Eau : La crise

Eau : La crise

El Watan, 19 octobre 2017

Le retard des précipitations d’automne relance l’inquiétude sur la disponibilité de la ressource hydrique. Les experts recommandent des investissements stratégiques pour se prémunir contre les aléas climatiques.

La situation de sécheresse qui pèse sur l’ensemble du territoire national depuis plusieurs mois inquiète. La rareté de la pluviométrie que connaît le pays ces dernières années fait penser à des scénarios catastrophes, similaires à ceux décrits dans les documentaires sur le réchauffement climatique et ses conséquences sur la vie sur Terre.

Mais sommes-nous réellement en danger ? L’alimentation des Algériens en eau potable peut-elle être assurée à long terme ? Faut-il aller vers plus de rationalisation de cette ressource indispensable ? Les manifestations des populations, enregistrées durant l’été dernier dans plusieurs wilayas du pays, notamment à Annaba, constituent une sérieuse alerte.

Elles rappellent à tout le monde, autorités et population, que l’Algérie dispose d’un climat semi-aride et que l’or bleu risque de manquer à l’avenir. «La tension sur l’eau sera toujours présente, car l’Algérie se trouve au cœur de la région MENA qui est la plus sèche au monde», affirme Brahim Mouhouche, enseignant à l’Ecole supérieure d’agronomie, lors de son passage hier sur les ondes de la Chaîne III de la Radio nationale.

Selon lui, «la part en eau potable de l’Algérien n’est que de 3,5% de la moyenne mondiale, soit l’équivalent de 292 m3». Brahim Mouhouche appelle, dans ce sens, à «réfléchir à des solutions à moyen et long termes». «Mais pour le moment, il faut absolument éviter le gaspillage», lance-t-il. Cet avis est partagé par le ministère des Ressources en eau et de l’Environnement.

«Il faut aller à la gestion par la demande»

«Pour l’avenir, nous devons aller vers la gestion par la demande. Il faut éviter le gaspillage et réparer les fuites. L’agriculture, qui consomme environ 6,7 milliards de mètres cubes/an, doit utiliser d’autres techniques d’irrigation», souligne Abdelwahab Smati, directeur de la mobilisation des ressources en eau au ministère des Ressources en eau, appelant aussi les industriels à recycler leurs eaux et éviter le gaspillage. «Dans notre politique, nous avons aussi prévu des stations d’épuration des eaux usées (192 stations sont déjà opérationnelles à travers le pays) pour servir dans l’agriculture», ajoute-t-il.

Cependant, M. Smati se montre moins alarmiste quant aux capacités à «assurer une alimentation équitable d’eau potable à toute la population». En dépit de la rareté des pluies, dit-il, «la situation générale du pays n’est pas alarmante». «Nous disposons actuellement de 3,6 milliards de mètres cubes d’eau, dont 35% proviennent des barrages, 50% des eaux souterraines et 15% des stations de dessalement.

Certes la situation des barrages est affectée par l’évaporation et l’effet de sécheresse, mais nous avons diversifié nos ressources», explique-t-il. Selon lui, l’option de rationnement de l’eau n’est pas à l’ordre du jour, d’autant plus que les quantités d’eau disponibles dans les 75 barrages du pays est au même niveau que celles enregistrées durant l’année 2016.

«Généralement, les grands apports pour nos barrages sont enregistrés durant l’hiver (décembre) et au début du printemps (mars et avril). Pour les zones qui connaissent des déficits en eau, nous avons prévu des solutions de substitution, dont les forages et les stations de dessalement», explique notre interlocuteur. Rappelant les dispositions de la loi sur l’eau de 2005 qui accorde la priorité à l’alimentation de la population en eau potable, Abdelwahab Smati affirme que le plan de l’eau 2030 vise à sécuriser durablement l’alimentation en eau potable. «Nous avons opté d’abord pour la réalisation de l’infrastructure de base.

