Elizabeth Moore Aubin. Ambassadeur des Etats-Unis en Algérie : «Le conflit au Sahara occidental a trop duré»
Mokrane Aït Ouarabi, El Watan, 9 février 2024
Dans cet entretien, l’ambassadeur des Etats-Unis en Algérie fait le bilan des deux premières années de son mandat. Elle revient sur l’état de la coopération bilatérale dans divers domaines, à la fois économique et sécuritaire. Elle a également évoqué la situation en Palestine, au Sahara occidental, au Mali et en Libye. L’ambassadeur se réjouit de la convergence de vues sur plusieurs dossiers d’intérêt commun.
Vous avez pris vos fonctions en Algérie en février 2022. Quel bilan faites-vous de ces deux premières années de votre mandat en tant qu’ambassadeur ?
C’est un grand honneur d’avoir cette opportunité de vous parler un peu de ces deux premières années que j’ai passées, ici, en Algérie, et de ce que ma fabuleuse équipe de l’ambassade a pu accomplir avec beaucoup d’interlocuteurs algériens qui sont vraiment formidables et avec lesquels ils ont travaillé en étroite collaboration.
Nous avons axé nos efforts sur trois domaines : la stabilité régionale, l’intérêt économique, notre intérêt commun pour l’apprentissage de l’anglais et la protection des biens culturels.
Nous avons discuté avec les responsables algériens de la situation régionale et travaillé avec eux dans des forums multilatéraux, comme les Nations unies. Nous sommes ravis, bien sûr, que l’Algérie siège au Conseil de sécurité pour deux années.
Nous avons aussi pu obtenir un certificat de génétique bovine afin que l’industrie laitière et carnée algérienne puisse être transformée grâce à l’utilisation de la génétique américaine. Nous avons pu aider des sociétés comme Boeing dans le cadre de leur accord avec Air Algérie et de nombreuses autres sociétés américaines.
Il y en a 100 qui travaillent ici, en Algérie. Nous avons pu accroître nos échanges bilatéraux de manière très dynamique. Et grâce à nos efforts dans le domaine de l’apprentissage de la langue anglaise, nos programmes et échanges ont eu un impact sur 44 000 Algériens et sur leur capacité à parler anglais.
C’est vraiment assez phénoménal ce qu’on a pu faire pendant ces deux années. Je voudrais ajouter qu’au début de mon mandat, le secrétaire d’Etat Anthony Blinken est venu en Algérie et a préparé le terrain pour de nombreux événements qui se sont produits au cours des deux dernières années et qui ont été si positifs.
Nous avons récemment reçu la visite du conseiller en science et technologie du Département d’État. Nous étudions des projets de partenariat avec des universités et des pôles de recherche.
Nous poursuivons la protection culturelle d’objets algériens inestimables, car il y va de l’intérêt de tous, de toute l’humanité que ces manuscrits et/ou lieux architecturaux soient préservés. Nous continuerons donc à travailler sur ce dossier avec le ministère de la Culture.
Comme nous poursuivons notre collaboration avec le ministère de l’Enseignement supérieur sur le volet universitaire. Je voudrais dire aussi que les États-Unis promeuvent les valeurs universelles, la liberté d’expression, la liberté de religion.
Vous venez d’évoquer le renforcement de l’apprentissage de l’anglais et la préservation du patrimoine culturel algérien. Concrètement, comment les Etats Unis aident-ils l’Algérie dans ces domaines ?
Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour généraliser l’apprentissage de l’anglais dans toutes les universités algériennes.
L’Algérie a approuvé la création du cinquième centre culturel américain à Béchar, dans le Sud, qui s’ajoute à ceux d’Alger, d’Oran, de Constantine et d’Ouargla. J’aimerais voir cela se développer également à l’avenir, car ce sont des endroits où les Algériens peuvent aller apprendre l’anglais sans frais.
Nous sommes sur le point de lancer notre quatrième édition de «LINK», un programme que nous proposons aux fonctionnaires du gouvernement algérien pour qu’ils puissent acquérir un niveau d’anglais professionnel leur permettant d’assister à une conférence internationale ou parler à un homologue dans un autre pays.
