Les énergies renouvelables se font attendre
Les projets toujours au stade d’annonce
Les énergies renouvelables se font attendre
El Watan, 26 janvier 2015
«Nous ne pouvons pas compter éternellement sur les énergies conventionnelles. C’est pour cela que nous avons lancé un programme spécifique dédié aux énergies renouvelables». C’est à travers cette déclaration que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a rappelé lors de sa dernière sortie médiatique l’engagement du gouvernement à développer les énergies renouvelables (ENR). Un dossier qui fait débat depuis quelques années mais dont l’application sur le terrain n’avance pas au rythme souhaité pour différentes raisons.
Les actions menées jusque-là restent en effet éparses et limitées à des opérations pilotes, comme c’est le cas dans la construction. Les projets de réalisation de logements, toutes formules confondues, sont potentiellement de gros consommateurs d’énergie. Dans les discours, les annonces sont ambitieuses, alors qu’en parallèle, la réalité du terrain vient rappeler le retard accusé dans ce domaine où les potentialités sont pourtant importantes.
Et dire qu’en 2005, on tablait sur une contribution des ENR de l’ordre de 6% dans le bilan national à travers les filières photovoltaïques, thermiques, solaires et éoliennes. Et en cette conjoncture marquée par la chute des cours du pétrole, on se rappelle la nécessité d’accélérer et de revoir le programme de développement des ENR et on remet sur le tapis la notion de réduction de la consommation énergétique.
En décembre 2014, lors du Conseil interministériel, consacré à l’impact des cours du pétrole sur l’économique, le chef de l’Etat avait chargé le secteur de l’Energie de promouvoir la rationalisation de la consommation interne d’énergie, tout en développant les énergies nouvelles et renouvelables. Le plan en question est aujourd’hui en phase d’élaboration. «En Algérie, l’efficacité énergétique et l’économie d’énergie devraient avoir leur place dans cette conjoncture de chute des prix du pétrole», a souligné récemment le ministre de l’Energie et des Mines, Yousef Yousfi, qui présentera prochainement un programme national pour la promotion de l’efficacité énergétique et la lutte contre le gaspillage d’énergie dans tous les secteurs.
Le programme en question mise globalement sur l’isolation thermique et la promotion de l’utilisation des chauffe-eaux solaires et des climatiseurs solaires dans le secteur du bâtiment, la transition vers les carburants légers (GPL, GLC, GNL) et sur le contrôle de l’utilisation des équipements énergivores. La concrétisation de ces actions dépend toutefois de certaines conditions, essentiellement la mise en place d’une industrie du renouvelable et le contrôle des opérations des importations des équipements (agricoles et industrielles) et des appareils électroménagers. Ces derniers, en plus d’être dans de nombreux cas contrefaits et loin de répondre aux normes, sont énergivores.
Pour M. Yousfi, ce sont autant d’actions qui permettent de préserver les ressources énergétiques du pays. A toutes ces mesures attendues dans le cadre de la lutte contre le gaspillage de l’énergie, une révision du programme de développement des ENR est annoncée. Ainsi, une nouvelle mouture dudit programme, portant les capacités des projets dans le renouvelable à 24 000 ou 25 000 MW au lieu des 22 000 (dans le programme de 2011), sera présentée. Objectif : produire plus d’un tiers des besoins du pays en électricité à partir de sources renouvelables.
Concernant le coût des projets, les choses ne sont pas encore claires. Le ministre a juste noté que le groupe Sonelgaz, chargé de la mise en œuvre de ce projet, a déjà achevé les études de faisabilité de l’actuel programme de 22 000 MW avec des estimations sur le coût et la rentabilité de ces projets. Il reste à savoir si la préparation en matière d’études et de management ainsi que sur le plan technique a été ficelée. Pour l’heure, seuls les textes de loi garantissant les tarifs d’achat pour l’énergie solaire photovoltaïque et l’énergie éolienne, dont la capacité dépasse 1MW, sont prêts. Ils ont été promulgués en avril 2014.
Dans le plan initial, l’Algérie avait, pour rappel, prévu de consacrer 10 000 MW (sur les 22 000) supplémentaires à l’exportation.
Or, l’exportation devrait répondre à certaines conditions, principalement l’existence d’une garantie d’achat à long terme, de partenaires fiables et de financements extérieurs. Mais aussi des infrastructures de transport. Des éléments qui risquent de ne pas être totalement acquis.
Noureddine Yassaa. Directeur du Centre de Développement des énergies Renouvelables
«Le challenge reste la mise en place de l’industrie du renouvelable»
– Où en est la recherche dans le domaine des énergies renouvelables en Algérie ?
Le développement des énergies renouvelables fait partie des principaux objectifs de la recherche scientifique et du développement technologique en Algérie. A ce titre, le Programme national de recherche en énergies renouvelables achevé l’an dernier et financé par le Fonds national de la recherche scientifique et du développement technologique et lancé par la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, a pris en charge l’évaluation des gisements énergétiques renouvelables, la maîtrise et l’optimisation des procédés de conversion, la transformation et le stockage des énergies renouvelables et le développement d’un savoir-faire nécessaire, allant de l’étude à la réalisation des installations sur site.
