Quand les narcotrafiquants se réfugient au Maroc

Les criminels ciblent un gendarme avant de passer la frontière

Quand les narcotrafiquants se réfugient au Maroc

Par : Djilali Benyoub, Liberté, 30 avril 2007

Après la découverte d’immenses champs d’opium à Adrar où plus de 50 000 plants ont été saisis, la gendarmerie vient de mettre la main sur un nouveau réseau de trafic de drogue lié directement au royaume chérifien.

Des gendarmes des compagnies de Béchar et Béni Abbès et des gardes-frontières en embuscade ont ouvert le feu, samedi soir, sur deux narcotrafiquants marocains qui se sont introduits à pied en Algérie. Le lendemain, ils ont récupéré 7 kg de kif traité. Le commandant de la compagnie de Béni Abbès a été légèrement blessé par une balle tirée par l’un des trafiquants qui ont ensuite regagné le territoire marocain. La veille, c’est à Béchar que des gendarmes ont intercepté un véhicule transportant 9 955 kg de kif.
Ce genre d’action est devenu le menu quotidien des services de sécurité. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une saisie soit opérée.
Le plus remarquable est cette stratégie des trafiquants qui consiste à déserter les pistes habituelles pour en créer d’autres non loin de là, étant donné la proximité avec les points d’exportation. C’est ainsi que Béchar et Adrar, une wilaya limitrophe avec un relief désertique et accidenté, ont pris la place de Maghnia où la sécurité et la surveillance sont renforcées.
Les plus grosses prises opérées, que ce soit par la Gendarmerie nationale ou les douanes, l’ont été dans le triangle Béchar- Adrar-Tindouf.
Pis, les trafiquants de kif, des Marocains particulièrement qui ont servi de détour pour les narcotrafiquants colombiens dont les itinéraires habituels sont strictement surveillés et dont l’appétit a grandi avec la découverte du marché européen. Malgré les alertes données par les spécialistes européens et la DEA américaine, les autorités marocaines, déjà trop permissives avec les cultivateurs de cannabis, n’ont pas tenu compte.

De la cocaïne à l’héroïne
En plus du trafic de cocaïne acheminée de la Colombie vers les îles Canaries ou par les territoires sahraouis occupés où la marchandise est prise en charge par des réseaux constitués de hauts fonctionnaires des services de sécurité du royaume, maintenant les trafiquants marocains ont étendu la nomenclature de leur trafic à l’héroïne. Produit dans le croissant oriental qui détient le monopole sur cette drogue très en vogue en Europe, les trafiquants marocains ont également pénétré ce marché. Les réseaux marocains important du haschisch en Europe se diversifient dans l’héroïne, évidemment plus rémunératrice. Depuis le début des années 1990, des échanges haschisch contre héroïne se développent, notamment avec les organisations turques en Espagne et aux Pays-Bas, et le Maroc devient un important point de transit de la cocaïne. Ce que n’a pas manqué de relever la DEA dès 1993 en notant que les pays d’Afrique du Nord connaissent une utilisation accrue de leurs sols et de leurs eaux territoriales par des organisations criminelles convoyant de la cocaïne par kilo sous forme de fret maritime à destination de l’Europe. Comme il existe des preuves de l’implication des trafiquants marocains dans l’introduction de la cocaïne en Europe pour le compte des trafiquants colombiens.
Désormais, le Maroc prend la place de la Turquie comme plaque tournante du trafic d’héroïne aussi. C’est ce qui explique les plants de pavot trouvés et saisis par la Gendarmerie nationale dans la wilaya d’Adrar. L’Algérie n’est pas connue pour être un pays de consommation, il est donc clair que Adrar est prévue pour servir de transit. Cela d’autant que les plants saisis ont été trouvés emballés. Autrement dit, cette quantité de pavot devait être expédiée. L’autre indice est l’absence de laboratoire en Algérie pour le traitement de cette drogue. Cela suppose deux choses : l’existence possible d’un laboratoire au Maroc, où la drogue est traitée avant son expédition, ou alors elle transite par l’Algérie puis le Maroc avant d’être convoyée vers l’Europe via l’Espagne.

L’Algérie, un pays de transit

Parallèlement au changement d’itinéraire et de piste de trafic, les cultivateurs de cannabis ont investi le sud du Maroc. Des surfaces ont été découvertes de plus en plus vers le Sud, alors que par le passé seul le Nord était réputé pour être le plus grand jardin de cannabis. Une quantité est expédiée vers l’Algérie qui est non seulement un petit pays consommateur, mais aussi une zone de transit. La plus grande quantité est expédiée directement en Espagne par des embarcations appartenant souvent à des sociétés d’import-export marocaines détenues par des officiers des services de sécurité. Les trafiquants marocains ont également changé de comportement puisque maintenant, ils traversent la frontière algérienne à pied. Ce qui leur permet, comme lors de l’embuscade de samedi soir, de fuir facilement et de regagner le Maroc. Une méthode utilisée bien avant par les groupes terroristes. Pour le 1er trimestre de l’année 2007, les gendarmes ont appréhendé
1 062 personnes dans 678 affaires liées au trafic de drogue ou de psychotropes. Ils ont saisi lors de ces affaires 708 854 kg de cannabis et 10 869 comprimés de psychotropes.

La découverte du champ d’opium à Adrar fait craindre le pire
Le mois d’avril en cours est marqué par la saisie de plants d’opium. Pas moins de  8 224 plants d’opium ont été saisis en plus des 6 260 autres de cannabis le 23 avril. Trois jours plus tard, dans la même wilaya, la gendarmerie a saisi 43 000 plants d’opium et 500 plants de cannabis. La main des réseaux marocains n’est pas étrangère à cette situation. Les enquêtes en cours détermineront le degré d’implication des narcotrafiquants marocains, dont les ramifications semblent s’étendre désormais jusqu’en Algérie. Parce qu’historiquement, l’Algérie n’est pas connue comme étant un pays producteur, les rares cultures sont pour la consommation personnelle, mais un pays consommateur. Et cela ne remonte pas très loin. Sa consommation dans le monde remonte au XIVe siècle. Selon certains auteurs, elle remonte au XIIe siècle et est intimement liée au mysticisme. C’était à l’époque où le soufisme était à son apogée. Cette pratique a été introduite en Égypte par des soufis syriens.
Le haschisch est fumé avec une pipe à eau venu probablement d’Iran. Cette pratique est connue également en Inde. D’autres sources évoquent les Mongols comme étant les premiers fumeurs ; ils ont introduit cela à la prise de Bagdad au XIIe siècle.  Elle serait apparue au Maghreb au XVe siècle et serait pendant longtemps limitée aux membres des confréries mystiques. Au Maroc, la confrérie des Hadaoua, au nord du Maroc, regroupait des milliers d’ascètes errants fumeurs de la pipe à kif, connue sous le nom de sebsi.

Djilali B.