Nous aurons d’ici à 2019, 84 barrages. Ensuite nous avons réalisé un maillage basé sur l’interconnexion des barrages, la valorisation des eaux souterraines et la réalisation des stations de dessalement dans les régions côtières», indique-t-il, précisant que le pays dispose d’environ 18 milliards mètres cubes d’eau renouvelables/an.
Madjid Makedhi


lors que trois dragues sont en construction pour dévaser les barrages

Une grande station de dessalement pour Annaba et El Tarf en 2018

Une station de dessalement sera programmée dans la loi de finances 2018. Elle sera d’une capacité de traitement de 100 000 m3/jour dont 70% de son produit seront destinés à la population de Annaba et le reste à celle d’El Tarf.

La crise de l’eau qui a frappé de plein fouet plusieurs wilayas du pays a poussé le ministère des Ressources en eau (MRE) à mettre en œuvre une stratégie urgente à l’effet de juguler ce grave phénomène. Outre la construction de trois dragues pour procéder au dévasement de 11 barrages et libérer un important volume pour les eaux pluviales, le MRE envisage de doter les wilayas les plus touchées d’une station de dessalement d’eau de mer.

Il en est ainsi pour les wilayas de Annaba et El Tarf, dont les populations souffrent sérieusement du problème d’approvisionnement en eau potable. Selon une source proche du MRE, ces deux wilayas vont être dotées d’une grande station de dessalement d’eau de mer. «C’est une station qui sera programmée dans la loi de finances 2018. Elle sera d’une capacité de traitement de 100 000 m3/jour dont 70% de son produit seront destinés à la population de Annaba et le reste à celle d’El Tarf.

Ce projet a été annoncé en grande pompe en 2008 dont la capacité de production à l’époque était de 50 000 m3/jour. Prévu dans la commune côtière de Chatt, ce projet a été reculé pour 2011 avant d’être définitivement abandonné», explique notre source. Pour l’instant, on ignore le nom de l’entreprise réalisatrice de ce grand projet.

Et si les dragues seront construites par une entreprise algérienne, en l’occurrence Alieco, il n’en demeure pas moins que pour les stations de dessalement, l’Algérie, un pays semi-aride, a une mauvaise expérience dans ce domaine. En effet, le groupe gazier allemand Linde Gas avait, récemment, envisagé de poursuivre l’Algérienne des eaux (ADE) en justice.

Selon des sources proches de cette dernière, le représentant du groupe allemand en Algérie avait informé officiellement en mai 2016 le gouvernement algérien et le directeur général de l’ADE, Zidane Merah, de son intention de saisir le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).

«Le groupe Linde Gas, actionnaire majoritaire à 66% de l’ex-Entreprise publique économique du gaz industriel (EPE GI) et 34% pour Sonatrach en remplacement de la SGP GEPHAC, réclame plusieurs centaines de millions d’euros représentant un contentieux relatif à la construction, depuis l’année 2002 jusqu’à 2006, de plusieurs stations de dessalement au profit de l’Algérienne des eaux (ADE)», révèlent les mêmes sources.

Ces dernières affirment, par ailleurs, que «le groupe Linde Gas affiche, néanmoins, sa préférence pour un règlement à l’amiable à travers une notification de conciliation préalable à l’arbitrage.» C’est ce qui a été fait après l’intervention de Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre. «Sellal est intervenu pour régler ce problème à l’amiable puisqu’il dirigeait à cette période le ministère des Ressources en eau et était partie prenante de ces projets», a expliqué la même source. Rappelons que l’Algérie dispose de onze stations de dessalement d’eau de mer, dont huit à l’Ouest, deux à Alger et une à l’Est (Skikda).
Mohamed Fawzi Gaïdi


Entre déperdition et gaspillage

Près de 50% de l’eau potable distribuée au quotidien n’arrivent pas dans les robinets. La raison, ou plutôt les raisons de cette déperdition de la ressource sont nombreuses.

Les plus importantes sont les fuites et les piquages illicites. Les 50% restant qui arrivent à bon port sont gaspillés. En effet, la moitié de l’eau produite part dans la nature à cause des fuites. D’après Smaïl Amirouche, directeur chargé de l’alimentation en eau potable auprès du ministère des Ressources en eau, les fuites représentent globalement et sur l’échelle nationale un taux de 30% de cette eau perdue. «Les fuites sont dues essentiellement à la vétusté des canalisations et à l’hétérogénéité des matériaux de ces réseaux, à savoir l’acier, le PVC, le PUHD et autres.