Cent huit (108) projets ont donc été exécutés dans le cadre de ce programme, essentiellement pour l’étude et/ou le développement des matériaux solaires photovoltaïques, des systèmes photovoltaïques connectés au réseau, des systèmes de pompage et d’éclairage photovoltaïque, la production d’électricité d’origine solaire, l’énergie solaire thermique à concentration, l’habitat bioclimatique, la climatisation, les systèmes de chauffage et de séchage solaire, l’électrification des zones rurales en mode isolé ou connecté au réseau, les fermes éoliennes et aérogénérateurs, la valorisation des déchets et la production de biocarburants, la production d’hydrogène et le véhicule à hydrogène. De nombreuses études concrètes ont été effectuées et des dispositifs électroniques et électrotechniques ont été réalisés.
Il y a lieu de préciser que ce programme, piloté par le Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), a impliqué environ 500 chercheurs dont près de 400 enseignants chercheurs exerçant dans les laboratoires de différentes universités et 134 chercheurs permanents ouvrant dans les centres et unités de recherche. Quant au partenariat avec le secteur utilisateur, près de 80 % des projets ont été engagés avec un partenaire socioéconomique. D’autres programmes de recherche ayant comme principaux objectifs de répondre aux besoins socioéconomiques seront lancées cette année.
– Que fait le CDER dans ce cadre ?
Le CDER et ses trois unités de recherche œuvrent pour développer et maîtriser les technologies permettant d’exploiter les ressources considérables et inépuisables des énergies renouvelables que recèle notre pays, un gisement solaire exceptionnel et un potentiel énergétique appréciable éolien et géothermique. Avec un effectif de près de 840 fonctionnaires, entre chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnel administratif, le CDER est un pôle de recherche d’excellence national et régional. Un personnel aussi important dédié uniquement au développement des énergies renouvelables n’existe dans aucun pays de l’Afrique du Nord ni dans un pays arabe.
En raison de sa présence dans quatre wilayas, Alger, Tipaza, Ghardaïa et Adrar, le CDER dispose de plateformes technologiques idéales pour tester les équipements fonctionnant avec l’énergie renouvelable dans des conditions climatiques réelles (humide et corrosif dans le Nord, chaud, sec, désertique et vent de sable dans le Sud) et il est continuellement sollicité pour exploiter ses plateformes en vue de tester les dernières technologies.
Les recherches menées au CDER répondent aux standards internationaux aussi bien sur le plan de la qualité de la production scientifique (publication dans des revues scientifiques de renommée internationale) que sur le plan du développement des prototypes dans les toutes les filières des énergies renouvelables (l’énergie solaire photovoltaïque, l’énergie solaire thermique, la géothermie, l’énergie éolienne, l’énergie de la biomasse et le développement de l’hydrogène comme vecteur énergétique).
Les retombées de la recherche sont palpables au travers de la collaboration avec les secteurs socioéconomiques et les réalisations sur le terrain. A ce titre, le CDER a procédé à l’installation de plus de 2500 kits solaires pour l’électrification et le pompage. Des collaborations sont menées avec les instituts de recherche et universités algériennes et avec les grands instituts de recherche étrangers de renom.
Il faut signaler également que ces dernières années, on a assisté à la multiplication des offres de formation master et doctorat dans les universités et les écoles supérieurs, ce qui permettra d’atteindre une masse critique des chercheurs devant prendre en charge le développement des énergies renouvelables dans notre pays.
– Qu’en est-il de la faisabilité du programme national de développement des énergies renouvelables ?
Il est vrai que le Programme national de développement des énergies renouvelables est ambitieux. L’installation d’une capacité de 12 gigawatts (selon le programme de 2011 et 24 ou 25 gigawatts selon la dernière annonce du ministère de l’Energie) à l’horizon 2030 nécessite le passage à une vitesse supérieure en termes de réalisation sur le terrain en faisant participer tous les acteurs.
A ce titre, l’année 2014 a été marquée par deux grandes réalisations par le ministère de l’Energie, une centrale pilote de 1,1 Mwatt en énergie solaire photovoltaïque et une ferme éolienne pilote de 10 MW en énergie éolienne à Adrar.
Il est prévu l’installation de 400 MW en 2015, selon le ministère de l’Energie. Le grand challenge reste la mise en place de l’industrie du renouvelable et la maîtrise technologique de toute la chaîne, la fabrication des équipements avec un grand taux d’intégration nationale, l’installation, la mise en service, le suivi et la maintenance.
– Les moyens dégagés à cet effet sont-ils à la hauteur des projets annoncés?
Une société, SKTM (Shariket Kahraba wa Taket Moutadjadida), du groupe Sonelgaz a été créée justement pour prendre en charge la réalisation de ce programme et un fonds national pour l’énergie renouvelable (FNER) et mis en place pour le financement des projets. De plus, il y a eu la promulgation des textes de loi fixant les tarifs d’achat garantis pour l’électricité produite à partir des installations utilisant la filière solaire photovoltaïque et l’énergie éolienne en 2014. Ces incitations, tant attendues, devront donner un nouvel élan à la filière des énergies renouvelables dans notre pays.
Samira Imadalou