La 4e édition de ce programme va commencer au printemps prochain. Nous sommes très contents de ce programme qui a connu énormément de succès et de popularité.
En matière de préservation culturelle, nous travaillons sur plusieurs projets avec le ministère de la Culture. Nous avons récemment réalisé un projet de numérisation de belles œuvres d’art au musée du Bardo, à Alger, et nous comptons en faire de même pour certains manuscrits anciens du Sud.
Nous continuerons à travailler avec le ministère de la Culture qui fait de la protection culturelle une priorité sur laquelle ce département souhaite collaborer davantage avec nous.
Comment comptez-vous consolider les relations bilatérales ?
La consolidation de nos relations bilatérales et leur renforcement au maximum passent par l’augmentation des échanges commerciaux mais aussi par le développement des liens entre les deux peuples. Comment y parvenir ? C’est notamment par l’établissement d’un vol direct entre Alger et New York.
C’est pourquoi j’en ai fait ma priorité économique numéro un, en plus d’aider les entreprises américaines qui souhaitent établir des partenariats ici. Un vol direct propulserait nos échanges bilatéraux et notre capacité à mieux nous comprendre à un tout autre niveau, de manière très positive.
Nous sommes actuellement en négociations techniques. C’est un processus en plusieurs phases, en raison de l’Open Sky. Les pourparlers se déroulent de manière très satisfaisante pour les deux parties.
Lors de sa visite en Algérie en mars 2022, le secrétaire d’Etat Anthony Blinken avait émis le souhait de voir «les échanges commerciaux entre l’Algérie et les Etats-Unis s’élever à 6,1 milliards de dollars». Ils étaient de 2,6 milliards de dollars en 2021. Se rapproche-t-on aujourd’hui de cet objectif ?
Le volume de nos échanges commerciaux double chaque année, et ce, depuis 2020. Nous attendons toujours les statistiques de 2023 mais j’espère voir se confirmer cette tendance haussière.
Ce que nous faisons ici à l’ambassade, c’est d’aider les entreprises américaines et algériennes à atteindre cet objectif sur lequel nous travaillons chaque jour. C’est vraiment important pour nous. J’espère donc continuer à voir le volume de ces échanges évoluer davantage.
Plusieurs accords de partenariat ont été signés l’année dernière notamment dans l’agroalimentaire. Nous constatons aussi un regain d’intérêt des majors américains des hydrocarbures à l’instar de Chevron et d’Exxon Mobil pour le marché algérien. Doit-on s’attendre à une plus grande implication des entreprises américaines en Algérie et à des partenariats plus larges ?
Je pense que le modèle américain est le meilleur pour un partenariat économique. Nous partageons la technologie, embauchons des Algériens et recherchons des partenariats mutuellement bénéfiques dans tout ce que nous faisons.
Ainsi, les entreprises américaines, de tout le spectre économique, recherchent des opportunités en Algérie, qu’il s’agisse de PME ou de grandes entreprises.
Et nous accompagnons ces entreprises et les aidons à établir des liens et à trouver des opportunités ici. Nous discutons également avec les entreprises algériennes des opportunités aux États-Unis et de comment ils peuvent faire progresser leurs échanges commerciaux ou leurs investissements.
Une forte délégation d’hommes d’affaires américains a séjourné, au mois de janvier, en Algérie où elle a rencontré des responsables et des chefs d’entreprise. Cette visite s’est-elle matérialisée par de nouveaux partenariats et projets ?
Merci d’avoir souligné la récente visite d’une délégation de l’USABC (US-Algeria Business Council).
Les organisations privées ainsi que la Chambre américaine du commerce comptent un grand nombre d’entreprises très intéressées à travailler avec l’Algérie dans la production agricole, dans l’industrie en général, dans l’aviation, dans le secteur informatique. Bref, dans tous les domaines d’activité économique. Ils étaient donc ici pour discuter.
Je laisse à chaque entreprise le soin de parler de ses propres réalisations lors de cette visite. Mais je les ai rencontrées, il y avait beaucoup d’enthousiasme et d’énergie autour du marché algérien et des possibilités de collaboration avec leurs homologues.
