Alors que le procureur général s’est muré dans un silence de marbre : De nombreuses plaintes pour génocide contre Israël devant la CPI

Salima Tlemçani, El Watan, 11 novembre 2023

Plus de 11 000 Palestiniens, dont la moitié sont des enfants, ont été tués depuis l’agression israélienne contre la Bande de Ghaza le 7 octobre dernier

Depuis sa déclaration, dimanche dernier, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, s’est muré dans un silence de marbre alors que de nombreuses plaintes pour génocide sont engagées contre l’entité sioniste. En visite au poste frontalier Rafah, reliant Ghaza à l’Egypte, le procureur, et après avoir été empêché par l’armée d’occupation d’accéder à Ghaza, avait averti que «le fait d’empêcher l’aide humanitaire pourrait constituer un crime».

Il a affirmé enquêter «sur les événements en cours à Ghaza et en Cisjordanie» dans le cadre de l’enquête officielle de la CPI ouverte en 2021 sur les Territoires palestiniens. Le procureur général de la CPI a exprimé dans ce sillage sa «préoccupation» quant à «l’augmentation du nombre d’attaques de colons contre des civils palestiniens».

Mais depuis, il s’est gardé de toute déclaration, alors que des plaintes groupées contre l’entité sioniste ont atterri sur le bureau des victimes de la CPI, à La Haye aux Pays-Bas. Au moins quatre pays, l’Afrique du Sud, la Tunisie, le Venezuela (Etats membres de la CPI) et l’Algérie ont annoncé leur intention de porter plainte pour les crimes de génocide commis contre les Palestiniens devant la CPI et au moins trois collectifs ont déjà engagé la procédure.

Un collectif international de 298 avocats et 117 associations et organisations de la société civile, de nombreuses nationalités, à leur tête Me Gilles Devers, du barreau de Lyon, en France, ont saisi, jeudi dernier, le procureur de cette juridiction pour l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre et de génocide commis contre la population de Ghaza.

Remise au bureau des victimes, cette saisine a pour but de juger les auteurs des crimes commis depuis le 7 octobre dernier contre des civils. Lors de la conférence de presse qui a précédé ce dépôt de plainte et dont le contenu a été diffusé sur la Toile, Me Devers a déclaré que contrairement à ce qui s’est passé lors des précédentes offensives contre Ghaza (2008, 2014, 2021), «nous avons remarqué qu’il se passait autre chose, c’est-à-dire une attaque de type génocide.

A ce moment, on s’est orienté vers une procédure urgente devant la CPI». L’avocat a parlé du «double standard» en disant que l’examen judiciaire du dossier palestinien «n’est pas à la hauteur». Selon lui, «aucun pays n’avait jusqu’alors décidé de saisir la CPI, alors que beaucoup se sont précipités vers cette juridiction lors du conflit en Ukraine».

«Il y a eu comme une forte manipulation des pays occidentaux dans l’affaire ukrainienne, vu que ces pays se sont précipités pour déposer plainte et financer une enquête. Pour la Palestine où les faits sont flagrants, il n’y a aucun pays qui bouge. Il y a évidemment un jeu de double standard», a-t-il poursuivi tout en expliquant que la plainte, «c’est aussi une manière d’encourager et, je dirais, de traumatiser les opinions occidentales qui sont influentes en Israël en leur disant :  »Vous pensez ce que vous voulez de la question palestinienne, mais vous ne pouvez pas rester dans une situation où vous êtes complices d’un génocide. » Et j’utilise le mot génocide dans son sens précis, avec tous les points de jurisprudence jugés par la CPI, dans le cas des Rohingyas notamment».

«Complices d’un génocide»

Au moment où cette action était en cours à La Haye, un comité de professionnels de droit chevronnés a été chargé par le Conseil de l’Ordre des avocats d’Alger «de réunir et de préparer tous les moyens juridiques pour documenter les crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide, tels que définis par les articles 6, 7 et 8 du Traité de Rome, commis par l’entité sioniste contre le peuple palestinien en vue de saisir le procureur de la CPI pour ouvrir une enquête».

L’annonce a été faite à travers un communiqué rendu public par le Conseil de l’Ordre jeudi. La veille, trois ONG palestiniennes, Al Haq, le Centre Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits de l’homme, ont de leur côté déposé une plainte contre l’entité sioniste, auprès du procureur de la CPI, pour «intention génocidaire», «incitation au génocide», «crimes contre l’humanité» et «crimes de guerre» et demandé l’émission de mandats d’arrêt contre «les responsables de ces crimes», parmi lesquels, elles ont cité le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et le président Isaac Herzog.

Selon l’AFP, qui a repris la déclaration de leurs avocats, Me Emmanuel Daoud, ces ONG ont souhaité également que «les responsables israéliens, qui mènent en toute impunité une guerre où des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont commis tous les jours, comprennent qu’ils devront répondre personnellement de leurs actes devant la justice internationale». Selon Me Daoud, «comme la communauté internationale est dans l’incapacité d’imposer un cessez-le-feu à Israël (…), il faut que la justice pénale internationale prenne ses responsabilités. Elle a les moyens de le faire et les infractions sont caractérisées».

Plainte collective algérienne

Le même jour, et alors que le Syndicat national des magistrats (SNM) prépare une démarche similaire, un avocat algérien, Me Merari, a annoncé une plainte collective algérienne contre l’entité sioniste auprès de la CPI qui, selon lui, «s’étend sur des dizaines de pages et offre une vision approfondie des atrocités commises par l’occupation israélienne en Palestine». «Elle est accompagnée de preuves substantielles qui attestent de la gravité de ces crimes», a-t-il précisé.

