la baignoire» ou des «applications électriques» sur «les parties génitales». «Pour terminer cette séance, nous avons marché longuement les pieds chaussés de brodequins à l’intérieur desquels des pointes acérées nous transperçaient les pieds», poursuit cet homme. Gabrielle Benichou Gimenez a expliqué à son avocat avoir abordé «sûre» d’elle l’épreuve en octobre 1956, après avoir déjà été torturée durant la Seconde Guerre mondiale, en 1941. Elle assure avoir subi des coups de «flagellation», une «douche glacée en plein hiver» et des «coups de poing», le tout sans avoir «dit un mot». «J’ai dû déchanter. Après onze heures de ces tortures, je ne tenais plus le coup», a-t-elle résumé. Et les témoignages glaçants, «pire que les pratiques des nazis», ne manquent pas quant aux moyens utilisés par l’armée coloniale, dans le cadre de la torture contre les Algériens.