Tewfik Hasni : «Le marché de l’énergie de demain sera électrique et Sonatrach doit s’y préparer avec le solaire »

Tewfik Hasni : «Le marché de l’énergie de demain sera électrique et Sonatrach doit s’y préparer avec le solaire »

Abdelmalek Touati, Maghreb Emergent 12 novembre 2013

Les énergies renouvelables sont en phase de devenir l’alternative aux hydrocarbures fossiles dans le monde et plus particulièrement dans les pays développés, où elles pèseront pour 80% dans le mix énergétique à l’horizon 2040. Et Sonatrach doit se positionner dès aujourd’hui comme fournisseur d’électricité solaire à l’Europe, en remplacement du gaz naturel dont les réserves s’amenuisent. Parole de Tewfik Hasni, expert en énergie et ancien vice-président Aval du groupe pétrolier algérien, invité mardi de Radio M, la web radio de Maghreb Emergent.

Au moment où le discours dominant au sein des pouvoirs publics tente de redonner une seconde vie aux énergies fossiles, des voix expertes et fortes d’une crédibilité internationale, apportent la contradiction et tentent de défendre une voie alternative, celle des énergies renouvelables, dans un nouveau modèle énergétique algérien à reconstruire. Ancien vice-président Aval de Sonatrach dans les années 80 et co-fondateur de New Energy Algeria (NEAL), la compagnie des énergies renouvelables crée conjointement par Sonatrach et Sonelgaz, Tewfik Hasni s’inquiète de l’absence de volonté politique pour amorcer un nouveau modèle énergétique basé sur le renouvelable.

Un nouveau modèle que le prix actuel excessivement bas de l’énergie, empêche d’émerger et de se développer : « La culture de la rente gèle toute initiative en dehors de la vente en l’état des énergies fossiles », a-t-il déclaré à l’émission hebdomadaire « Les invités du direct » de Radio M. Hasni avertit que « la crise qui frappe à nos portes ne nous donnera pas beaucoup de flexibilité », d’où l’urgence d’agir maintenant dans une démarche qui explique aux Algériens, à travers « la vérité des chiffres », l’obligation de passer à un modèle de consommation énergétique qui prenne en compte le coût réel de l’énergie.

Remplacer les exportations de gaz par l’électricité solaire

En sus du discours officiel résolument tourné vers les hydrocarbures de schiste, Tewfik Hasni estime que les pouvoirs publics donnent de «mauvais signaux» en direction des énergies renouvelables. L’un des plus visibles est le flou qui entoure le sort de la New Energy Algérie (NEAL), une entreprise créée en 2002, pour promouvoir les énergies renouvelables. «Une stratégie de développement du renouvelable doit avant tout reposer sur un « développeur » et NEAL aurait très bien pu jouer ce rôle», précise Hasni, qui ajoute que le Maroc pris l’initiative de créer – sur ses propres conseils – une entreprise pleinement engagée dans un ambitieux programme dans le renouvelable.

L’Algérie a pris le chemin inverse en confiant cette mission à Sonelgaz, alors qu’elle ne dispose pas de « crédibilité financière » pour engager ce type d’investissements très capitalistiques. Pour l’invité de Radio M, Sonatrach est la mieux placée pour investir dans le renouvelable et exporter de l’électricité verte vers le marché européen. « Elle peut être sa future source de revenus à la place du gaz naturel, quand les réserves se seront asséchées », a-t-il déclaré. Mais pour cela, le groupe pétrolier algérien doit « donner dès maintenant des signes au marché européen que nous pouvons être présents au rendez-vous », poursuit-il. En plus de l’épuisement de ses réserves, l’Algérie est en train de perdre d’importantes parts de marché pour son de gaz naturel en Europe, au profit du Qatar et de la Russie. Et « il serait impossible de les concurrencer avec du gaz de schiste dont le coût de production est trois fois plus cher que celui du gaz conventionnel », estime Hasni.

Les concentrateurs solaires, la technologie la plus simple

Pour Tewfik Hasni, « la voie royale » pour l’Algérie est la technologie des concentrateurs solaires, dont les équipements « peuvent être intégrés jusqu’à 70% en Algérie » au lieu du photovoltaïque. Cette technologie est basée sur le déploiement de miroirs solaires reliés à un concentrateur de chaleur, lequel représente 20% de l’investissement global. « Le potentiel algérien en solaire thermique est de 170 000 térawatts alors que le photovoltaïque ne représente que moins de 100 térawatts », estime Hasni, qui précise que l’Algérie est le premier pays méditerranéen en potentiel de solaire thermique.