Face à cette multitude de matériaux, nous allons vers la généralisation du PUHD, qui est une matière fabriquée localement et qui a démontré ses capacités dans nos réseaux. Une autre contrainte et de facto cause de fuite, les formes topographiques de certaines régions comme c’est le cas à Tizi Ouzou, Béjaïa ou encore Médéa où les terrains sont très accidentés, ce qui influe directement sur la durabilité des canalisations. Un programme de réhabilitation et de rénovation du réseau d’AEP, qui touche actuellement 11 grandes villes, a été lancé.

Une deuxième phase, qui comprend 7 autres villes, est également prévue. Toutefois, le travail de réhabilitation est continuel afin de veiller sur ces conduites et sur le bon acheminement de l’eau vers le citoyen», explique notre interlocuteur qui insiste sur le fait que «le zéro déperdition» n’existe dans aucun pays. Le taux admissible, et auquel aspire arriver le ministère, ne dépasse pas les 18%.

Pour les piquages illicites, M. Amirouche cite en plus de certains ménages, les industriels et les agriculteurs. Le vol d’eau, selon ce responsable, n’influe pas seulement sur la conduite elle-même mais aussi pénalise l’abonné qui est privé de la pression attendue et parfois même de la ressource. Pour y remédier, le ministère en compagnie des collectivités locales ont lancé tout un programme de proximité de sensibilisation et de recensement de ces piquages.

En plus de cette importante déperdition, les 50% d’eau qui arrivent dans les robinets sont gaspillés. Selon M. Amirouche, on ne donne pas à l’eau sa juste valeur dans notre pays, au moment où cette importante ressource est rare. Une rareté expliquée par la situation géographique de l’Algérie, située dans une zone semi-aride à aride et ciblée par les changements climatiques dont le premier effet est l’absence de pluies. Selon M. Amirouche, la quote-part de l’Algérien à l’eau ne dépasse pas les 400 m3 par an, alors que la norme mondiale prévoit 1000 m3.

«C’est pourquoi, il faut impérativement changer notre comportement envers cette ressource. La consommation estimée correcte et suffisante par jour et par habitant est de 150 litres. Toutefois, dans certaines zones à Alger, à titre d’exemple, on dépasse les 300 litres/jour/habitant. Dans les régions du Sud, la consommation est plus importante et cette dotation quotidienne peut dépasser les 400 litres/habitant», ajoute notre interlocuteur avant de signaler qu’une pareille surconsommation implique une surexploitation du réseau et des différents types de ressource, dont la nappe phréatique.

Si l’été dernier était difficile pour pas mal de régions dans le pays, avec une pareille consommation et une pérennité de déperdition de l’eau, la sécheresse, avec tout ce qu’elle implique comme impact négatif, notamment sur l’agriculture, ne tardera pas à être un fait quotidien omniprésent.
Asma Bersali


Le prix du mètre cube oscille entre 6 et 40 DA

L’Etat subventionne l’eau à hauteur de 82%

La question de la subvention de l’eau potable revient avec insistance ces derniers mois en raison notamment de la situation de stress hydrique que vit le pays.

De nombreux experts estiment que l’eau, si rare et si précieuse qu’elle est dans un pays désertique comme l’Algérie, n’est pas cédée aujourd’hui à sa juste valeur. Certains spécialistes, à l’instar de Brahim Mouhouche, de l’Ecole supérieure d’agronomie, considèrent comme trop bas les prix au mètre cube d’eau appliqués actuellement, conformément au décret exécutif n°05-13 du 9 janvier 2005, fixant les règles de tarification des services publics d’alimentation en eau potable et d’assainissement, ainsi que les tarifs y afférents.

En effet, comme défini par ce décret, le prix du mètre cube d’eau commence à 6 DA pour atteindre les 40 DA selon les catégories. La tarification de l’eau pour les ménages est faite en quatre tranches. Plus le ménage consomme, plus le prix du mètre cube augmente. Ainsi, dans la première tranche, le prix du mètre cube est de 6 DA. Si l’on dépasse les 25 mètres cubes par trimestre, on paiera le mètre cube à 20 DA. La troisième tranche est de 56 m3 à 82 m3. Le mètre cube pour cette tranche est de 34 DA.