L’Algérie et les Etats-Unis entretiennent un dialogue sécuritaire permanent. C’est dans ce cadre qu’une importante délégation composée de hauts responsables du département d’Etat, de la Défense et du Trésor, est venue en Algérie en juin dernier. Comment voyez-vous l’évolution de cette coopération sécuritaire ?
Ces discussions témoignent beaucoup de la coordination et de la collaboration entre nos deux pays pour la stabilité régionale.
Comme vous l’avez souligné, une délégation interministérielle est venue l’année dernière à Alger pour discuter de la manière dont nous pouvons travailler ensemble dans la région. Depuis, nous avons eu un dialogue stratégique en octobre à Washington DC et un dialogue militaire conjoint en décembre.
Toutes ces rencontres sont extrêmement importantes car nous sommes confrontés à un ensemble complexe de défis dans le monde d’aujourd’hui. Il est important de pouvoir parler des domaines dans lesquels nous partageons les mêmes points de vue, mais aussi là où nos points de vue diffèrent, où nous avons des approches différentes pour atteindre le même objectif final.
Tout récemment, les États-Unis ont publié par exemple une déclaration sur la situation au Mali, dans laquelle ils regrettent la décision du gouvernement de transition de se retirer de l’Accord d’Alger que nous considérons comme un cadre très approprié pour assurer la stabilité et la paix pour la région.
Nous avons exprimé notre préoccupation concernant les milices [groupes politico-militaires du Nord, NDLR] et le risque d’une éventuelle guerre civile avec les membres du gouvernement de transition et d’autres éléments de Wagner.
C’est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup, tout comme l’Algérie, et nous collaborons très étroitement sur ces questions, ici et à Washington.
Depuis janvier, l’Algérie siège en tant que membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle a clairement affiché ses priorités, à savoir la cause sahraouie et la question palestinienne dont la Bande de Ghaza est assiégée et constamment bombardée depuis quatre mois. L’Algérie plaide pour une solution à deux Etats et pour un référendum d’autodétermination au Sahara occidental. Comment les Etats-Unis peuvent-ils collaborer avec l’Algérie pour arriver à des solutions définitives à ces deux conflits ?
Ce sont là deux dossiers, comme vous l’avez souligné, très importants pour l’Algérie et pour sa politique étrangère. L’Algérie et les États-Unis conviennent que Staffan De Mistura (envoyé spécial de l’ONU) devrait avoir l’espace et l’opportunité de travailler pour une solution politique au Sahara occidental.
Ce conflit a assez duré : 47 ans, c’est long. Et nous, l’Algérie et les États-Unis, sommes tout à fait d’accord sur la nécessité de résoudre ce conflit, dans le cadre des Nations unies et à travers le travail de l’envoyé personnel (De Mistura) du secrétaire général (Antonio Guterres).
Concernant la situation en Palestine, les États-Unis et l’Algérie soutiennent pleinement l’objectif d’une solution à deux États. Nous sommes tous les deux extrêmement préoccupés par la situation humanitaire à Ghaza et nous travaillons très dur pour apporter de l’aide aux Palestiniens.
Nous avons des points de vue divergents sur la manière d’atteindre ces objectifs, mais nous pouvons en discuter en des termes très respectueux et amicaux. Nous sommes en mesure de parler des domaines sur lesquels nous sommes d’accord, à savoir l’objectif final, et nous allons travailler très dur et en étroite collaboration pour l’atteindre.
Le président Tebboune a réaffirmé, lors d’un récent sommet de l’Union africaine (UE) à Brazzaville, que le règlement de la crise libyenne passe par un processus de réconciliation nationale mais aussi par le retrait de toutes les forces militaires étrangères et de tous les mercenaires présents dans ce pays? Les Etats-Unis partagent-ils cette vision ?
Comme au Sahel, les États-Unis et l’Algérie voient la situation en Libye de manière très similaire. Nous sommes tout à fait d’accord sur le fait que le peuple libyen devrait pouvoir décider de son gouvernement et de son avenir.
Et nous sommes également d’accord sur le fait que les forces étrangères sont déstabilisatrices et n’aident pas le peuple libyen à décider de son avenir. Nous sommes donc tout à fait d’accord avec le gouvernement algérien et nous en parlons fréquemment avec lui.