La plainte, a ajouté l’avocat, «repose sur des fondements juridiques solides, notamment la reconnaissance de l’Etat de Palestine en tant que membre de la CPI, conformément à la résolution du 5 février 2021, qui a conféré à la CPI une compétence juridictionnelle sur les Territoires palestiniens, y compris la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la Bande de Ghaza». «Par conséquent, a-t-il souligné, la Palestine est désormais membre à part entière de la CPI, capable d’engager des poursuites pour toutes les infractions commises sur son territoire.» Jusque-là, les équipes de la CPI n’ont pas accès à la Bande de Ghaza, en raison du refus de l’entité sioniste qui empêche toute enquête sur son territoire ou ceux qu’elle occupe.

De son côté, Reporters sans frontières (RSF) a déposé une plainte pour crimes de guerre auprès du bureau du procureur de la CPI le 31 octobre 2023. Cette plainte était accompagnée d’un dossier détaillé de neuf cas de journalistes tués depuis le 7 octobre dernier, et de deux blessés dans l’exercice de leurs fonctions. La plainte de RSF, troisième depuis 2018, fait état de «la destruction intentionnelle, totale ou partielle, des locaux de plus de 50 médias à Ghaza».

L’ONU a, pour sa part, dénoncé des crimes de guerre commis contre la population de Ghaza. Son secrétaire général, Antonio Guterres, a qualifié le 7 novembre Ghaza de «cimetière pour les enfants palestiniens». Volker Türk, haut commissaire de l’ONU pour les réfugiés, avait déclaré le 8 novembre que «la punition collective infligée par Israël aux civils palestiniens est un crime de guerre tout comme l’évacuation forcée et illégale des civils».

Il avait également affirmé que les bombardements pourraient constituer «des crimes de guerre», «compte tenu du nombre élevé de victimes civiles et de l’ampleur des destructions». Human Rights Watch (HWR) a fait état, de son côté, de plusieurs cas flagrants de bombardements contre des populations civiles qui peuvent constituer des crimes de guerre.

Parmi eux, la frappe menée le 3 novembre par l’armée israélienne contre une ambulance identifiable près de l’hôpital Al Shifa de la ville de Ghaza. «Des vidéos filmées peu après la frappe ainsi que des photographies, vérifiées par Human Rights Watch, montrent une femme sur une civière dans l’ambulance et au moins 21 personnes – dont cinq enfants – mortes ou blessées aux alentours», a relevé cette ONG américaine, qui a déjà alerté sur le largage de bombes au phosphore blanc sur des zones très peuplées de Ghaza. L’usage de ce genre d’armes est bel et bien interdit par la Convention de Genève de 1980. L’impuissance de l’ONU à arrêter ces crimes de guerre contre les Palestiniens a contraint Craig Mokhiber, directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat aux droits humains des Nations unies, à démissionner le 1er novembre.

Dans sa lettre de démission, il dénonce «un génocide qui se déroule sous nos yeux» et dont l’ONU semble incapable d’arrêter. Aujourd’hui, plus que jamais, le procureur général de la CPI est mis devant ses responsabilités. C’est toute la crédibilité de cette juridiction et de ceux qui la représentent qui est en jeu. Car, il s’agit de rassurer le monde entier que nul ne peut se mettre au-dessus du droit international humanitaire. Un lourd défi pour la CPI.

 

Des syndicalistes bloquent une usine d’armements en Angleterre

Des dizaines de syndicalistes ont bloqué hier l’une des usines du fabricant d’armes BAE Systems, dans le sud-est de l’Angleterre, accusant le groupe britannique de fabriquer des composants d’avions militaires utilisés par l’entité sioniste pour bombarder la Bande de Ghaza. Réunis sous la bannière «Travailleurs pour une Palestine libre», les militants ont bloqué, dès 7h, les entrées de la fabrique d’armes près de Rochester, dans le Kent, derrière une banderole «Les armes fabriquées ici tuent à Ghaza», ont constaté des médias. Selon les organisateurs, plus de 400 représentants des syndicats Unite, Unison, GMB ou NEU, travaillant dans l’enseignement, la santé ou encore l’hôtellerie, ont participé au blocage, avec des drapeaux palestiniens et des pancartes «Les contribuables ont du sang sur les mains» ou «Arrêtez d’armer la machine de guerre» sioniste. Dans un communiqué, ils ont appelé le gouvernement britannique à mettre fin «à sa complicité dans les crimes de guerre commis en Palestine, en arrêtant de vendre des armes à (l’entité sioniste) et en soutenant un cessez-le-feu immédiat». Ce blocus a été organisé dans le cadre d’une journée d’action internationale à l’appel des syndicats palestiniens, avec des manifestations prévues dans plusieurs pays. Dans la Bande de Ghaza, les bombardements sionistes ont fait 11 078 martyrs et 28 500 blessés, essentiellement des civils parmi lesquels 4506 enfants, selon le ministère palestinien de la Santé. Le groupe britannique BAE Systems est un géant de l’armement, la défense et l’aéronautique en Europe, et travaille sur des programmes de développement d’avions de combat, de chars militaires ou encore de sous-marins à propulsion nucléaire. (APS)