Ceux dont la consommation trimestrielle d’eau dépasse les 82 m3 doivent payer le mètre cube à 40 DA. La tarification pour les administrations et les industriels n’est pas loin de celle des ménages. Ainsi, le prix du mètre cube consommé par les administrations, les artisans et les services du secteur tertiaire est fixé à 34 DA, celui des unités industrielles et touristiques à 40 DA.

Cette politique tarifaire coûte beaucoup à l’Etat. Car, le mètre cube à la production revient, selon certaines estimations, à environ 130 DA. La contribution moyenne de l’Etat dans le prix réel d’un mètre cube d’eau potable est de 82%. Les ménages, toutes tranches confondues, restent ceux qui bénéficient de la plus importante des subventions, qui s’élève à 90%. Et la première tranche dite sociale est subventionnée à 95%. La subvention de la troisième tranche est de 74% et celle de la quatrième tranche est 69,6%.

Une simple analyse de ces chiffres démontre que le système tarifaire favorise beaucoup plus les gros consommateurs. Ces gros consommateurs peuvent logiquement supporter des prix au mètre cube beaucoup plus élevés. Les administrations et les artisans bénéficient également d’un prix subventionné à 73%. Les unités industrielles et touristiques profitent, elles aussi, d’une subvention du mètre cube à hauteur de 65%. Un tel niveau de subvention suscite débat, voire même polémique entre ceux qui veulent préserver cet acquis et ceux qui appellent à la lutte contre le gaspillage à travers une tarification plus contraignante.

Pour Brahim Mouhouche, il est injuste de continuer à fixer le mètre cube d’eau à 6 DA. Pour lui et bien d’autres, il est urgent de donner à l’eau sa vraie valeur afin d’inciter toutes les catégories de consommateurs à la préserver. Les appels à la révision de la politique des subventions de sorte à faire payer beaucoup plus cher le mètre cube d’eau aux plus gros consommateurs sont nombreux. Mais le gouvernement, bien qu’il reconnaisse la nécessité de le faire pour notamment des impératifs budgétaires, retarde encore l’ouverture de ce dossier de crainte de réveiller la colère sociale.

Mokrane Ait Ouarabi


L’Algérie ne dispose que de 11,5 milliards de M3 d’eau par an

Le recyclage et le dessalement face à l’aridité

Que peut faire l’Algérie face à la situation de sécheresse qu’elle vit ?

Brahim Mouhouche, professeur à l’Ecole supérieure d’agronomie qui estime que le pays manque naturellement d’eau et que «la tension sur l’eau a toujours existera et sera toujours présente». Intervenant hier dans l’émission de la Chaîne 3, l’invité de la rédaction, M. Mouhouche, a souligné que «L’Algérie se trouve au cœur de la MENA, la région la plus sèche du monde.»

L’Algérie est classée parmi les pays les plus pauvres en cette ressource avec une disponibilité de l’ordre 11,5 milliards de mètres cubes renouvelables par an, soit une quantité de 292 m3 par personne/an, alors que la moyenne mondiale est de 6000 m3 par personne/an. «La part en eau de l’Algérien n’est que de 3,5% de la moyenne mondiale», avancera l’invité de la Chaîne 3.

Le spécialiste propose des solutions à moyen et long termes à entreprendre, en plus de la limitation du gaspillage de la ressource. M. Mouhouche recommande l’utilisation de techniques qui permettent «de produire plus avec peu d’eau, en recourant notamment aux systèmes d’irrigation économiseurs d’eau, le goutte-à-goutte, qui permet d’économiser jusqu’à 70% d’eau».

Le professeur préconise le recyclage de l’eau qu’il qualifie de «fondamentale» puisque, selon lui, l’Algérie rejette annuellement un peu plus d’un milliard de mètres cubes d’eaux usées. «Si on arrive à utiliser seulement 60% de ces quantités, on pourrait augmenter de 150 000 à 200 000 hectares les surfaces irriguées», expliquera-t-il.

Citant les grands efforts d’investissements consentis par l’Etat pour la construction de barrages et de retenues collinaires, M. Mouhouche estime, toutefois, que «le dessalement est la solution la plus plausible pour régler ce problème de manque d’eau». Le professeur appelle au développement des cultures peu consommatrices d’eau et l’optimisation de l’utilisation de la ressource.

R. S.