Le gisement des gaz torchés, un immense gâchis algérien

De par son expérience au sein de Sonatrach et sa connaissance du secteur algérien des hydrocarbures, Tewfik Hasni considère que l’Algérie ne fait rien pour valoriser son « potentiel » de gaz torchés, avec lequel « elle peut produire 29 000 mégawatts d’électricité ». Les gaz torchés sont issus de l’injection de gaz naturel dans l’exploitation des gisements de pétrole. Quand le gaz remonte en surface avec le pétrole liquide, une partie de ce gaz est brûlée, donc rejetée dans l’atmosphère. La Banque mondiale a estimé la quantité de gaz torché en Algérie à l’équivalent de 6,5 milliards de mètres cubes/an, une quantité qui peut être récupérée sur place et utilisée pour alimenter des turbines à basse pression et produire de l’électricité.


Au rythme actuel de consommation d’énergie, le potentiel algérien est de 20 ans et non 50 – Tewfik Hasni (audio)

Yazid Taleb, Maghreb Emergent 12 novembre 2013

Hasni Tewfik Hasni, qui était ce matin l’invité de la Web radio de Maghreb émergent, manifeste, c’est le moins qu’on puisse dire, le plus grand scepticisme à l’égard des prévisions des responsables du secteur qui annoncent un « troisième âge » pétrolier pour l’Algérie et semblent de plus en plus miser sur le « tout fossile » grâce aux perspectives ouvertes par les réserves de gaz de schiste.

Au fait, le potentiel algérien est-il aussi important qu’on veut bien le dire ? « Il faut intégrer tous les paramètres » avertit l’ancien vice président Aval de Sonatrach, invité de Radio M, la webradio de Maghreb Emergent. Si on tient compte, par exemple, de l’évolution de la consommation domestique au rythme actuel, pour ne prendre que ce seul exemple, Sonelgaz aura besoin de 85 milliards de m3 de gaz en 2030 pour la seule génération électrique », estime-t-il. Disposons-nous vraiment de réserves d’hydrocarbures pour 50 ans comme le suggère de récentes interventions de cadres de Sonatrach ? « Tous les experts sérieux savent que nos réserves, y compris le gaz de schiste, ne garantissent pas plus de 20 ans de consommation au rythme actuel de leur exploitation ».

S’agissant des réserves de gaz de schiste, Tewfik Hasni annonce pour l’avenir le « dégonflement progressif de beaucoup de mythes ». « Toute la stratégie du schiste américain à été basée, au cours de la décennie écoulée, sur une forte rémunération du pétrole qui a ouvert la porte aux gaz de schiste et qui vise aujourd’hui à l’exportation du savoir-faire des compagnies US dans le reste du monde ». Beaucoup de pays, à l’image de la Pologne par exemple, sont en train de réviser leur position sur ce sujet, a-t-il ajouté.

Pour Tewfik Hasni, on oublie, dans le débat national actuel, de parler des coûts de revient. Il rappelle la célèbre formule « l’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute de pierres » pour indiquer que « l’Algérie va être confrontée de façon croissante dans les années à venir à la limite de ses exportations ». L’érosion de nos parts de marché dans le gaz conventionnel est déjà en cours face au « dumping russe et qatari ». « Comment voulez vous, interroge t’il, exporter dans l’avenir un gaz de schiste qui nous reviendra 3 fois plus cher à produire que les ressources conventionnelles ». Contrairement à l’empressement manifesté par les responsables du secteur, iI considère que, dans le domaine du gaz de schiste, il est aujourd’hui urgent d’attendre à l’image des décisions prises dernièrement par beaucoup de pays dont l’Arabie Saoudite, et de privilégier plutôt la récupération assistée des ressources conventionnelles.

Priorité aux économies d’énergie

L’ancien PDG de NEAL, la filiale commune de SONELGAZ et SONATRACH dédiée au développement des énergies renouvelables, plaide en faveur de la définition, par l’ensemble des acteurs du secteur d’un « modèle de développement énergétique qui nous ramène à la rationalité dans ce domaine ». Selon Tewfik Hasni, il devra s’appuyer en priorité sur une rationalisation de la consommation énergétique nationale. « Le gaz n’est pas un combustible, c’est une matière première. On est arrivé aujourd’hui à un niveau de gaspillage des ressources rares et non renouvelables qui est insoutenable. Sous prétexte de préserver la paix sociale, on maintient des tarifs artificiellement bas qui rendent impossible et inopérantes toute mesure de rationalisation de la consommation et conduisent à consacrer une proportion considérable et croissante de nos ressources fossiles à la consommation des ménages ».

La « véritable stratégie énergétique », que Tewfik Hasni appelle de ses vœux, passera également par la lutte contre une série d’autres gaspillages rarement médiatisés et peu connus du grand public. Il mentionne notamment, la réduction de l’autoconsommation, anormalement élevée, de Sonatrach ou encore la rationalisation des gaz torchés qui coûterait actuellement à l’Algérie entre 3 et 6 milliards de m3 de gaz naturel par an.